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13 mar
13/mar/2023

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« Il est possible d’aller vers une IA plus frugale »

« Faire aussi bien (voire mieux) avec moins de ressources » : ce pourrait bien être la maxime préférée de Stefan Duffner, enseignant-chercheur au laboratoire LIRIS1. Spécialiste de l’apprentissage et de la reconnaissance des formes au sein de l’équipe Imagine2, il explore une approche de l’Intelligence Artificielle (IA) plus frugale. Comment faire de l’IA robuste, sécurisée et fiable avec moins de données ? Comment relever le défi de la sobriété dans un domaine tenaillé par une course à la performance permanente ? Quel degré d’erreurs est-il acceptable pour un système à qui l’on demande de prendre des décisions pour nous-même ? Stefan Duffner propose d’explorer un concept qui encourage une approche de compromis, entre performances et impacts sur l’environnement. Explications.

Pourquoi, de tous les outils du numérique, l’intelligence artificielle devrait-elle prendre le pli d’une certaine frugalité ou sobriété ?
Derrière le terme « intelligence artificielle » se cache un monde très vaste. Pour ma part, je m’intéresse à l’apprentissage automatique et aux réseaux de neurones profonds, appelé « deep-learning », qui sont des méthodes qui régissent nos principaux usages de l’intelligence artificielle. Ces dernières années, les outils faisant appel à des IA, se sont largement démocratisés, au moyen d’appareils embarqués et de données massivement exploitées. Si l’utilisation de ces données volumineuses permet d’avoir des modèles très précis, il est désormais reconnu qu’elle présente de lourdes conséquences sur le plan environnemental, notamment en matière de consommation d’énergie. Aussi, cette exploitation de données massives va souvent de pair avec des calculs de plus en plus complexes et lourds. Une autre part de la consommation énergétique de l’IA vient de l’apprentissage. Pour qu’un modèle d’intelligence artificielle fonctionne, il a besoin d’être entraîné, d’apprendre. Souvent déployée sur des data centers de grande envergure, cette activité peut s’avérer très gourmande en énergie. Ces approches actuelles, qui ne tiennent pas compte des ressources limitées de la planète, ne sont plus tenables. C’est pour cette raison qu’une partie de la communauté scientifique appelle à plus de frugalité dans l’utilisation des intelligences artificielles, en étudiant d’autres approches plus sobres, tout au long du cycle de développement de l’IA.

Concrètement, quels leviers peuvent être actionnés pour que l’intelligence artificielle soit plus « frugale » ?
Le but, c’est de faire plus léger. Aujourd’hui, beaucoup de modèles sont surdimensionnés et consomment beaucoup plus d’énergie que le besoin le requiert. Il y a beaucoup d’approches pour faire plus « frugal » en matière d’intelligence artificielle et la communauté scientifique commence à s’intéresser notamment à la réduction de la complexité des modèles, en utilisant moins de données ou en les « élaguant ». Il y a aujourd’hui, une surenchère des réseaux de neurones car c’est le système fournissant les résultats les plus performants et efficaces. Cependant, il existe de nombreux usages pour lesquels un apprentissage un peu moins efficace, moins énergivore et plus explicable comme les modèles probabilistes, pourrait convenir. Et puis, concernant les autres leviers, il y a la dimension du matériel, du réseau et du stockage des données qui mériterait d’être repensée pour des IA plus sobres. Je dis « sobre », car il me semble que c’est un terme à différencier de « frugal ». La frugalité invite à faire mieux avec moins, alors qu’il me semble que la sobriété implique de remettre en question les besoins, à l’échelle sociologique, ce qui n’est pas de mon domaine de chercheur en informatique. 

