Formation

13 mar
13/mar/2023

Formation

De Mayotte à l’INSA Lyon : oser les études supérieures

Il y a deux et trois ans, Aboubacar Assani et Elwafa Hamidi arrivaient en Métropole pour suivre des études d’ingénieur à l’INSA Lyon. Aujourd’hui en deuxième année de FIMI1, ils mesurent le chemin parcouru depuis qu’ils ont quitté l’île de Mayotte. Ils se revoient jeunes bacheliers, laissant derrière eux leurs repères. S’ils étaient bien décidés à suivre des études supérieures, ils ne pouvaient à cette époque ignorer les craintes suscitées par le départ du nid familial mahorais, les températures hivernales, les nouvelles habitudes alimentaires ou les nouvelles méthodologies de travail. Après avoir fait le grand saut vers le supérieur, ils ont souhaité faire profiter de leur expérience pour susciter les ambitions scolaires de leur cadets mahorais. C’est ainsi que, dans le cadre d’une intervention chapeautée par l’Institut Gaston Berger et les cordées de la réussite, les deux élèves-ingénieurs se sont rendus à Mayotte en février dernier. À la lumière de leur expérience personnelle et accompagnés par François Rousset, enseignant-chercheur, ils ont ouvert le dialogue avec des jeunes lycéens du 101e département français. Ils racontent.

« L’accès à l’information sur les études supérieures à Mayotte n’est pas toujours facilité » 
Face aux assemblées de jeunes oreilles attentives, Elwafa Hamidi s’est revu, lycéen. Très bon élève, il se souvient que très peu d’établissements de l’enseignement supérieur métropolitain ne franchissaient l’Océan Indien. « Je ne connaissais les études supérieures qu’à travers le parcours de ma sœur, aujourd’hui infirmière. Plus jeune, j’ai longtemps nourri le souhait de rejoindre le milieu médical car c’était le seul exemple que je connaissais. Lorsqu’une enseignante de l’INSA est venue présenter les études d’ingénieur, le déclic s’est fait. Même si je n’avais pas tout à fait compris tous les contours du métier qu’elle avait dépeint, j’ai su que c’était ce que je voulais devenir : ingénieur. Je crois que ces rencontres de terrain sont très importantes pour informer les jeunes des territoires d’outre-mer et leur permettre d’avoir une chance d’accéder aux études de haut-niveau. »

 

Atelier de la fresque du climat, conférence d’initiation à la science appliquée et intervention
dans les cours de travaux pratiques ont permis de montrer comment les notions apprises
au lycée pouvaient être étudiées dans l’enseignement supérieur.

 

« On ne vit pas au même rythme en Métropole et sur une île » 
L’île de Mayotte, département français depuis 2011, compte plus de 100 000 jeunes lycéens et collégiens
2. Parmi eux, nombreux sont les élèves qui, malgré des capacités scolaires soulignées par les professeurs du secondaire, cachent sous le tapis la possibilité des études supérieures. « À la sortie du lycée, je n’étais pas sûr d’avoir le niveau pour faire des études poussées, même si mes profs me disaient le contraire. Ajouté à cela que la France vit sur un autre rythme, j’ai mis longtemps avant de faire le choix de poursuivre mes études à Lyon où je ne connaissais personne. Et puis avant d’arriver à l’INSA, j’avais peur de l’inconnu, pour des raisons qui peuvent peut-être paraître ridicules : la vie sociale différente, un pays plus grand, l’éloignement de ma famille, le passage du lycée au supérieur… Mais une fois que l’on saute le pas, on découvre ses propres capacités à s’adapter. C’est pour cette raison qu’il m’a paru important d’aller discuter avec des lycéens de mon île : pour les inciter à dépasser leurs craintes et leur dire que c’est possible », explique Aboubacar Assani, en deuxième année de FIMI. 

 


Invités par des médias locaux, Elwafa et Aboubacar ont diffusé
leur message d’incitation jusqu’aux familles des lycéens mahorais. 

