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« Certains plastiques biosourcés sont considérés comme des perturbateurs du recyclage »
Depuis quelques années, des nouveaux matériaux polymères ont fait leur apparition. Biosourcés, ils offriraient une alternative aux plastiques conventionnels. Mais sont-ils vraiment plus écologiques ? Valérie Massardier, chercheure au laboratoire Ingénierie des Matériaux Polymères1 est co-porteure du projet « Bioloop ». Menée en collaboration avec deux autres laboratoires, le GREDEG et Triangle, l’étude s’attache à montrer les freins dans le développement des bioplastiques. Pourquoi nos emballages à usage unique ne sont-ils pas (encore) tous fabriqués en plastique biosourcé ? Valérie Massardier répond.
Qu’appelle-t-on un plastique biosourcé et quelle est la différence avec les plastiques qui constituent les emballages de notre quotidien ?
Les « bioplastiques » désignent des polymères fabriqués à partir de la biomasse, partiellement ou totalement. D’origine végétale ou animale, les biopolymères peuvent provenir de différentes molécules comme la caséine du petit lait, d’acide lactique extrait de l’amidon de maïs, de chitosane présent dans les carapaces de crevettes… En fait, on distingue deux types de plastiques biosourcés. Il y a ceux qui imitent les matériaux pétrochimiques comme les « PE » ou « PET » qui constituent la majorité de nos emballages. Ces derniers polymères peuvent être obtenus à partir de pétrole ou de biomasse. Et puis il y a les nouveaux, les polymères « drop in » : ceux qui n’ont jamais été produits à partir de pétrole. Ces polymères « de rupture », biosourcés, sont souvent biodégradables. Concrètement sur le marché, il y a encore peu de bioplastiques. On estime qu’ils représentent 1 % à 2 % de la production mondiale.
Pourquoi ces matériaux « de rupture » peuvent-ils être une ressource intéressante pour le futur ?
Face à l’épuisement des stocks de ressources fossiles, ces matériaux promettent une certaine indépendance au pétrole, dont nous ne disposons pas directement en Europe. Cependant, cet affranchissement de la pétrochimie serait partiel, car pour extraire des éléments de la biomasse comme l’amidon de maïs, notre agriculture a besoin de carburant, de produits phytosanitaires généralement issus du pétrole… D'autre part, la plupart des biosourcés se dégradent plus facilement que les plastiques conventionnels. On peut imaginer des objets qui tirent parti de cette propriété comme les films de paillage pour l’agriculture, pour remplacer ceux en polyéthylène qui libèrent des microplastiques relativement stables dans les sols.
Pourquoi ces bioplastiques ne sont-ils pas plus largement développés ?
Dans le cadre du projet Bioloop, deux étudiants stagiaires ont étudié les freins qui empêchaient le développement de l’acide polyactique (PLA), un substitut utilisé pour des emballages alimentaires. Il semblerait que le problème soit davantage d’ordre économique et marketing. Benjamin Sandei, en 5e année en Sciences et Génie des Matériaux s’est d’abord intéressé à la recyclabilité du PLA. Il a pu montrer que c’était un polymère plutôt facile à recycler mécaniquement : malgré un petit jaunissement de la matière, les propriétés mécaniques restent bonnes. Donc sur le plan technologique, le PLA est recyclable, mais dans la tête des consommateurs, un plastique jauni peut correspondre à un matériau dégradé, potentiellement mauvais pour la santé. Les metteurs sur le marché pourraient donc être plus frileux à réutiliser ces matériaux, mal perçus par les consommateurs. D’un autre côté, les polymères biosourcés restent encore trop peu développés, limités à des applications de niche. Ils ne peuvent pas s’intégrer dans les filières traditionnelles de recyclage dont ils sont considérés comme des « perturbateurs ».
Donc les plastiques biosourcés ne sont finalement pas si écologiques qu’ils le laissent penser ?
À l’heure actuelle, un emballage biosourcé en polylactide (PLA) aura une fin de vie moins positive qu’un plastique pétrosourcé lorsqu'il s'agira de conserver le "stock matière" pour alimenter les industries. Récemment, la société Yumi, productrice de jus de fruits mettait sur le marché des bouteilles fabriquées à partir de PLA : elle s’est vu pénalisée par une taxe en raison du matériau utilisé, non compatible avec les infrastructures de recyclages actuelles. En fait, ces matériaux font face à une sorte de paradoxe où les entreprises voudraient bien faire en utilisant du biosourcé, mais d’un autre côté, le modèle n’est pas encore prêt à les accueillir. Les recycleurs attendent que les plastiques soient très utilisés par les metteurs en marché pour que leur recyclage soit rentable. Mais peut-on parier que le développement du PLA permettra de développer des filières de recyclage adaptées à ce dernier ? Léa Barbaut, en Master 2 Management de l'Innovation au sein du projet Bioloop a étudié la question : c’est un cercle vicieux aujourd’hui qu’il convient de transformer en un cercle vertueux.
Il faudrait donc tendre vers une économie circulaire pour que les bioplastiques soient vertueux. Quid de la loi anti-gaspillage qui fixe l’objectif de recycler 100 % des plastiques d’ici 2025 ?
Il est clair que pour avoir des économies d’échelle, il faut que ces matériaux de rupture émergent réellement. La diffusion de ces nouveaux polymères ne sera viable, tant sur le plan technologique qu'économique, que s’ils sont recyclables et recyclés. Tant qu’il n’y aura pas d’intérêt économique à les développer dans une perspective d’économie circulaire, ce sera difficile de basculer vers des filières spécifiques. C’est l’avis des économistes qui doivent nous guider dans l’orientation de nos recherches sur de nouveaux polymères. Dans tous les cas, il me semble important de souligner que le constat est toujours le même : une démarche durable implique de produire et consommer moins de plastiques, qu'ils soient issus de la biomasse ou du pétrole.

Le projet Bioloop (Projet PRIME - MITI du CNRS) est mené au sein de trois laboratoires : Ingénierie des Matériaux Polymères (INSA Lyon/Lyon1/CNRS), le Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion (GREDEG) et le laboratoire Triangle (ENS Lyon/CNRS/Sciences Po Lyon/Lyon 2/Jean Monnet).
