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10 juin
10/juin/2020

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Le plastique, l’Homme et la mer

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir1 »

 

Durant neuf mois, ils ont sillonné l’Atlantique nord à la voile. Entre rêve un peu fou et conscience scientifique, quatre étudiants de la région rhônalpine avaient hissé la grand-voile depuis Concarneau jusqu’aux Antilles, traversant le 7e continent, « le monstre de plastique ». Phénomène symptomatique d’une urgence environnementale qui n’est plus à prouver, le continent de plastique est encore mal connu. À l’occasion de la Journée Mondiale des Océans, Guillaume Marcelin, membre de l’équipage et étudiant de l’INSA Lyon, revient sur son voyage. Cap sur une triste réalité.

Juin 2018. À bord du « Chercheur », Guillaume Marcelin, étudiant en 5e année au département informatique de l’INSA Lyon, Cédric et Grégoire, étudiants à l’ENS Lyon et Adrien, de l’Ensimag-INP Grenoble s’embarquent dans une folle aventure : traverser l’Atlantique Nord afin d’étudier l’impact de la pollution plastique. Depuis la Bretagne, faisant cap sur les Açores puis les Antilles, l’équipage étudiant a vécu neuf mois sur un voilier de 35 pieds2. « Le projet ExploraGyre est né grâce à un ami d’enfance étudiant à l’ENS. Je n’y connaissais rien au monde maritime ! J’ai fait confiance au capitaine car à l’époque, c’était surtout la folie du projet qui m’avait attiré. Au début, nous voulions faire de la voile, et naturellement, nous avons donné à ce voyage une dimension scientifique. L’océan regorge de beauté, mais il est aussi la première victime du réchauffement climatique », explique Guillaume Marcelin.

Traverser l’océan pour étudier la pollution plastique, oui. Mais à bord d’un navire sûr et durable. « En récoltant des fonds à travers notre association, Oceasciences, nous avons réussi à reconfigurer les éléments de sécurité du Chercheur, qui datait de 1992 et qui n’était pas prévu pour la haute-mer. Des panneaux solaires fournissaient l’énergie utilisée pour les instruments de navigation et les expérimentations scientifiques. Nous avons aussi installé un récupérateur d’eau pour nos usages quotidiens. Nous sommes partis avec le strict nécessaire et du matériel plutôt faible », avoue Guillaume, responsable technique du projet. « Quand le pilote automatique nous a lâchés, il a fallu trouver des solutions de secours pour ne pas s’épuiser à tenir la barre pendant dix heures de navigation. Le maître-mot a été la débrouille, mais dans le monde marin, il existe une entraide très importante. Ces rencontres avec les marins et pêcheurs nous ont permis de les sensibiliser à la cause environnementale ».

À la poupe du Chercheur, naviguant dans les traces du navire, deux bouées surplombant un filet manta : afin de déterminer la concentration et les différents types de micro-plastiques présents dans l’eau, l’équipage laissait traîner l’outil de mesure derrière lui. Semblable à une grande chaussette, le filet de mailles fines pêchait au fil de l’eau des petites particules, que l’équipage scientifique récoltait et annexait pour analyse à leur retour en France. « La récolte, lorsque les conditions météo permettaient de jeter le filet, était toujours terrifiante. Elle était composée de petits éléments, qui ressemblaient à des cailloux ou des bouts de nacres. En réalité, ce sont des déchets plastiques qui se désagrègent sous l’exercice du frottement, du courant, du vent et des radiations du soleil », explique Guillaume. Fallacieuse et invisible, la pollution plastique s’immisce dans chaque recoin de la planète terre, jusqu’aux mers et océans. Chaque année, environ 4 et 12 millions de tonnes de plastique sont rejetées dans les eaux. Parfois aussi gros que du plancton, les poissons ingèrent ces débris plastiques et se retrouvent contaminés, comme les recherches des étudiants le montrent. « L’autre partie importante de notre périple scientifique consistait à pêcher des poissons, pour notre consommation personnelle notamment, puis pour nos recherches. Il s’agissait de les disséquer et d’analyser l’intérieur de leurs estomacs. Nous avons noté que 24% des poissons pêchés étaient contaminés par des particules de plastique », prévient tristement l’étudiant. 