 

« Bien sûr, les premiers amphis, c’était compliqué » 
Pendant leurs rencontres sur l’île, les deux étudiants ont insisté. Si l’adaptation à la vie métropolitaine s’est faite naturellement pour eux, pour réussir ses études d’ingénieur, il faut être persévérant. « Je me souviens de mon premier cours en amphi : le prof parlait en faisant défiler sa présentation. J’attendais patiemment que l’enseignant nous donne du temps pour noter le cours. Et puis j’ai jeté un œil sur la feuille de mon voisin : il en était déjà à sa deuxième copie double ! Je n’avais pas l’habitude de la prise de note ; j’ai dû apprendre à apprendre, avec de nouvelles méthodes. Ça a été plus ou moins long pour moi, mais j’avais la chance de pouvoir compter sur mon colocataire et mes amis. Je ne me suis jamais retrouvé seul », poursuit Elwafa.
 
« Je voulais transmettre un message d’encouragement aux Mahorais »

Lors de leur mission, Aboubacar et Elwafa se sont montrés rassurants. « Beaucoup de lycéens s’interrogeaient sur l’aspect pratique de faire des études en Métropole : comment prendre l’avion, le train ou récupérer les clés de sa résidence sur le campus. Je crois que nous avons réussi à en rassurer certains avec ces petits détails. L’INSA proposant l’hébergement et la restauration sur le campus, c’est sécurisant lorsque l’on arrive dans un nouveau pays », indique Aboubacar. Et Elwafa d’ajouter. « Mayotte est un territoire en plein développement, en manque d'infrastructures, d'ingénieurs, de médecins... Encourager les jeunes à s'orienter vers des formations exigeantes est primordiale pour l'avenir de mon île. Je voulais transmettre un message d'espoir et d'encouragement aux étudiants mahorais. Je crois que nous avons réussi à passer le message que la peur de l'échec ne doit en aucun cas être un frein pour candidater dans des filières exigeantes. J'ai moi-même redoublé ma première année en arrivant à Lyon, et je l’ai vécu comme une seconde chance et qui m'a encouragé à redoubler d'efforts. »

Aboubacar devant une assemblée d’élèves, au lycée des Lumières à Mamoudzou.

 

« Il est difficile de se projeter dans un métier quand on n’a pas d’exemple autour de soi »
Faire germer la volonté de poursuivre des études ambitieuses dans l’esprit des élèves était donc le but principal de ces échanges comme l’explique François Rousset, enseignant-chercheur et ancien directeur de la filière Formation Active en Sciences, aujourd’hui INS’AVENIR
3. « La question de la confiance en soi et de la légitimité est souvent la clé de voûte pour franchir le pas des études supérieures et éviter l’autocensure. La problématique est sociologique : il est difficile de se projeter dans un métier que l’on n’a pas en exemple dans son entourage proche. Il était important que les étudiants investis sur cette mission soient mahorais. La prochaine fois, j’espère que cette mission pourra aller plus loin et compter sur le partage d’expérience d’une étudiante pour faire naître l’ambition chez les lycéennes mahoraises. » 

« L’Institut Gaston Berger permet à l’établissement de répondre à sa mission d’information sur la formation d’ingénieur pour tous les élèves du territoire français. Les départements et régions d’outre-mer disposent de peu de formations post-bac locales. Il est donc important de faire connaître les possibilités de formation, dans un souci d’égalité des chances. L’INSA Lyon et les écoles du Groupe INSA proposent d’ailleurs un accompagnement spécifique pour ces élèves », conclut Anna Loehr, chargée de mission ouverture sociale à l’Institut Gaston Berger de l’INSA Lyon.

Pour en savoir plus :

 

 
[1] Formation Initiale aux Métiers d’Ingénieurs
[2] Présentation de l'Académie de Mayotte
[3] Nouvellement ouverte à la rentrée 2023, la filière INS'AVENIR accueillera des élèves issus des baccalauréats technologiques STI2D et STL et des élèves issus du baccalauréat général ayant suivi une seule spécialité scientifique en Terminale : Mathématiques ou SI / NSI / PC + l'option Maths complémentaires.