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4e séminaire Let's look up! Récit et imaginaire pour penser notre relation au monde
Le thème du 4ᵉ séminaire Let’s look up! porte sur les récits et les imaginaires pour penser notre relation au monde (technique, éthique, altérité, vivants non-humains)
Ce quatrième séminaire viendra clôturer notre action dans le cadre de l’appel d’offres IXXI/MSH. À cette occasion, nous vous invitons pour une matinée de conférences, accessibles également en visioconférence, animées par Jean-Philippe Ferrière avec comme intervenants Yannick Rumpala, Angela Biancofiore, Clément Barnaudy, Marianne Chouteau et Céline Nguyen. Après un buffet végétarien auquel vous êtes conviés, vous pourrez participer à un atelier naturaliste au choix : Biodiversité sur le campus par Arthropologia et par Des espèces parmi’Lyon ou découverte de la biodiversité du Vietnam grâce au parcours Vietnamazing au zoo de la Tête d’Or.
L’ensemble des activités de cette journée, ainsi que le buffet sont gratuits, mais l’inscription est obligatoire. Attention, le nombre de places aux ateliers est limité !
Informations complémentaires
- hubert.charles@insa-lyon.fr
- https://letslookup.sciencesconf.org
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Amphi Ouest du bâtiment des humanités - INSA Lyon
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[Exposition] - Lauréats du concours BD Manga Jeunesse 2025
Du 07 au 21 juin
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Des bactéries pour recycler les batteries usagées ?
Pour réussir sa transition vers une mobilité décarbonée, la France dépend encore de l’importation de matériaux critiques, comme le lithium et le cobalt. Face à cette dépendance qui sous-tend de nombreux enjeux socio-économiques et écologiques, la recherche d’alternatives pour sécuriser ces ressources se fait urgente.
Parmi l’une des solutions viables : le recyclage des objets riches en métaux grâce à un procédé de biolixiviation. À partir de bactéries, cette technique consiste à faire « digérer » des gisements secondaires, des déchets riches en métaux, par des organismes vivants, pour séparer les composés. Si la création d’une filière dédiée pourrait mettre plusieurs décennies à voir le jour, des initiatives sont en cours de développement dans les laboratoires. C’est le cas au laboratoire DEEP1 de l’INSA Lyon, où Bruno Sialve, enseignant-chercheur et Gabrielle Deslandes, doctorante, explorent la voie biologique pour récolter les métaux des batteries en fin de vie de véhicules électriques.
De la nécessité d’une solution durable pour le recyclage des batteries
L’électrification est l’un des leviers qui participent à la transition d’une mobilité décarbonée. Seulement, pour faire rouler des véhicules à faible émission, il faut produire des batteries. Et pour produire des batteries, il faut des éléments particuliers tels que le lithium, le cobalt ou le nickel. Derrière ces éléments se cachent des impacts environnementaux et des enjeux sociaux très lourds : pollution des sols et des eaux, violations des droits de l'homme dans certains pays contrôlant la majeure partie de ces matières et risques géopolitiques majeurs. Dans ce contexte, le recyclage de ces métaux devient donc une priorité pour limiter cette dépendance, et réduire les coûts écologiques de leur extraction. « Par ailleurs, une directive européenne va inciter d’une part à récupérer le lithium dans les batteries usagées (50 % d’ici à la fin de 2027 et 80 % d’ici à la fin de 2031) et d'autre part à inciter les fabricants à utiliser au moins 6% de lithium recyclé dans les nouvelles batteries. Dès 2031, ce règlement s’appliquera aussi à d’autres métaux stratégiques, avec des taux requis de 16 % pour le cobalt, 85 % pour le plomb et 6 % pour le nickel 2, une raison de plus pour accélérer notre capacité à recycler ces objets », met en contexte Bruno Sialve.
Zepf V, Reller A, Rennie C, Ashfield M & Simmons J, BP (2014): Materials critical to the energy industry.
Différents processus de recyclage déjà à l’épreuve
Plusieurs méthodes de recyclage sont déjà connues et éprouvées. D’abord, la pyrométallurgie qui consiste à fondre les résidus de batteries pour séparer les métaux par fusion. Bien que cette technique soit couramment utilisée, elle est extrêmement énergivore et peu précise, ce qui peut entraîner la perte de certains métaux rares et une grande consommation de ressources. L’hydrométallurgie propose une alternative chimique pour séparer les métaux. Moins gourmande en énergie que sa voisine, elle nécessite tout de même l'usage de produits chimiques potentiellement polluants, impliquant des risques environnementaux élevés et un traitement rigoureux des déchets générés. « Et puis, il existe l’approche biologique, qui emprunte ses grands principes à l’hydrométallurgie : pour produire les acides et reproduire les réactions d’acidolyse, ce sont des populations de bactéries qui remplacent les usines de production de produits chimiques », explique le chercheur du laboratoire DEEP.
