INSA Lyon

14 mar
14/mar/2018

INSA Lyon

Prospective : « on peut avoir un coup d’avance sur ce qui va arriver »

Alors que le modèle INSA a été pensé il y a 60 ans par le père de la prospective, Gaston Berger, il est plus que temps de s’interroger sur la philosophie d’un modèle né pour durer. Entretien avec Philippe Durance, spécialiste de la prospective et accompagnateur de nombreuses organisations publiques et privées dans leur réflexion prospective et stratégique.

Qu’est-ce qu’une démarche prospective ?
La prospective est un outil de transformation, d’accompagnement du changement. C’est une démarche originale, qui a pour caractéristique principale de prendre explicitement en compte l’avenir, d’en faire un objet d’analyse à part entière. Elle s’organise généralement à travers trois instances : un comité de pilotage, qui suit le déroulement et évalue ; un comité d’études, qui produit un certain nombre de documents destinés au troisième groupe, celui de la prospective, dont les membres nourrissent la réflexion prospective et stratégique.
La prospective est une maïeutique : son objet se dessine au fur et à mesure que la reflexion avance. Éric Maurincomme m’a sollicité pour accompagner une démarche prospective à l’INSA. Elle est lancée sur 10 mois, de l’élaboration d’une réflexion stratégique à l’énonciation d’un plan d’actions.

Pourquoi avoir accepté d’accompagner cette démarche à l’INSA Lyon ?
L’INSA Lyon est un établissement majeur dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. C’est une école d’ingénieurs qui perpétue la pensée mise en action par l’un de ses fondateurs, Gaston Berger, de former des scientifiques avec une forte dimension humaine. Je pense que c’est à l’occasion des 60 ans de l’école que l’envie d’initier la démarche prospective est née, et que l’opportunité d’appliquer cette démarche au cœur de l’établissement s’est faite sentir.

Quel message pourriez-vous faire passer à ceux qui ont peur du changement ?
La peur du changement est inhérente aux institutions. Le changement est généralement repoussé parce qu’il est vu comme une incertitude. Le problème est que nous sommes entrés depuis quelques décennies dans une période d’incertitude globale. En explorant l’avenir, la prospective permet de réduire cette incertitude et, surtout, d’avoir un coup d’avance sur ce qui va arriver. Il ne s’agit pas de changer pour changer, mais de ne pas subir le changement imposé de l’extérieur, d’être le moteur du changement, d’être maître de son avenir. C’est un processus participatif, un endroit où on peut s’exprimer, débattre, échanger des idées. La prospective se nourrit de la différence de chacun. Il est possible de n’être pas d’accord et de le dire, mais avec bienveillance. L’idée est de construire quelque chose de commun et d’y aller ensemble.

Comment avez-vous découvert Gaston Berger ?
Par hasard ! J’avais un ami professeur à Saint-Denis, qui est parti au Canada pour prendre la responsabilité d’une chaire. C’est en l’aidant à monter son réseau de recherche que je découvre la prospective. J’ai rencontré alors Michel Godet, titulaire de la chaire prospective du CNAM depuis 1987, qui m’a fait découvrir la richesse de cette approche. Mais, si beaucoup d’outils avait été développés pour rendre la prospective plus rationnelle, il m’a semblé que sa véritable richesse venait d’ailleurs : de l’attitude vis-à-vis de l’avenir qui était proposée, de sa capacité à relier, de sa critique profonde de la décision, etc. C’est chemin faisant que je découvre Gaston Berger, père de la prospective.

Que dire sur Gaston Berger ?
Berger était un être exceptionnel. La prospective, c’est Gaston Berger. Elle est née dans son esprit à une époque de maturité : il avait une soixantaine d’années, une grande expérience et avait toujours été à cheval entre la réflexion et l’action. Comment faire pour agir de manière réfléchie et nourrir mon action de ma réflexion ? C’est ce qui l’a guidé tout au long de sa vie. La prospective n’a pu être nommée que parce que Gaston Berger a pu mettre un nom sur la pensée qui l’a animé pendant 20 ans, une pensée de philosophe en action ! C’est un petit miracle. Nous retrouvons des pensées proches de celles de Berger, notamment avec des philosophes allemands, mais elles ne vont jamais jusqu’au bout, jusqu’à l’action, la construction collective. Le seul à l’avoir fait, c’est lui.