▪️ Plus d’informations : https://miti.cnrs.fr/projet-multi-quipe/bioloop/
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[1] Ingénierie des Matériaux Polymères – IMP (INSA Lyon/Lyon1/CNRS

Vie de campus
Biodiversité : le cas d’école du campus de La Doua
Une récente étude scientifique franco-américaine parue en janvier dans la revue scientifique Biological Reviews revient sur les chiffres faisant état des espèces animales et végétales éteintes. Là où l’union internationale pour la conservation de la nature recensait 0,4 % d’espèces disparues, le calcul ne permettait pas de mesurer la quantité réelle d’espèces en cours d’extinction ou éteintes sur notre planète, prenant en compte uniquement les espèces vertébrées. Avec les espèces non-vertébrées, il y aurait entre 7,5 et 13 % d’espèces disparues depuis l’an 1 500 dans le monde. Pourtant, la biodiversité en danger peine à être considérée. Alors que faire pour accélérer la prise de conscience, à l’échelle locale ? D’abord, mettre le nez dehors, observer et prendre le pouls de la nature environnante : les forêts ne poussent pas au même rythme que les buildings.
Quand l’évolution naturelle déraille
« La 6e extinction de masse ». Non, ça n’est pas le titre d’un énième blockbuster actuellement à l’affiche mais bien le nom donné pour décrire l’effondrement en cours de la biodiversité. Majoritairement causée par les activités humaines, la sixième extinction succéderait à celle qui aurait causé la disparition… des dinosaures. Cette fois, pas de « météorite ou de volcanisme exceptionnel1 », mais plusieurs causes d’origine humaine. Elles sont au nombre de cinq selon l’IPBES2 : changements d’usage des terres et de la mer, surexploitation des ressources naturelles et d’espèces sauvages, pollution des eaux, des sols et de l’air, propagation d’espèces exotiques envahissantes et changement climatique. Toutes ces activités et phénomènes entraînent destructions et fragmentations des habitats, animales et végétales, avec une rapidité défiant les précédentes.
Si le scénario fait froid dans le dos, la crise de la biodiversité peine à être comprise, encore dans les coulisses lorsque la crise climatique prend le devant de la scène et ce, malgré l’interconnexion des deux urgences : le dérèglement climatique aggrave l’érosion de la biodiversité et la destruction du vivant accélère le réchauffement climatique. Est-ce par rationalisme moderne que nous feignons de ne pas comprendre pourquoi la crise de la biodiversité nous concerne nous, êtres humains ?
Campus de La Doua, avril 2020
Lorsque l’on vit en ville, il semble plus facile d’oublier le lien à la nature, pourtant même en zone urbaine, il existe une biodiversité à protéger. Avec ses 100 hectares, le campus de La Doua est idéalement situé entre le Parc de la Tête d’Or, le Parc de la Feyssine et du Grand Large. Il constitue un bon observatoire dans la zone périurbaine lyonnaise, qui ravit d’ailleurs les membres de l’association Aelbo3. « Depuis quelques années, nous travaillons à recenser la faune et la flore du campus, avec l’aide des étudiants passionnés de biologie. Le principe est simple : à travers une application en ligne, chaque usager peut participer à inscrire les espèces qu’il a observées sur le campus. C’est un inventaire précieux pour mesurer l’état de santé de la biodiversité de notre campus. », explique Loïs Guillot directrice du service interuniversitaire du domaine de la Doua (SIDD).
Arrivée en 2013, elle a vu plusieurs espèces animales et végétales protégées s’installer à nouveau sur le campus. « Nous avons tenté de multiplier les habitats naturels grâce à une méthode de gestion raisonnée et adaptée aux usages qui porte déjà ses fruits. Nous avons par exemple observé l’installation de faucons crécerelle, des rapaces dont le développement est en régression. Côté végétal, des zones de prairies ont permis l’accueil d’insectes pollinisateurs et ont engendré la réintroduction de nouvelles espèces d’orchidées sauvages sur le site. Nous sommes passés de 2 à 8 espèces différentes en l’espace de neuf ans ; c’est pour moi un bon indicateur de la diversité du milieu du campus. Il faut continuer », explique Loïs.
User des petites habitudes pour faire prendre conscience
Sur le terrain et au quotidien, c’est un rôle de funambule que joue l’équipe du SIDD pour s’adapter aux habitudes des usagers du campus et préserver les espaces pour la biodiversité. « Il faut trouver le bon équilibre entre le déploiement de refuges naturels et devancer les habitudes de déplacement des usagers. Mais souvent, trop souvent, on ne peut rien contre la personne pressée qui piétine ces espaces, sans savoir que son passage a des conséquences », ajoute la directrice du SIDD.
La communication et la sensibilisation, si elles sont des outils puissants pour faire changer les mauvaises habitudes, ne sont pas toujours simples à déployer. « Je ne voudrais pas que l’on comprenne que l’on va sauver la planète juste en évitant de piétiner les espaces, non. La biodiversité se cache partout, il ne s’agit pas seulement du moineau ou du hérisson qui trouvent refuge dans le fond de votre jardin. La biodiversité sont des écosystèmes dont nous faisons partie, et s’il tombe, nous tombons avec lui. C’est un système dont l’ampleur des conséquences sont difficiles à percevoir, mais faire comprendre que passer par un chemin de traverse pour aller plus vite peut empêcher les futurs arbustes de pousser, et donc d’amener les insectes qui feront évoluer les écosystèmes… Et ainsi de suite. Pareil pour ne pas jeter ses mégots et déchets par terre, ou cueillir des fleurs pour s’en faire un joli bouquet dans son bureau. C’est un mode de pensée global : nous partageons ces espaces avec d’autres espèces avec lesquelles il faut cohabiter, et même plus, dont il faut être reconnaissants. »
Reconnaissance, car la vie humaine lui est intimement liée : nourriture, pharmacopée, air pur… Une fois compris, les mécanismes valent mille chiffres alarmistes. « C’est d’ailleurs ce que nous essayons de transmettre lors de nos projets auprès des étudiants de génie énergétique et environnement avec les projets POLLEN. C'est une question à laquelle il est nécessaire de sensibiliser nos élèves-ingénieurs, au même titre que la question climatique ou l’épuisement des ressources qui seront abordés dans les nouveaux objectifs du chantier de l’évolution de la formation INSA. Peut-être que l'observation serait une bonne entrée en matière pour s'approprier le sujet. D’ailleurs, je crois que c’est aussi une façon de reprendre confiance et espoir face à ces constats difficiles. La première leçon est peut-être là : l’activité de la nature n’a pas le même rythme que nous, elle prend du temps. Pourtant, c’est elle qui bat la mesure de la grande symphonie de la vie », conclut Loïs.
