
Formation
« Je dois beaucoup à ceux qui m’entourent et dont j’ai croisé la route »
Quelques mèches blondes décolorées trahissant de longs jours de traversées en mer et un sens du contact sans commune mesure : Achille Nebout, 34 ans, est un skipper-ingénieur qui a le vent en poupe. La voile l’aura mené jusqu’aux bancs de l’INSA Lyon, au sein de la section sportive de haut niveau dont il sortira diplômé en 2016. Portrait d’un navigateur ingénieux, résilient et pour qui le sens du collectif représente quelque chose de précieux.
Entre persévérance et défis
Comme une ironie du sort, c’est une maladie de croissance touchant son talon qui pousse Achille Nebout vers la voile. Depuis l’Hérault, sa région de naissance, il découvre la navigation à travers l’expérience d’un skipper et ami de la famille. Kito de Pavant l’initie à ce sport qui n’est pas des plus connu en mer Méditerranée. Et Achille tombe dedans, petit : ce sport complet et physique réjouit le jeune montpelliérain qui trouve grisant de se retrouver seul sur les quelques mètres carrés d’un Optimist. De fil en aiguille, il pousse la porte de l’INSA Lyon. Il passera son diplôme d’ingénieur en 8 ans, en intégrant la section sportive de haut niveau. « Les premières années étaient si intenses et représentaient un gros changement par rapport au lycée, mais j’en garde des souvenirs très heureux. Dès la deuxième année, j’enchaînais les allers-retours entre Lyon et Marseille pour me rendre au Pôle France que j’avais tout juste intégré. À ce moment-là, je passais aux choses sérieuses : on visait l’olympisme », se remémore Achille Nebout. Dans une organisation logistique éprouvante, menant l’élève-ingénieur aux quatre coins de l’Europe, le ton est donné. Si la vie est faite de défis, Achille Nebout les relèvera tous, avec persévérance et humilité. « La voile implique des déplacements de longue durée, ce qui nécessitait un aménagement supplémentaire dans mon emploi du temps déjà aménagé par rapport aux parcours classiques. Je dois beaucoup à mes potes dans toutes mes années d’études, pour tenir le coup et ne pas être à la ramasse sur les cours ! Et heureusement, car en SHN, malgré les aménagements, il n’y a pas de traitement de faveur. On ne nous fait pas de cadeau et le niveau est aussi élevé que pour les autres élèves. »
De la rudesse du monde sportif
Fils d’architectes, Achille file tout droit au département génie civil et urbanisme1. Un domaine dans lequel il a baigné « depuis tout petit, mais dont il ressent l’envie d’explorer pour ouvrir le champ de ses compétences ». En parallèle de son entrée en département, le projet olympique se précise. Recruté par Nicolas Charbonnier, médaillé olympique en 2008, ils sont en lice pour représenter la France aux Jeux Olympiques de Rio de 2016. « En voile olympique, la compétition est très rude : un seul bateau peut être qualifié pour représenter la France ». Par un concours de circonstances et malgré une seconde place décrochée en phase de qualifications, le projet s’arrête net. Le jeune voileux, encore étudiant, commence à saisir les difficultés du milieu ; une période de grands questionnements, durant laquelle il s’amarre à ses études. « J’ai réalisé à quel point c’était dur et j’avais la tête dans le guidon. J’ai soufflé un peu et j’ai mis la priorité sur la fin de mes études. Il fallait finir ce que j’avais commencé et d’ailleurs à cette époque, rien n’était écrit pour que je fasse de la voile mon métier. »
À peine diplômé en 2016, l’ingénieur fait de nouveau face à un choix. « Dois-je commencer à travailler en tant qu’ingénieur ou dois-je tenter l’expérience en tant que navigateur et sportif de haut-niveau ? ». La décision est vite prise pour celui qui commence à être rétribué pour naviguer. « Je venais de créer ma micro-entreprise pour être rémunéré en tant qu’équipier et le tour de France à la voile permettait de gagner sa vie sur une saison complète. En voile, les projets sont très précaires. Tout peut s’arrêter du jour au lendemain, il faut savoir s’adapter en permanence ». Et la fin de la saison ne fera pas exception : en 2018, un projet prend fin prématurément et la remise en question refait surface. Alors il se laisse inspirer par des skippers qu’il admire parmi lesquels, un ancien camarade d’école avec qui il partage quelques points communs. Achille Nebout entre dans les pas de François Gabart : « l’INSA Lyon, la voile… et la course au large ! ».