Mettre les bactéries au boulot
La biolixiviation, c’est le terme désigné pour ce processus de recyclage par voie biologique, n’est pas nouvelle. À grande échelle, l’activité a vu le jour dans les années 1990, sur le continent africain : solution économique, elle était plus adaptée aux minerais locaux alors difficiles à traiter par des méthodes de lixiviation classiques. « Pour comprendre le mécanisme de la biolixiviation, il faut se représenter des métaux piégés dans une matrice. L’objectif est de les en libérer, en générant un lixiviat enrichi en métaux solubilisés. Pour le produire, on sélectionne des populations microbiennes, selon leurs propriétés connues. Ces organismes vont créer des conditions physico-chimiques précises, pour transformer la matière », indique le chercheur.
Essai de biolixiviation en cours à partir de « black mass », un déchet de batterie (crédits : Bruno Sialve)
Mais pour créer les conditions adéquates à ces écosystèmes complexes, il est nécessaire de les sélectionner et de les adapter. « Il s’agit de « forcer » le microbiote à exprimer des fonctions biologiques données, comme par exemple, oxyder le fer ou produire de l’acide sulfurique. Ensuite, on les met en contact avec nos déchets de batteries, pour observer l’évolution et l’adaptation de la population : est-elle encore vivante ? A-t-elle travaillé efficacement en solubilisant les métaux, etc. ? Et puis, on adapte en fonction des résultats. »
Une fois le jus de métaux généré, plusieurs techniques permettent d’extraire les précieux éléments, pour être à leur tour, réutilisés. « Nos travaux de recherche s’attachent à répondre au premier enjeu du recyclage de ces batteries, c’est-à-dire, séparer les métaux. La biolixiviation est une technique éprouvée par l’industrie minière qui, une fois maîtrisée sur certains types de gisement comme les déchets de batteries de voitures électriques, pourra potentiellement être appliquée à grande échelle, car la filière n’existe pas encore. On pourrait également imaginer l’appliquer à d’autres gisements de déchets riches en métaux ou encore liés à la transition énergétique, comme les éléments de stockage ou les aimants des éoliennes. »
Dans un contexte où la France cherche à renforcer la diversification de ses sources d’approvisionnement en éléments stratégiques, ce processus pourrait ouvrir une voie prometteuse, appliquée à l’échelle industrielle. Au carrefour de l’écologie microbienne et de la biotechnologie, le recyclage par la voie biologique s’intègrerait dans une économie circulaire, limitant la multiplication d’extractions de métaux d’intérêt, et les problématiques environnementales associées.
[1] Déchets Eaux Environnement Pollutions
[2] Source : Règles de durabilité pour les batteries et les déchets de batteries

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3e séminaire Let's look up!: Du soin dans l’ingénierie
Troisième séminaire "Let's look up! Ingénierie et recherche au prisme de la santé globale : Du soin dans l’ingénierie !"
Lors de ce troisième séminaire, le soin et le besoin de prendre soin des humains et des non-humains dans la conception, l'usage, l'appropriation, la production des techniques seront questionnés.
Avec la participation de :
- Jean-Philippe Pierron, Professeur des universités en philosophie de la vie, de la médecine et du soin, au Département de philosophie, UMR LIR3S, Université de Bourgogne et Directeur de la chaire Valeurs du soin de l’Université Jean-Moulin Lyon 3, France.
- Lucie Dalibert, maîtresse de conférences en philosophie des techniques et humanités médicales.
- Romain Colon de Carvajal, professeur agrégé d'ingénierie mécanique à l'INSA Lyon.
Séminaire co-modal (présentiel et distanciel). Inscription gratuite, mais obligatoire.
Informations complémentaires
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Amphi Est du bâtiment des Humanités (INSA Lyon) / en distanciel
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Du 07 au 21 juin
Vie de campus
« Plus jeune, face à ce banc de méduses, je me suis demandé, crédule : pourrions-nous en faire des bonbons ? »
Souvent perçues comme des créatures inquiétantes, les méduses fascinent autant qu’elles dérangent. Pourtant, pour Clément Turco, élève-ingénieur en 4ᵉ année de biotechnologies et bioinformatique à l’INSA Lyon, ces êtres marins représentent bien plus qu’un danger potentiel. Passionné depuis l’adolescence par ces organismes millénaires, il voit en elles une opportunité d’explorer l’altérité et de questionner notre rapport au vivant. De ses premières expériences scientifiques au lycée à son projet de film-documentaire, il nous invite à porter un nouveau regard sur ces mystérieux animaux, capables de prospérer dans des océans bouleversés par les activités humaines et le changement climatique.