1 Source : CNRS
2 La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques est un groupe international d'experts sur la biodiversité. Elle a été créé en 2012.
3 Association des étudiants de Lyon en Biologie des organismes de l’Université Lyon 1
4 Faucon crécerelle nicheur à Lyon et Villeurbanne
Podcasts « Les cœurs audacieux » - Saison 2 / Épisode 7 - 29 juin 2022

Sciences & Société
Recyclage : quels besoins de recherche pour une ville durable et désirable ?
Un colloque proposé par l'Association Nationale Recherche Technologie (ANRT), le cluster INDURA et l'INSA Lyon
Gérer de façon plus responsable nos modes de production et de consommation est un enjeu clé de la transition écologique. Parmi les pistes de solution, le développement d’une économie circulaire appelle des connaissances et des compétences nouvelles dans une grande diversité de domaines : matériaux, technologies, modèles économiques, gestion des territoires, règles juridiques et normes, stratégies de coopération, comportements et représentations, etc.
Ce colloque, qui fait écho à un travail collectif de plusieurs mois, a pour objectif d’identifier les besoins de recherche en matière de recyclage dans les domaines du BTP, de la construction et de la ville, à partir de retours d’expérience des entreprises, de la recherche publique et des collectivités. Les résultats ont vocation à alimenter les visions stratégiques des acteurs, ainsi que la programmation nationale de la recherche, notamment dans le cadre des stratégies d’accélération sur le recyclage et sur la ville durable.
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En présentiel ou sur le campus INSA Lyon
Mots clés

International
« Je suis parti à vélo pour limiter l’empreinte carbone de mon échange Erasmus »
Jules Ducas a passé son enfance dans le Massif Central, près du Puy-en-Velay. Cette proximité de longue date avec la nature lui aura inspiré, à l’âge adulte, une attention toute particulière à la question environnementale.
Alors que se présente à lui l’opportunité d’une mobilité à l’international dans le cadre de ses études de génie mécanique procédés polymères avancés, l’étudiant prend une décision audacieuse : il rejoindra son université d’accueil portugaise à vélo.
Avec 2200 kilomètres à parcourir en moins de 20 jours pour être à l’heure à la rentrée lisboète, il prouve qu’il est possible de voyager autrement.
À travers son projet, baptisé « altitrip – mon Erasmus à vélo », Jules questionne un enjeu important pour les établissements d’enseignement supérieur : celle de l’empreinte carbone des mobilités engendrées par les cursus des étudiants. Pour Jules, l’exploration prend son sens, non plus dans la destination, mais dans la façon de la rejoindre. Rencontre.
Vous êtes désormais arrivé à l’Instituto Superior Tecnico après avoir parcouru plus de 2000 km à vélo. Comment allez-vous ?
Très bien ! Je suis arrivé à Lisbonne sain, sauf et heureux. J’ai repris des forces et j’ai même repris la douce habitude de dormir dans un lit. À l’arrivée, j’étais finalement juste déçu ne pas avoir croisé de panneau marqué « Lisbonne » comme je l’aurais imaginé, mais j’étais fier, car deux jours avant, l’aventure avait failli s’arrêter pour cause de casse matérielle. L’arrivée à vélo a une saveur particulière que vous ne ressentirez jamais en posant le pied sur le tarmac d’un aéroport après deux heures d’avion. D’ailleurs, l’arrivée met un petit coup au moral, comme lorsque l’on rend le dernier partiel de l’année : c’est cool, mais c’est la fin de quelque chose. Enfin, pour ma part, ça n’était que la fin de ce trajet-ci, car j’envisage déjà de nouvelles destinations à rejoindre à vélo !
Un vol Lyon-Lisbonne dure 2 heures. Votre voyage a duré 18 jours. Comment se lance-t-on dans ce pari fou de rejoindre sa destination de mobilité Erasmus à vélo ?
L’objectif de ce projet était justement de prouver que le pari n’était pas si fou. J’ai, sur ce trajet, rencontré des gens qui faisaient des choses bien plus dingues ! Avec du temps devant soi, tout le monde peut voyager à vélo et puis si la fatigue se faire sentir, on peut prendre un train et continuer le voyage. Rien n’est grave !
Ce trip était ma deuxième exploration à vélo, car j’avais expérimenté le voyage à vélo entre la France et Budapest entre ma deuxième et troisième année d’études d’ingénieur. Au fond de moi, j’avais toujours eu cette idée de poursuivre le voyage à vélo, donc j’ai choisi une destination européenne. C’est tombé sur Lisbonne. Pour tout avouer, avant que la crise sanitaire n’enterre le projet initial, je visais une université uruguayenne, car je cherchais du dépaysement. À vélo, j’ai changé de regard sur le dépaysement : même à côté de chez soi, on peut se croire à l’autre bout du monde.
Comment se prépare-t-on à un tel voyage ? Aviez-vous des appréhensions particulières malgré votre expérience ?
Je n’avais pas vraiment de peurs, car j’avais en tête que j’allais être seul. Finalement, mon grand-frère s’est joint à l’aventure et a même pris dix jours de congés supplémentaires pour me suivre jusqu’à Lisbonne. J’étais très motivé à partir, malgré les longs mois de préparation de matériel, de budget et de démarches administratives. Ici, notre but était d’aller d'un point A à un point B, mais la seule chose à laquelle on ne peut pas se préparer, c’est l’imprévu. C’est finalement le plus enrichissant dans ce type de voyage : ressentir et appréhender les fondamentaux de la vie comme trouver de l’eau potable ou un endroit pour dormir.
Derrière votre projet « altitrip – mon erasmus à vélo » se cache une volonté de promouvoir une mobilité plus douce et durable. Quel rapport entretenez-vous avec l’urgence climatique en tant que jeune et futur ingénieur ?
Je m’aperçois qu'en arrivant à l’INSA, j’avais très peu de connaissance sur les enjeux climatiques. Je savais seulement que ça n’allait pas très bien. Puis, j’ai eu des prises de conscience fortes en m’intéressant au sujet jusqu’à m’en passionner. J’ai étudié sur le campus d’Oyonnax, plus petit que celui de Lyon et sur lequel j’ai pu m’engager scientifiquement, techniquement et politiquement. C’est difficile pour notre génération qui a grandi dans un système émetteur et qui se trouve à un moment crucial pour l’avenir de la planète. L’ordre de grandeur des changements est tellement immense que ça donne le vertige, mais j’ai envie de servir.