En s’accumulant au cœur des gyres océaniques, ces tourbillons de courants marins, les déchets plastiques provenant de l’activité humaine se dispersent dans nos océans, si nombreux qu’ils forment de véritables continents. De la terre ferme aux fonds de la mer, comment serait-ce possible ? Pour Bernard Chocat, professeur émérite de l’INSA Lyon et spécialiste de la gestion durable de l’eau, l’équation est simple. « Il suffit d’un coup de vent ou de pluie pour que le mégot3 que vous venez de jeter se retrouve dans une rivière, rejoigne un fleuve puis la mer. Nous avons tendance à penser que les grilles de tout-à-l’égout de nos villes sont en capacité d’avaler tout et n’importe quoi, car rejoignant le réseau, le déchet encombre le système de traitement des eaux usées, qui déborde. La problématique est la même pour une lingette ou un coton-tige jeté dans les toilettes. Traitées dans un réseau unitaire, les eaux pluviales et domestiques sont rassemblées et évacuées dans un même réseau ; cependant la capacité de nos stations d’épuration n’est pas adaptée à des débits intenses les jours de grande pluie par exemple : le trop-plein d’eaux usées est évacué par des déversoirs d’orage, directement vers le milieu naturel où nos déchets ne sont pas filtrés. Dans le cas d’un réseau de traitement séparatif, les eaux pluviales, et donc le mégot jeté à terre, sont acheminés directement vers le milieu naturel », alerte le Professeur émérite, rappelant l’importance de l’action de chacun dans la réduction de consommation de déchets plastiques au quotidien.

En traversant l’Atlantique, l’ultime mission des quatre étudiants de l’équipage du Chercheur était de sensibiliser. En intervenant auprès de différents publics, à travers des approches scientifiques et écologiques. « Nous avons rencontré des élèves dans les Antilles, dans des écoles et des alliances françaises. Deux écoles de la région lyonnaise, à Givors et à Fitilieu ont aussi suivi nos aventures, quotidiennement. Pendant le périple, nous faisions aussi des interventions dans les ports et les marchés et puis nous sensibilisions les marins que nous rencontrions au quotidien, car la pêche est aussi une source très importante de rejets plastiques. Comprendre comment les déchets se retrouvent dans l’océan est certainement la première étape pour pouvoir soi-même éviter d’être à l’origine de cette pollution », ajoute Guillaume.  

Si la fin du périple a été délicate pour les quatre membres de l’équipage, le retour à la terre ferme leur a laissé le goût de changer les choses. « Au bout de neuf mois, à quatre dans un monocoque de quelques mètres de long, les tensions se faisaient sentir. Nous n’avions qu’une envie : rentrer. Mais tout ce que nous avions vu et vécu pendant ces mois avait donné la direction de ce que nous voulions accomplir à notre retour : contribuer à changer la donne », conclut l’étudiant de l’INSA Lyon.

 

Faut-il laisser l'océan au repos ? [Pop’sciences Forum]
À l’occasion de la Journée Mondiale des Océans le 8 juin dernier, l’Université de Lyon organisait un cycle de conférence sur le devenir des fonds marins. 

 

1 Charles Beaudelaire, Les fleurs du mal, Paris, Éditions Michel Lévy Frères, 1868, p. 105.
2 10 mètres de long
3 Le filtre d’un mégot de cigarette est généralement constitué d’acétate de cellulose, une matière plastique. 

 

 

Pour aller plus loin sur le sujet : 
Podcasts « Les cœurs audacieux » -  Saison 1 / Épisode 4 - 27 mai 2021