Formation

14 déc
14/déc/2022

Formation

« Plus que l’égalité des chances, nous voulons faire de l’équité des chances »

En octobre 2021, les équipes de l’Institut Gaston Berger du Groupe INSA publiaient le premier tome du Livre blanc « Diversités & ouverture sociale » qui qualifiait avec précision l’état des lieux de l’inclusion des diversités au sein de ses écoles. Les conclusions de ce travail étaient alors sans appel : malgré les nombreuses actions menées sur le terrain pour aider les jeunes issus de milieux modestes à se projeter dans une formation d’ingénieur, les écoles INSA, à l’image de la plupart des grandes écoles françaises, contribuent malgré elles à renforcer les mécanismes d’assignation du système éducatif. 

Un an après, la publication du tome 2 du Livre blanc renoue avec les ambitions du fondateur de l'INSA, Gaston Berger, livrant des préconisations à instaurer au sein de ses écoles pour recruter et mener au diplôme d’ingénieur davantage de jeunes d’origine sociale et territoriale diversifiée. 

Carole Plossu et Sonia Béchet, respectivement directrices de l’Institut Gaston Berger du Groupe INSA et de Lyon font le bilan sur l’aboutissement de deux années de consultations collectives, de partages d’expériences et d’analyses consacrées à l’égalité des chances.


Le premier tome du livre blanc faisait l’état des lieux de la diversité et de l’inclusion au sein du Groupe INSA. Il est notamment fait mention d’un « constat d’illusion ». Qu’entend-on par-là ?
Sonia Béchet : La question à laquelle nous avons tenté de répondre avec ce travail est la suivante : quels chemins sont accessibles à un élève1 sans proximité sociale ou culturelle avec l’enseignement supérieur pour que son potentiel se révèle, sans déterminisme social ? À l’INSA Lyon, nous conduisons déjà plusieurs programmes d’incitation permettant à des jeunes issus d’environnements moins favorisés de se projeter vers l’enseignement supérieur. Mais force est de constater que beaucoup se voient refuser une admission dans les établissements sélectifs. Le « constat d’illusion » est là. On a l’illusion de croire que l’école donne sa chance à tous, qu’il suffit de dire aux jeunes « vous pouvez y aller » pour qu’ils le fassent. En réalité, le système scolaire français participe à la reproduction des élites. Selon leur origine sociale et territoriale, les élèves ne sont pas tous égaux devant leur chance d’accéder aux grandes écoles. En tant qu’école publique de l’enseignement supérieur, nous souhaitons contribuer à compenser ces inégalités. Plus que de l’égalité des chances nous voulons faire de l’équité des chances.


Le tome 2 propose de passer à l’action, listant une série de préconisations, applicables aux écoles du Groupe INSA. Pourriez-vous en détailler quelques-unes ?
Carole Plossu : Ce tome 2 du Livre blanc n’a pas la prétention d’apporter LA solution mais se veut plutôt être un laboratoire d’idées. Il compile les résultats de consultations collectives menées dans les écoles INSA, une analyse de la littérature académique et une veille sur les actions mises en œuvre par d’autres établissements sur le sujet. Concrètement, ces préconisations peuvent se déployer à chaque étape du parcours d’un élève. D’abord avec des actions spécifiques auprès des collégiens et lycéens d’origine modeste afin de leur ouvrir le champ des possibles, d’inspirer leur ouverture scientifique, culturelle et sociétale et de renforcer leurs compétences et leur confiance en eux. L’objectif est de lever les freins et les mécanismes d’autocensure à la candidature, mais cela n’est pas suffisant. Une évolution des processus de recrutement du Groupe INSA est indispensable pour aller plus loin et tendre vers une plus grande équité dans l’accès aux formations sélectives : par exemple, en révisant nos critères de recrutement, en élargissant les viviers de recrutement et en développant des filières de formation favorables à l’ouverture sociale. Enfin, un accompagnement renforcé est nécessaire pour une meilleure réussite académique et pour renforcer l’inclusivité de nos écoles. Un traitement différencié plus équitable doit être assumé à chaque étape du parcours de l’élève, jusqu’à son insertion professionnelle. 

 

À l’INSA Lyon, depuis presque quinze ans, l’Institut Gaston Berger vit au rythme des programmes d’incitation et d’accompagnement. Comment les préconisations proposées dans le tome 2 du Livre blanc pourront-elles prendre vie sur l’établissement lyonnais ?
Sonia Béchet : Ce travail nous a permis d’étayer nos constats statistiques et nous souhaitons approfondir le diagnostic dès le début de l’année prochaine, notamment en cherchant d’autres indicateurs de mesure de l’ouverture sociale. J’aimerais également nourrir le débat auprès de la communauté interne et mobiliser les forces vives sur la question. Nous avons désormais les choses en main ; à nous d’en faire quelque chose. Il est vrai que l’INSA Lyon fait figure de proue sur les actions menées pour faciliter l’ouverture sociale, mais ces travaux nous laissent entrevoir de nouvelles actions à mettre en place. Par exemple, un travail de détection des lycéens ayant le potentiel de réussir des études d’ingénieurs ou des actions en direction des familles pour lever les freins à la candidature peuvent être envisagées. Aussi, je souhaiterais pouvoir continuer à impliquer les personnes avec qui l’on travaille depuis très longtemps dans nos réflexions. Nous sommes associés à 14 lycées et 15 collèges de zones prioritaires ; ce sont eux qui connaissent le mieux le climat dans leurs écoles ; il faut continuer à travailler étroitement avec eux et à prendre soin de ces collaborations.

 

À la suite de la publication de ces deux tomes du Livre blanc, début 2023 verra l’élaboration de plans d’actions dans les INSA. Vous souhaiteriez également voir les résultats de ce chantier essaimer plus largement dans l’ESR2, n’est-ce pas ? 
Carole Plossu : En effet, nous pensons que l’ESR peut agir en faveur d’un accès plus ouvert aux jeunes issus de milieux modestes grâce à des mesures d’équité et afin d’initier un cercle vertueux. Nos préconisations s’appuient sur une conviction partagée par une majorité des contributeurs à ce Livre blanc, à savoir que la seule application du principe de méritocratie, si profondément ancré dans notre société et notre système éducatif, n’est pas en capacité de garantir l’égalité des chances pour chaque jeune, quelle que soit son origine sociale, culturelle ou territoriale. Nous invitons donc à un changement de paradigme remettant en cause l’application du seul principe méritocratique que l’on a érigé en mythe fondateur de « l’égalité républicaine ». Nous avons récemment présenté au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ce nouveau dispositif d’ouverture sociale que le Groupe INSA propose d’expérimenter. Ce projet en rupture pourrait constituer un véritable démonstrateur pour l’ensemble de la communauté de l’ESR. Nous pensons que l’INSA a toute légitimité pour innover sur le sujet de l’ouverture sociale et nous espérons enclencher une dynamique collective en entraînant dans notre sillage d’autres grandes écoles et en influant sur les politiques publiques. 

 

[1] L’emploi du masculin est utilisé à titre épicène.
[2] Enseignement supérieur et recherche