De quelle manière envisagez-vous de continuer à lutter contre le réchauffement climatique ?
Je sais que ça n’est pas en faisant des voyages à vélo que l’on va changer le monde. La preuve : je n’ai économisé « que » 330 kg de Co2, ce qui représente très peu par rapport à la consommation annuelle d’un français. Ce que je voudrais : que ce projet inspire, peut-être aux autres étudiants en passe d’effectuer leur mobilité, de repenser vraiment ce qu’est le dépaysement. En 2300 km, j’ai vu des choses aussi belles qu’à l’autre bout de la planète. Mais les choses qui vous traversent quand vous faites un tel voyage sont inestimables comme prendre conscience du poids des choses. Je suis persuadé que si chaque individu a l’occasion de ces prises de conscience, elles pourront ensuite collectivement faire avancer la lutte contre le réchauffement climatique. Pour ma part, je vais passer les six prochains mois à étudier à l’Instituto Technico pour rentrer (peut-être à vélo), obtenir mon diplôme et pouvoir agir dans le cadre de mon métier. C’est difficile pour un jeune étudiant ingénieur de trouver un job vertueux en accord avec ses valeurs. Mais bon, la difficulté n’est qu’une question de point de vue, comme l’a prouvé ce voyage.

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Co-UDlabs : l’INSA Lyon s’engage pour une gestion durable des eaux urbaines
Ne plus penser et construire la ville « contre l’eau », mais « avec l’eau ». C’est dans cette philosophie que s’inscrivent les recherches au sein du laboratoire DEEP1 de l’INSA Lyon. Pour répondre aux enjeux pressants de santé publique, d’inondations et d’environnement, DEEP participe au projet « Co-UDlabs », un projet européen dont l’objectif est de contribuer à faire évoluer les pratiques et l’innovation en matière de gestion des eaux urbaines. Jean-Luc Bertrand-Krajewski, enseignant-chercheur au département génie civil et urbanisme et au laboratoire DEEP, explique.
Longtemps, les villes ont été construites en étant imperméables à l’eau. La priorité était mise sur le traitement des eaux usées, que l’on pensait être les seules à contenir des polluants. « Cette vision héritée du 19e siècle a longtemps empêché de voir que les eaux pluviales nécessitaient une attention particulière en matière de propagation des polluants. Il faut savoir qu’avant de tomber au sol, l’eau de pluie est déjà polluée par les particules et les gaz présents dans l’air. Une fois tombée au sol, l’eau ruisselle et emporte avec elle des polluants nocifs pour l’environnement et la biodiversité. C’est ici que l’humain peut agir différemment. Aujourd’hui, beaucoup de villes sont en train de revoir complètement leur façon de gérer les eaux pluviales et usées », explique Jean-Luc Bertrand-Krajewski, enseignant-chercheur au laboratoire DEEP.
Pour se rapprocher au plus près du cycle naturel de l’eau et limiter la concentration rapide de ces polluants, les villes cherchent à réduire l’imperméabilisation des sols urbains par des systèmes favorisant l'infiltration. « Nous travaillons par exemple avec le Grand Lyon sur ces questions de désimperméabilisation des zones urbaines et le transfert des polluants par les eaux pluviales. Le réchauffement climatique va entraîner plus fréquemment des épisodes de pluie plus intenses. La gestion des eaux pluviales urbaines est donc un vrai enjeu. Bien sûr, on ne change pas une ville en un claquement de doigts, il faut donc adopter des stratégies de long terme », ajoute l’enseignant-chercheur.
Spécialiste des enjeux liés aux réseaux d’eaux usées et d’eaux pluviales, le laboratoire DEEP s’inscrit dans un projet européen H2020 de grande envergure : le projet « Co-UDlabs2 ». « L’idée de ce projet est de mettre à disposition d'utilisateurs extérieurs des infrastructures dont les laboratoires de recherche se servent quotidiennement, pour faire émerger des projets innovants en matière d’hydrologie urbaine. Les financements européens obtenus permettront à des chercheurs du monde entier de proposer des projets de recherche sur ces infrastructures et d’élargir les réseaux de collaborations », explique l’enseignant du département génie civil et urbanisme.
Comptant sur le riche potentiel d’expérimentation offert par le campus de la Doua, l’INSA Lyon propose trois infrastructures parmi les dix-sept mises à disposition par Co-UDlabs à travers toute l’Europe. « Nous pourrons proposer à la communauté de recherche de réaliser des expérimentations sur les systèmes alternatifs de gestion des eaux pluviales que nous avons mis en place, en plein cœur du campus, parmi lesquels : des parkings infiltrants, des noues3, et la plateforme GROOF, notre tout dernier dispositif expérimental dédié aux toitures végétalisées. Plus loin, à Chassieu, un site de l’OTHU4, sur lequel travaille DEEP et d'autres partenaires, sera également mis à disposition. »
Si Co-UDlabs ambitionne d’améliorer les connaissances et les outils, une autre dimension reste chère au cœur du laboratoire DEEP : celle de développer une culture commune autour de l’hydrologie urbaine pour engager plus de collectivités sur la voie de la gestion alternative durable des eaux urbaines. « DEEP est déjà très engagé dans cette dynamique, notamment à travers sa participation aux activités du GRAIE5, qui est également partenaire du projet. La dimension internationale de Co-UDlabs n’en est que plus stimulante pour poursuivre le développement de l’approche intégrée que nous souhaitons promouvoir », conclut Jean-Luc Bertrand-Krajewski.
[1] Déchets, Eaux, Environnement, Pollutions (INSA Lyon).
[2] Co-UDlabs pour « Building Collaborative Urban Drainage research labs communities ».
[3] Noue : larges fossés permettant la rétention, l'acheminement et l'infiltration des eaux pluviales.
[4] Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine.
[5] Groupe de recherche, animation technique et information sur l’eau.
