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14 déc
14/déc/2022

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Crypto-prêts : de la tradition de village à la blockchain

Dans de nombreux pays émergents, il est difficile d’entreprendre pour les personnes disposant de faibles revenus. La plupart des prêts accordés par les banques traditionnelles étant des prêts garantis, les termes et conditions ne sont pas toujours faciles à remplir pour les emprunteurs. C’est le cas en Indonésie, le pays d’origine de Wisnu Uriawan, où ces barrières empêchent certains de créer ou de développer une activité génératrice de revenus. 
Docteur de l’INSA Lyon depuis quelques mois, il a passé ses quatre années de doctorat au LIRIS1 à étudier des solutions d’émancipation financière par la blockchain. En s’inspirant de modèles informels de prêts traditionnels de villages africains, le désormais docteur a travaillé à mettre en place une plateforme, « TrustLend », pour faire se rencontrer emprunteurs, recommandataires et prêteurs. Il a récemment obtenu le prix Mahar Schützenberger, une récompense franco-indonésienne pour la qualité de ses travaux de thèse.

 Wisnu UriawanFavoriser l’émancipation et l’inclusion financière
Acheter du matériel agricole, une machine à coudre pour lancer un micro-business, financer une opération chirurgicale ou des frais de scolarité… Pour les citoyens de certains pays émergents, il est parfois difficile de mobiliser de l’épargne pour faire évoluer son activité et améliorer son niveau de vie. Pour pallier cette situation, des systèmes de micro-crédits de particulier à particulier ont vu le jour. Aussi, le développement exponentiel de la technologie blockchain et des cryptomonnaies dans les pays émergents semblent également avoir trouvé des applications dans le secteur financier : les prêts peer-to-peer sur la blockchain pourraient représenter un volume estimé à près d’un billion de dollars d’ici 2050. Témoin de la situation dans son pays, Wisnu Uriawan a rejoint le LIRIS il y a quatre ans avec cette idée : rendre accessible le système de prêt de pair à pair grâce à la technologie blockchain et aux smart contracts.

Redéfinir la fiabilité d’un emprunteur grâce à la communauté
En s’inspirant d’un système informel de prêt au sein de certaines communautés, Wisnu a imaginé un fonctionnement permettant de remplacer tout ou partie des garanties bancaires exigées traditionnellement par les organismes prêteurs pour les remplacer par un mécanisme de réputation sociale. Comme dans certains villages africains, l’engagement de la communauté ferait office de soutien au demandeur. « Mes travaux de thèse proposent que la fiabilité des emprunteurs soit utilisée comme alternative dans les demandes de prêts afin que les emprunteurs ne soient plus accablés par des garanties ou garants. La principale problématique était de réussir à calculer de manière fiable, cette fiabilité », explique le docteur.
Wisnu et ses encadrants de thèse ont ainsi développé le modèle « LAPS », pour « Loan risk Activity, Profile and Social recommendation2 », permettant de calculer un « score de fiabilité » pour chaque emprunteur. « Nous introduisons la notion de recommandation sociale en soutien à l’emprunteur en fonction de certaines variables telles que le risque de prêt, son activité, son profil ou son projet. Ce score peut aider à convaincre les prêteurs et les investisseurs de lui accorder des prêts avec peu ou pas de garanties classiques. »

Un prêt sans banque, grâce à la blockchain et aux smart contracts
Une fois la fiabilité de l’emprunteur reconnue par les pairs, comment contractualiser la transaction, sans l’intervention d’un organisme bancaire ? « Les smart contracts, ou contrats intelligents, sont des programmes codés alimentés par la blockchain. Ils peuvent faire office d’intermédiaires entre les pairs de manière sécurisée et où toutes les règles classiquement convenues peuvent être appliquées », explique Wisnu. Comptant sur les vertus de traçabilité et de partage de données de la blockchain, les conditions et termes du smart contract sont ainsi visibles par tous, obligeant à la bonne exécution du contrat. L’autre avantage du smart contract réside dans le coût d’exécution : en évitant une grande partie des intermédiaires, le processus de contractualisation bénéficie de coût réduit ; un avantage notable par rapport aux crédits classiques dont le coût est relativement élevé. Reste à lever l’un des freins majeurs du système : le jugement lors d’un litige, avis duquel la blockchain ne pourrait pas se substituer à l’humain.

Une plateforme qui fait se rencontrer emprunteurs et prêteurs
C’est ainsi que Wisnu Uriawan a souhaité voir ces années de travaux sur la blockchain et les smart contracts se concrétiser : en développant une application dédiée à la rencontre entre emprunteurs et prêteurs. Intitulée « TrustLend », le logiciel, s’il est prêt à être déployé, doit encore attendre certaines évolutions de la régulation. « Je viens d’un pays émergent où j’imagine une application très vertueuse de ce système. L’idée est d’aider des gens dans le monde, pas de faire du profit. Je suis rentré à Java désormais, et j’ai apporté cette idée dans mes valises. Je suis persuadé que, pour les emprunteurs, ce système sera très utile, par exemple pour un agriculteur qui ne pourrait pas acheter son tracteur comptant. » 
La blockchain, qui se trouve également être au service de la finance participative, le crowdfunding, pourrait trouver sa place entre finance, anthropologie et informatique. « La blockchain a beaucoup à apporter au secteur financier en matière de transparence des transactions. Si l’on ajoute à cela la confiance accordée par la communauté, on peut espérer créer un cercle vertueux où plus vous avez fait preuve de fiabilité et plus vous obtenez un score recommandable par la communauté. C’est une autre façon de penser les prêts financiers et l’argent en général. » 

 

[1] Laboratoire d’Informatique en Images et Systèmes d’Informations (CNRS / INSA Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Lumière Lyon 2 / École Centrale de Lyon)
[2] Risque de crédit, Activité, Profil, et Recommandation sociale