Donc, d’après ce que vous laissez entrevoir, l’IA frugale, ça n’est pas vraiment pour tout de suite. Quels sont les freins ?
J’identifie au moins deux freins majeurs. D’abord, un frein technique. Faire de l’IA frugale implique de trouver le bon compromis entre sécurité, robustesse et réponse au besoin. Les deux premières propriétés sont complètement inhérentes à notre usage de l’intelligence artificielle : nous ne voulons pas utiliser d’IA qui fasse de graves erreurs et qui soit sujette aux attaques malicieuses. Parfois, en diminuant les modèles pour gagner en économie d’énergie, on diminue la robustesse. Prenons l’exemple de la voiture autonome : nous ne voulons certainement pas diminuer la robustesse de l’IA qui contrôle la voiture automatique, et que celle-ci confonde un vélo et un piéton. Pour lui faire apprendre à différencier les situations, cette IA a « appris », à travers une multitude de situations différentes. Il sera donc difficile dans cette situation d’alléger le modèle car le seuil de tolérance doit être très bas pour éviter la moindre catastrophe. Bien sûr, on peut questionner le besoin de développer des voitures autonomes, mais c’est un autre débat… L’autre frein majeur pour le développement d’une IA plus frugale, c’est qu’elle implique des compétences dans plusieurs domaines, ce qui réduit le champ des spécialistes pouvant s’impliquer dans cette mouvance. C’est d’ailleurs ce qui m’a motivé à faire un projet avec la SATT Pulsalys
3 pour développer un service, facile d’utilisation destiné aux ingénieurs, data-scientists ou à des entreprises qui souhaiteraient s’investir dans la réduction de modèles, sans pour autant en être spécialistes. Nous sommes encore en train de travailler sur un prototype qui ne devrait pas tarder à voir le jour.

Il y a un vrai débat entre les approches dites « green IT » et « IT for Green ». Les terminologies sont proches, pourtant, les démarches ne sont pas les mêmes. Comment y voir plus clair ?
Effectivement, il y existe un vrai débat entre ces approches, qui peuvent être complémentaires. La première prévoit de minimiser l’impact négatif des opérations et des équipements sur l’environnement. L’autre est une démarche qui utilise le numérique dans un objectif de réduction de l’empreinte écologique. Pour ma part, je crois que les intelligences artificielles sont encore trop largement utilisées pour créer des besoins dont l’utilité pourrait être remise en question. Cela est dû au déploiement massif de l’IA ces dernières années, lui-même rendu possible par la disponibilité des ressources de calcul et le matériel disponible, assez bon marché. Jusqu’à aujourd’hui, il est facile d’investir dans l’IA, grâce à des financements. Il ne faut pas oublier que c’est un domaine encore jeune, et que les solutions pour faire plus frugal, ne sont pas encore à la portée de tous. Sur le papier, j’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de volonté pour faire « plus vert », mais dans les entreprises, la décision est difficile : utiliser une IA plus « verte » coûte souvent plus cher. Alors que développer un outil d’IA pour faire « plus vert », est un projet plus facilement défendable devant des financeurs. C'est aussi un domaine qui manque encore de règlementation. Nous pourrions imaginer que l’utilisation d’une IA soit soumise à des obligations d’économie d’énergie : ces règles existent pour le chauffage, pourquoi pas avec une IA ?


L’INSA Lyon lance la semaine du numérique responsable
Envie d’explorer le sujet de l’intelligence artificielle frugale plus en détail ?
Stefan Duffner sera présent lors de la première édition de la semaine du numérique responsable qui se tiendra du 3 au 7 avril, à l’INSA Lyon. À travers des conférences ouvertes à tous, avec la participation de chercheurs, d’étudiants ou de partenaires économiques et académiques, l’INSA Lyon souhaite pousser à la réflexion autour de la transition numérique lors d’une semaine dédiée.
=> Découvrir le programme

 

 

[1] Laboratoire d'InfoRmatique en Image et Systèmes d'information (UMR 5205 CNRS / INSA Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Lumière Lyon 2 / École Centrale de Lyon)
[2] Computer vision, Machine Learning, Pattern recognition
[3] Créée en 2014, La Société  d’Accélération du Transfert de technologies (SATT) Pulsalys du site Lyon et Saint Étienne a pour mission de mutualiser les moyens et compétences des établissements de recherche publique de l’écosystème lyonnais et stéphanois en vue d'accélérer le transfert de technologies issu de leurs laboratoires.