Podcasts « Les cœurs audacieux » - Saison 2 / Épisode 7 - 29 juin 2022

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« Il y avait un point que nous n’avions pas résolu : satisfaire la curiosité des enfants »
Le saviez-vous ? La nuit, toutes les cours d’écoles irradient ! Ils râpent quelques genoux innocents le jour et renvoient dans l’air la chaleur accumulée la nuit : les revêtements d’asphalte noir des cours d’écoles ont été le sujet d’étude d’Hervé Rivano, professeur des Universités et chef de l’équipe AGORA1 du laboratoire CITI2. En collaboration avec la Ville de Villeurbanne et l’école urbaine de Lyon, les chercheurs ont étudié le phénomène des ilots de chaleur urbains depuis les cours d’école. Hervé Rivano explique comment l’expérimentation pluridisciplinaire a fait naître un jeu d’éducation à la donnée à destination des enfants. « Ça va chauffer ! ».
Un kit pédagogique a été développé suite à une expérimentation scientifique dans les cours de deux écoles villeurbannaises. En quoi les travaux de recherche ont-ils consisté ?
Tout a commencé en 2018 lorsque la Ville de Villeurbanne a entamé une réflexion sur la problématique des ilots de chaleurs et à la façon de réaménager les surfaces urbaines pour réduire leurs effets. Pour cela, la ville a expérimenté dans la cour de l’école Édouard-Herriot, un nouvel enrobé clair et poreux pour diminuer la température du revêtement et ajouté des espaces végétalisés pour favoriser l’ombre et l’évapotranspiration. Elle a ensuite fait appel à notre équipe, et avec l’aide de géographes de l’Université Lyon 3 nous avons mesuré l’impact de ces transformations graâce à des micro-capteurs thermiques. En couplant les résultats relevés avec des données historiques issues de mesures satellites, nous avons réussi à identifier les ilots de chaleurs dans le quartier de l’école et ses environs : globalement, le nouvel aménagement avait un impact. En pleine journée, on a mesuré un écart de presque 8°C sur la température au sol. Mais il restait toujours un point que nous n’avions pas encore résolu : satisfaire la curiosité des enfants de l’école pour lesquels notre présence dans leur cour n’est pas passée inaperçue. C’est ainsi qu’est né « Ça va chauffer ! ».
Crédits : Lou Herrmann
Se représenter le travail des chercheurs lorsque l’on a 10 ans est certainement une chose difficile. Comment le kit amène à la compréhension des notions que vous travaillez quotidiennement ? Quels ont été les objectifs pédagogiques ?
Effectivement, la « donnée » était une chose très nébuleuse pour la plupart des élèves. Mais c’est en cela que l’expérience a été enrichissante. Dès la rentrée qui a suivi nos études, nous avons accompagné les enseignants volontaires pour leur permettre de sensibiliser leurs élèves à la donnée environnementale et numérique, et à l’impact des activités humaines sur l’écosystème. Grâce à l’association Fréquence Écoles, spécialisée dans l’éducation aux médias numériques, nous avons préalablement testé « Ça va chauffer ! » dans deux classes. Et le challenge a été relevé : les classes travaillent sur la donnée numérique sans jamais toucher un écran. Concrètement, le kit est un jeu de « datavisualisation tangible ». Plusieurs scénarios invitent à représenter les données, ici des températures chiffrées, en utilisant des éléments tangibles comme des lego ou des allumettes. Chaque équipe doit ensuite expliciter ses choix de représentation à la classe et il y a évidemment des choses très surprenantes qui ressortent. L’intérêt est de faire mobiliser des concepts mathématiques ou des symboliques dont ils n’ont pas conscience, et de s’apercevoir que leurs propres conceptions ne sont peut-être pas les mêmes que celles de leurs camarades.
Crédits : Ville de Villeurbanne
L’exercice est donc d’utilité scientifique et citoyenne. Pourquoi est-ce important de les sensibiliser à la data ?
Je crois que c’est une volonté commune que nous avions avec Fréquence Écoles et l’École urbaine de Lyon, de donner les clés de compréhension aux citoyens pour qu’ils soient en capacité de vivre dans une société numérique. Un chiffre n’est pas une vérité absolue et objective, même s’il provient d’une machine, pour la simple et bonne raison que celle-ci a été paramétrée selon des choix humains, et que le chiffre peut aussi contenir des incertitudes de mesure. C’est une notion qui est parfois difficile à comprendre, pour petits et grands ! Et c’est ici que nos interventions ont été pertinentes car elles ont d’abord permis d’expliquer cela aux enfants, mais surtout, elles ont donné du grain à moudre sur la façon dont ces esprits plus ou moins vierges de préconceptions, appréhendent des concepts inconnus. L’explication par la représentation permet de faire abstraction de l’aspect quantitatif de la donnée, qui fait d’ailleurs souvent dire des bêtises aux journalistes par exemple. Les élèves se focalisaient surtout sur le côté qualitatif de la donnée.
Crédits : Fréquences écoles
En tant qu’enseignant à des plus grands élèves, que retenez-vous de cette expérience ?
Ce n’est pas tant sur la technique que j’ai appris, mais plutôt sur la capacité des jeunes esprits à créer et s’approprier des concepts de manière intuitive. En tant qu’enseignant, et être humain, on a tendance à imposer notre propre représentation en la transmettant à nos étudiants. Et lorsque vous envisagez la transmission du savoir autrement, avec ici une approche dite « par problèmes » comme nous l’expérimentons au département FIMI, les acquis sont différents. Avec « Ça va chauffer ! », on donne du grain à moudre aux élèves pour voir ce qu’ils en font. Résultat : la solution au problème s’impose à eux, et ils ont appris par eux-mêmes. C’est un super projet qui nous a fait comprendre plein de choses. J’espère qu’une fois mis en libre accès, le kit « Ça va chauffer ! » pourra irradier dans d’autres écoles. Et même s’il n’est qu’un ‘produit dérivé’ de nos recherches au sein du laboratoire CITI, il a répondu à un objectif personnel : apporter la connaissance jusqu’aux enfants car mon rôle de chercheur est aussi de contribuer à faire avancer la société avec mes recherches.
Plus d’informations :
1 AlGorithmes et Optimisation pour Réseaux Autonomes
2 Centre d’innovation en télécommunications et intégration de services (INSA Lyon/INRIA)
3 Formation Initiale aux Métiers d'Ingénieur

Formation
La difficile équation du matériau de construction durable
Pour construire durablement, faut-il privilégier la pierre, la paille ou la brique comme les trois petits cochons ? Là où « produit de construction écologique » ne rime pas toujours avec « durabilité économique », la transition des matériaux du génie civil se heurte à plusieurs défis. Pour Élodie Prud'homme, enseignante-chercheure au département génie civil et urbanisme et responsable du module « matériaux innovants pour la construction durable » à l’INSA Lyon, il faut commencer par faire connaître et reconnaître les procédés de construction plus durables par les (futurs) professionnels du secteur.