Dans la course des (très) grands : prendre le large
Après l’école de l’olympisme, il est l’heure pour le skipper de s’attaquer à une course mythique : la Solitaire du Figaro Paprec. Alors sans sponsor, Achille Nebout s’en va, auprès de sa banque, défendre son projet. « C’était l’année où le circuit Figaro changeait de bateau. Les compteurs étaient plus ou moins remis à zéro, même pour tous les ténors de la course. Alors j’ai investi dans un Figaro 3 et je me suis mis à faire de la recherche de sponsors. C’est une chose de naviguer et une autre que de créer une dynamique autour de soi ! Et puis j’ai été contacté par un grand Figariste, Xavier Macaire, avec qui j’ai mis au point le bateau et qui m’a beaucoup appris », ajoute Achille. Pour sa première Solo Maître Coq, Achille Nebout gagne la première manche, juste devant Armel Le Cléac’h. La machine est lancée. « Imaginez : gagner une première manche en tant que bizuth, alors que je passais ma première nuit en mer seulement deux mois auparavant et en prime, devant un marin qui m’a toujours fait rêver ! »
Après une 7e place pour la transat Jacques Vabre aux côtés de son mentor Kito de Pavant, l’année 2019 est une année de toutes les premières pour l’ingénieur voileux. « Je crois que je commence à marquer les esprits à ce moment-là. Je suis un outsider et j’ai la niaque. »
Podium en Figaro (Crédits : Alexis Courcoux)
Virtual Regatta : des salles informatiques de l’INSA Lyon au sponsor coup de cœur
Si Achille Nebout compte sur une détermination sans faille, l’homme qui célèbre les joies autant que les difficultés voit sa saison réduite comme beaucoup, à cause de la crise sanitaire. Poussé par son entourage, il renoue avec un vieil amour de ses années d’études ; le jeu Virtual Regatta, réplique digitale de la course du Vendée Globe. « Le jeu a explosé pendant le confinement et je le connaissais bien pour y avoir joué de nombreuses heures dans les salles informatiques de l’INSA, quand le réseau Wi-Fi faisait des siennes… Sauf que cette fois, j’étais identifié parmi les skippers pro ! » Une participation qui n’est pas passée inaperçue pour Claude Robin, président-fondateur d’Amarris qui lui propose de sponsoriser son bateau, numériquement. « C’était inouï et ça avait fait l’objet de nombreux articles de presse, car nous avons continué l’aventure dans la vraie vie, une fois la crise sanitaire passée. C’est d’ailleurs grâce à cette rencontre, couplée à mon autre sponsor, Primeo Energie, que je commence à faire des courses beaucoup plus confortablement et pour lesquelles j’obtiens de bons résultats. »
Par ailleurs, il fait interagir son projet de course au large avec le monde artistique, à travers diverses collaborations ; une façon de soutenir des personnalités dont il affectionne les créations et de nourrir leurs métiers respectifs. Franck Noto, street artist, intervient ainsi sur le design de son Figaro en 2021. « J’ai aussi rencontré le musicien Simon Henner, Franch79, avec qui j’ai collaboré sur plusieurs projets, dont un documentaire. Pour la petite anecdote, la première fois que j’ai vu Simon, c’était sur la scène de 24 heures de l’INSA, alors qu’il jouait avec son premier groupe ! Une dizaine d’années plus tard, on travaille ensemble », s’amuse le skipper.
Le bateau d’Achille Nebout designé par l’artiste de rue Franck Noto (Crédits : Robin Christol)
En 2022, Achille Nebout décroche la 3e place sur la Solitaire du Figaro. « Un grand moment de ma carrière, qui fait beaucoup de bien et concrétise énormément de travail avec les sponsors et tous les membres de mon équipe. »
Seul face aux éléments…
Premiers podiums : Achille Nebout est désormais dans la cour des grands. Il se professionnalise et son nom commence à être reconnu. Mais son plus grand défi d’alors, se trouve sur le bateau : entre lui et lui-même. « Dans ce sport, on est en prise avec des éléments qui ne dépendent pas de nous. Le vent est insaisissable et peut vous faire vivre des situations injustes et générer une frustration immense qu’il faut savoir gérer pour rester performant. On se met dans des états assez compliqués, avec peu de sommeil et pour certaines courses, on est coupé du monde. Tout se passe dans la tête et seul face aux éléments, on se rend compte que notre cerveau et notre corps peuvent faire des choses insoupçonnées. La préparation mentale est indispensable, en parallèle de la préparation physique et technique, car même si l’instinct de survie est vraiment très fort, il faut savoir développer ses bons réflexes ». Depuis cette année, Achille Nebout est devenu papa. Une nouvelle étape qui jouera dans sa navigation. « La perspective de tout ça a changé depuis que ma fille est arrivée. Je ne naviguerai plus de la même façon. »
… mais le sens du collectif comme boussole
Désormais sur un monocoque de la Class 40, c’est sur des courses transatlantiques que le navigateur évolue depuis ; avec plusieurs victoires et podiums en double et équipage à son actif. « La prochaine Route du Rhum sera en solitaire ! », annonce-t-il. Mais ne nous y trompons pas : une course en solitaire est toujours accompagnée. Achille Nebout n’a de cesse de souligner le rôle de son entourage et de son équipe dans ses différents succès. « Tous les marins le disent. Ce dont je suis le plus fier, ce sont les gens qui sont parfois dans l’ombre et à qui l’on doit 90 % de nos performances. J’ai beau être ingénieur, une casquette très pratique quand il s’agit de routage météo, de structure ou d’électronique, de conception ou d’amélioration de nos bateaux, mais la fidélité et le sens de l’humain sont des valeurs indispensables à tout bon skipper. Je dois beaucoup à ceux qui m’entourent et ceux dont j’ai croisé la route. »
[1] Aujourd’hui, le département génie civil et urbanisme s’appelle « génie urbain ».