Construction et le développement durable : laisse béton !
Au procès écologique du bâtiment, l’industrie cimentière est habituée à être sur le banc des accusés. En effet, elle représenterait près de 2,9 % des émissions carbone en France. Si le tout-béton a connu son apogée dans les années d’après-guerre, le procédé lourd et énergivore imposé par la fabrication du ciment est désormais pointé du doigt face à la conjoncture environnementale. « De la fabrication du ciment, nécessitant l’extraction de calcaire et d’argile et une transformation gourmande en énergie fossile, en passant par l'utilisation de granulats qui sont des ressources non-renouvelables à l'échelle humaine, le béton est certainement le plus mauvais élève des matériaux. C'est un exemple très parlant pour illustrer l'impact des matériaux dans le cycle de vie des bâtiments. Dans une construction classique, les parties bétonnées entraînent environ 40 % des émissions de CO2 au niveau de l'étape de construction. L’impact carbone est déjà très élevé dès les premières fondations de la construction », explique Élodie Prud'homme.
Parmi les matériaux nouveaux ou redécouverts par les procédés d’écoconstruction : des matières naturelles. Mais si la réponse durable ne doit pas se cantonner à l’utilisation de quelques matériaux biosourcés comme le bois ou la terre, il faut garder à l’esprit que chaque ressource, une fois extraite de son milieu naturel engendre un impact. « La réponse n’est pas automatique. Une réflexion globale est nécessaire », ajoute l’enseignante.
Explorer de nouveaux matériaux : oui, mais pas seulement.
Le premier petit cochon construisit sa maison avec de la paille trouvée dans un champ. Le deuxième trouva du bois dans la forêt et le troisième prit plus de temps pour construire sa maison, car elle était en briques. Ce sur quoi la comptine ne s’attarde pas, c’est la façon dont les trois personnages ont choisi leur matière. Qu’ont-ils préféré ? Des ressources visiblement à portée de main, mais qui n’ont pas toutes résistées au souffle du loup. Voilà peut-être l’un des principaux défis auquel fait face l’écoconstruction du 21e siècle : concilier impact carbone et performance. « Prenons l’exemple de la laine de chanvre dont la production a un faible impact en émission de GES par rapport un isolant de type polystyrène. Si à épaisseur égale, ses performances isolantes ne sont pas aussi satisfaisantes que le polystyrène, est-ce toujours un choix écologique ? En effet, une performance moindre pourra entrainer des consommations énergétiques plus importantes, qui ne seront pas forcément compensées par l'utilisation de l'écomatériau. Il est donc fondamental d'avoir une vision globale de l'impact environnemental du bâtiment pour faire des choix. L’impact écologique d’un bâtiment ne s’arrête pas à la construction, mais se poursuit pendant toute sa durée de vie, à travers son utilisation, et jusqu’à sa fin de vie, sa démolition et la gestion des déchets », souligne l’enseignante.
Ouvrir les perspectives des futurs ingénieurs
Au sein du département génie civil et urbanisme de l’INSA Lyon, Élodie Prud'homme initie ses élèves de 4e année à d’autres regards sur les matériaux de construction à travers un module, intitulé « matériaux innovants pour la construction durable ». Selon elle, la fonction d’ingénieur a un rôle décisif, capable d’accélérer la transition du secteur. « En amont ou sur le chantier, l’ingénieur est souvent amené à faire des choix, bien qu’il doive faire face aux habitudes du secteur qui se résument souvent à trouver l’équilibre entre performance énergétique, coût financier bas, et temps de livraison rapide. Ce qui freine le développement des éco-matériaux aujourd’hui, c’est une certaine méconnaissance de ces solutions alternatives et le manque de cadre règlementaire pour certains matériaux, tels que la terre crue, qui peut encore faire peur, tant aux maîtres d’œuvre, qu’aux investisseurs et assureurs ! ». À travers un programme de découverte, les élèves-ingénieurs suivant le module optionnel déconstruisent leurs préjugés sur les méthodes alternatives. « Les étudiants doivent développer un matériau à base de terre et/ou de fibres végétales répondant à certaines caractéristiques comme être porteur ou isolant. L’expérimentation est indispensable pour découvrir que les ressources biosourcées ont des propriétés inexplorées. Je suis persuadée que c’est en essaimant les petites graines auprès des futures générations d’ingénieurs que le secteur peut évoluer, d’ailleurs, de plus en plus de bureaux d’études émergent sur ces questions de matériaux durables. Cela est très encourageant pour l’évolution d’un génie civil plus durable », conclut Élodie.
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Podcasts « Les cœurs audacieux » - Saison 1 / Épisode 2 - 29 avril 2021

Recherche
Progrès numérique et sobriété : un mariage de raison
La pandémie et les confinements successifs auront fini d’accomplir la tâche : il n’est plus question de se passer de l’outil digital. Mais désormais, la transition numérique, aussi incontournable soit-elle, soulève une question : est-elle compatible avec la transition énergétique ?
Il semblerait que la technologie mette à nouveau l’humain face à son rapport au progrès, aux limites de la planète et du temps. Entre accélération et freinage d’urgence, quatre chercheurs de l’INSA Lyon prennent le temps de l’explication, et invitent à reconsidérer le besoin. Société numérique + enjeux climatiques : comment satisfaire l’équation ?
Le numérique prodige, déchu.
Hervé Rivano, Jean-François Trégouët et Nicolas Stouls sont chercheurs à l’INSA Lyon. Ils publiaient en novembre dernier une tribune qui s’attachait à démontrer la menace pesante du numérique sur la transition énergétique. « Le numérique est souvent considéré comme une porte de sortie pour réduire la consommation d’énergie dans beaucoup de secteurs. Mais les impacts environnementaux liés à son usage croissant sont bien trop sous-estimés », introduit Jean-François Trégouët, maître de conférence à l’INSA Lyon et membre du laboratoire AMPERE1.
Selon le Shift Project, la part du numérique dans le total mondial des émissions de gaz à effet de serre se hisse à 3,7 %2. « Les impacts directs sont principalement liés au cycle de vie des terminaux et leur utilisation. Les ordinateurs, les boîtiers internet ou les câbles sont fabriqués puis acheminés aux quatre coins du monde. Puis pour faire fonctionner ces objets, il faut produire de l’électricité, prévoir des centres de stockage et différents réseaux qui acheminent les données. Tout ça pèse dans le bilan carbone mondial. Les impacts indirects quant à eux sont tout aussi importants mais bien plus difficiles à évaluer », ajoute-t-il.
Parmi les conséquences difficiles à mesurer, « l’effet rebond » qui se traduit par une augmentation de la consommation, lorsqu’une solution technique est optimisée. « C’est un phénomène paradoxal. Par exemple, alors que les quantités d’énergie nécessaires pour faire transiter une donnée diminue grâce aux avancées des ingénieurs, la consommation d’énergie mondiale dédiée au numérique ne cesse de croître. C’est l’effet rebond : bien que l’outil soit plus efficace, nous consommons plus de ressources ! », illustre Hervé Rivano, professeur à l’INSA Lyon et chef de l’équipe Agora3 au laboratoire CITI4.
Le numérique qui semblait représenter une si belle opportunité pour répondre aux enjeux environnementaux, ne semble donc pas remplir toutes ses promesses. Et alors que l’on doit l’émergence du numérique à la recherche technologique, c’est cette dernière qui semble être convoquée pour optimiser encore et encore, l’outil.
Ingénieurs et chercheurs, à la barre.
Inventer, réinventer, trouver des méthodes de réduction de la consommation en énergie ou en matière première… L’optimisation technique fait le quotidien des chercheurs. « Tout est presque faisable en matière de technologie. Il est par exemple tout à fait possible d’imaginer d’inclure les data-centers à l’échelle d’une ville et réutiliser la chaleur produite en l’injectant directement dans le réseau de chaleur urbain. Il existe de nombreuses pistes prometteuses et stimulantes pour les ingénieurs et les chercheurs, mais ces pistes répondent à quelle nécessité ? Celle de chauffer des habitations, ou celle de consommer encore plus de données ? Il est primordial de questionner notre besoin », pose Nicolas Stouls, maître de conférence et membre du laboratoire CITI.
Cette attitude, c’est celle communément appelée « la sobriété numérique », une notion qui rappelle que le progrès doit servir des causes, et ne pas être un objectif en soi. Kévin Marquet, maître de conférence et enseignant au département informatique de l’INSA Lyon, a participé aux ateliers menés par le Shift Project sur la question. « La sobriété numérique consiste à ne plus nécessairement passer par des technologies pour effectuer une tâche, mais à piloter ses choix à travers une attitude critique vis-à-vis de la technologie. Il s’agit de se donner un choix, plutôt que de le subir », explique-t-il.
Référé-suspension : le besoin questionné.
Si la capacité à interroger l’utilité de la demande semble être nécessaire pour voir diminuer l’impact environnemental du numérique, le chercheur déplore l’attitude simpliste qui consiste à renvoyer l’utilisateur à sa propre et unique responsabilité. « Le modèle économique le plus répandu sur internet est celui de la publicité, basée sur des systèmes de ciblage très énergivores. Alors, le consommateur aura beau avoir fait ses choix numériques le plus sobrement du monde, une bonne partie du problème lui échappe encore. Les grands silencieux dans ce combat, ce sont les états des pays développés où la surconsommation numérique règne et dont le pouvoir de régulation est puissant. Tout ceci est une affaire de collectif : individus, entreprises et états, chacun a le pouvoir d’interroger l’utilité de ses comportements », ajoute Kévin Marquet.
Si le choix du consommateur est restreint et les politiques de régulation silencieuses, qu’en est-il du choix de l’ingénieur-concepteur, souvent à l’origine de la réponse à la demande ? « Le mythe du savant dans sa tour d’ivoire oublie que le chercheur fait partie de la société en tant que citoyen actif. La sobriété numérique est un champ de recherche passionnant pour les économistes et les sociologues, mais néanmoins, ses concepts pluridisciplinaires impliquent l’ingénieur et questionnent le rôle socio-politique des chercheurs », dit Jean-François Trégouët.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Pour répondre aux défis majeurs de notre époque, l’INSA Lyon a récemment entamé un chantier d’évolution de la formation, avec au cœur du projet, le développement durable et le numérique. « Donner à penser et à comprendre pour que les citoyens construisent leurs choix en conscience fait partie de nos missions de chercheur. Les liens entre transition numérique et transition écologique ne sont pas toujours évidents à percevoir, et nous espérons pouvoir apporter aux élèves-ingénieurs, les clés pour les comprendre », ajoutent les enseignants-chercheurs également engagés dans les ateliers de réflexion autour de la formation.
La préoccupation semble également avoir irradié au-delà des laboratoires et des salles de classe. « User d’un numérique plus responsable » : c’est une ambition inscrite dans le plan stratégique de l’établissement pour 2030 et dont les nombreuses dimensions nécessiteront un arbitrage, comme l’explique Hugues Benoit-Cattin, chargé du numérique. « Le chantier de la responsabilité numérique de l’établissement est très vaste. Devenir une structure numériquement responsable, c’est autant faire en sorte de consommer des solutions locales, que mutualiser les ressources informatiques et former ses personnels et étudiants à adopter une hygiène numérique. Des actions sont déjà engagées, et nous devons aller plus loin. Je pense également à la logique d’inclusion, dans l’accompagnement du handicap par exemple, qui est une belle illustration de ce à quoi le numérique peut servir, et où le progrès sert la cause », conclut Hugues Benoit-Cattin.
Pour aller plus loin : Hervé Rivano, Nicolas Stouls et François Trégouët ont animé une rencontre-débat en décembre dernier. La rencontre est à retrouver ici « Télétravail, 5g, Netflix… Notre empreinte numérique est-elle soutenable ? »
1 Génie électrique, électromagnétisme, automatique microbiologie environnementale et applications (INSA Lyon, ECL, Lyon 1, CNRS)
2 https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/
3 AlGorithmes et Optimisation pour Réseaux Autonomes
4 Centre d’innovation en télécommunications et intégration de services (INSA Lyon/INRIA)
Podcasts « Les cœurs audacieux » - Saison 2 / Épisode 5 - 21 avril 2022

Recherche
Corrosion des matériaux : un consortium public-privé né pour (faire) durer
Un consortium de recherche dans le domaine de la corrosion est né en Auvergne-Rhône-Alpes. Il s’appelle CorRTEx, réunit des partenaires du public et du privé, et ouvre la voie à de nombreux travaux de recherche en matière de durabilité des matériaux. Entretien avec Marion Fregonese, responsable de l’équipe Corrosion et Ingénierie des Surfaces au laboratoire MATEIS de l’INSA Lyon.
L’INSA fait partie de CorRTEx et défend une place de choix dans le domaine de la durabilité des matériaux et de la corrosion. Quelle est la valeur ajoutée du consortium ?
« La mutualisation des outils et des compétences autour de la corrosion dans une démarche collaborative. CorRTEx propose de répondre aux besoins des industriels en matière de corrosion de leurs équipements et installations. En se regroupant en consortium, les partenaires ont pu s’équiper d’un outil de pointe, garantissant notamment le contrôle des milieux d’essais jusqu’à haute pression (jusqu’à 200 bar) et haute température (jusqu’à 350°C), et permettant de tester la résistance à la corrosion de divers matériaux en milieu contrôlé. L’instrumentation que nous souhaitons implémenter sur le dispositif permettra également de progresser dans la compréhension des mécanismes élémentaires de dégradation par corrosion. »
Qui sont les partenaires de ce consortium ?
« L’Institut de la Corrosion, l’INSA Lyon, les Mines Saint-Etienne, l’IFP Énergies nouvelles, Axel’One, MECM (Materials Engineering & Corrosion Management), le CNRS et l’Université Lyon 1. L’association public-privé est un point fort de ce consortium parce qu’il permet une recherche partenariale de pointe appliquée à de grands enjeux. C’est grâce à cette configuration que les partenaires ont pu s’équiper de cet outil, unique à notre connaissance en France, qui permet de contrôler le milieu dans lequel est exposé le matériau, jusqu’à des hautes pressions et températures, en conditions sévères (sous gaz acides (CO2, H2S) notamment). »
Quels projets vont pouvoir être menés grâce à cet équipement ?
« L’Institut de la Corrosion et l’IFP Énergies nouvelles sont les opérateurs de la boucle, et l’utiliseront en partie pour leurs recherches propres. Les partenaires académiques auront aussi cette possibilité. Mais l’idée est que des projets collaboratifs voient le jour autour de cet outil. Un projet ANR (Agence Nationale de la Recherche) pour des applications dans le domaine de la géothermie est ainsi en cours de montage. La boucle de corrosion peut aussi servir de support pour des projets régionaux et européens, et des projets en collaboration avec des industriels, en particulier dans les domaines de l’énergie et de la chimie. Dans les semaines qui viennent, elle sera « en rodage » sur la plateforme d’innovation collaborative Axel’One PPI à Solaize, dans le Rhône, lieu de son implantation définitive. »

Vie de campus
Icare : un véhicule capable de rouler 1143 km avec un seul litre d’essence
Association étudiante historique, le Proto INSA Club (PIC) conçoit et fabrique depuis 28 ans, des prototypes roulants à très basse consommation de carburant. Cet été, toute l’équipe s’est rendue en Angleterre pour participer au Shell éco-marathon, compétition automobile réunissant plus de 200 équipes étudiantes. Le challenge ? Réaliser la plus grande distance avec un seul et unique litre de carburant. L’équipe du Proto INSA Club s’est hissée sur la 11e marche du podium, avec leur dernier prototype, « Icare », qui a été capable de rouler 1143 km avec un litre de carburant.
Le cadet de la famille PIC
Trente-sept kilos d’éléments entourés par un manteau de carbone, Icare est le dernier véhicule du Proto INSA Club. Et il est entièrement « fait-maison ».
« Le moteur d’Icare est plus petit que celui d’un scooter : 32 cc ! Les pièces de notre véhicule ont été désignées et fabriquées sur-mesure à l’INSA et certaines parties du moteur ont été conçues avec l’aide de nos professeurs. Il faut savoir que nous travaillons pendant plusieurs saisons sur le même prototype, et c’est durant les premières années que nous gagnons en performance. Notre objectif avec Icare est de se rapprocher au plus près de la barrière des 30 kilos car les circuits automobiles se complexifient avec l’ajout de virages supplémentaires notamment : chaque gramme compte ! », explique Lucas Rey, élève-ingénieur en 4e année de Génie Mécanique et président du Proto INSA Club.
Du local du PIC au circuit automobile
Si les membres du Proto INSA Club travaillent aussi dur, c’est pour défier leurs homologues européens lors de compétitions automobiles comme en juillet dernier à Weybridge lors du « Shell éco-marathon 2019 ».
« Cette année, nous avons fait courir Icare. Cela fait deux ans que nous travaillons sur ce véhicule et nous sommes fiers de sa première performance : 1143 km avec un litre d’essence, ce qui nous a placé en 11e position sur 45 participants », annonce Jean-Baptiste Charrié, étudiant en 4e année de Génie Civil et Urbanisme et responsable technique et stratégie de course au sein de l’association.
Une semaine de compétition dont trois jours d’épreuves : les prototypes concourant au Shell éco-marathon s’affrontent sur une soixantaine de kilomètres répartie en quatre sessions de course.
« Tout est pris en compte pour rendre la compétition la plus juste possible : mêmes les conditions indépendantes du véhicule comme la pression de l’air ou température extérieure. Quand on cherche la performance, chaque détail est important. Notre équipe a tout donné pendant la semaine. D’ailleurs, mention spéciale pour notre conducteur, qui a fait du bon travail ! Car on peut avoir le meilleur des prototypes, quand le conducteur n’est pas assez entraîné, le véhicule n’est pas au maximum de ses capacités ! » ajoute Jean-Baptiste.
Vers une empreinte écologique encore plus légère
Depuis sa première performance en 1992 avec le véhicule « Envol » qui avait réalisé 227 km/L, le Proto INSA Club ne cesse de progresser sur le plan de l’efficacité énergétique. Dans cette démarche, les membres actifs souhaitent aller vers une empreinte écologique moindre.
« Notre association nous permet de participer à des gros projets techniques tout en mettant en application les théories que nous étudions en cours. D’ailleurs, nous accueillons des étudiants de toutes les spécialités de formation de l’INSA pour améliorer notre véhicule. Cette année, nous souhaiterions mettre à profit les compétences en génie électrique de certains de nos membres pour envisager la conception d’un moteur électrique », conclut le président de l’association.