Les méduses : des êtres redoutés qui fascinent
La méduse a mauvaise presse : piqûres parfois mortelles, invasions sur les plages, perturbatrices des infrastructures de haute technologie ou annihilatrices de production aquacole… Largement perçues comme des créatures indésirables ou dangereuses, les méduses peuplent les océans depuis des centaines de millions d’années. Dépourvus de cœur, de cerveau et d’os, ces êtres, appartenant à la famille du plancton, sont constitués d’une ombrelle et des filaments, qui leur permettent de se déplacer verticalement, portés par les courants marins. « Leur symétrie radiale les distingue des êtres vivants bilatéraux, comme les humains. L’organisme d’une méduse est vraiment fascinant : sans système nerveux central, elle peut tout de même compter sur un réseau neuronal qui lui permet de capter la lumière, sentir et se déplacer dans l’eau », explique Clément Turco.
Des créatures qui tirent parti du dérèglement climatique et de la disparition des espèces
Alors que les activités humaines font peser de graves conséquences sur la biodiversité marine et le climat, les méduses font partie des rares animaux marins à prospérer. Depuis plusieurs décennies, on observe une augmentation de leur nombre, aussi bien en France qu’à l’autre bout du monde. Et cette prolifération inquiète : selon un article publié par la Fondation de la Mer, « l’Homme offre aux méduses, un océan propice à leur prolifération ». En cause notamment : la disparition de leurs prédateurs naturels, les poissons, et la pollution des eaux par des engrais qui favorisent les algues et le développement du phyto- et du zooplancton. Dans la chaîne alimentaire et les océans, chaque organisme a sa place dans l’assiette d’un autre. Ainsi perturbée, la logique naturelle voit la population de méduses augmenter, une prolifération qui alerte sur les états de mauvaise santé de nos océans.
aurelia aurita, ou la méduse commune (Crédits : Unsplash)
Porter un autre regard sur la méduse
C’est à l’occasion d’une journée de voile avec son père que Clément Turco se passionne pour la méduse. Depuis son dériveur, il observe un banc d’Aurelia aurita, la méduse commune, qui remonte deux fois par jour à la surface l’été, pour se reproduire. « Face à ce banc, je me suis demandé, crédule : avec toute cette gélatine, ne pourrait-on pas faire des bonbons ? ». Alors âgé de 15 ans, Clément Turco a cherché à répondre à cette question lors de ses Travaux Personnels Encadrés (TPE), au lycée. « Sans grande surprise, nous n’avons pas réussi à extraire une gélatine assez pure pour en faire des bonbons… Mais cette expérience à sceller ma passion pour ces animaux », explique l’élève-ingénieur. Pendant plusieurs années, il s’en passionne et ira jusqu’à rencontrer Jacqueline Goy, ichtyologue française et spécialiste mondiale des méduses. Et il nourrit ainsi l’ambition de réaliser un documentaire. « Aujourd’hui, plus qu’un film documentaire, les méduses sont devenues un prétexte pour parler d’autre chose : ce qui m’a toujours impressionné chez elles, c’est leur incroyable différence d’environnement, de morphologie et de physiologie avec nous, humains. Parler des méduses, c’est parler d’altérité et même, d’aliénité. À force de les observer, j’ai compris qu’il ne serait jamais possible d’entrer en empathie avec ces êtres, ni de créer un langage commun. Et de toute façon, le langage est un pont imparfait entre deux individus qui se ressemblent. Ici, nous avons une forme de vie qui s’éloigne complètement de l’humanité, et c’est là que c’est intéressant de la questionner, car elle est radicalement différente. »
L’altérité : une réflexion au-delà de la biologie
Passionné de littérature, Clément Turco s’est aussi intéressé à l’approche narrative des documentaires « classiques ». « Un des défauts que l’on peut facilement reprocher aux documentaires, c’est leur tendance à l’anthropomorphisme. On plaque des comportements humains sur des animaux, ce qui en fait des films certes très sympathiques à visionner, mais qui à mon sens ratent l’objectif principal de ce qu’ils devraient véhiculer. À savoir : s’intéresser à d’autres formes de vies que la nôtre pour sortir de l’anthropocentrisme ».
Ainsi, pour créer un autre récit, il s’entoure d’amis spécialistes en cinéma expérimental et jette les premières pierres de son projet de film-documentaire. « Il conviendra de les filmer en utilisant un langage cinématographique nouveau, pour représenter cette altérité. Je souhaite que cette proposition offre au spectateur un questionnement de notre rapport au monde, pour élargir nos conceptions, héritées de notre biologie et de notre culture. À défaut de savoir un jour ce que ressentent d’autres êtres que nous, au moins pourrions-nous ressentir un peu plus grand le monde », conclut l’étudiant qui espère concrétiser son projet cinématographique avant la fin de ses études.

Fête de la Science 2024 - 12/10/2024
Intervenant : Clément Turco
Peut-on filmer le monde sous-marin et les organismes qui le composent avec des règles cinématographiques similaires à celles employées pour des sujets humains filmés sur la terre ferme ? De toute évidence, non. Parce que les méduses sont, par leur mode de vie et leurs comportements, par le milieu qui les accueille, une altérité aux sociétés humaines, il convient de les filmer en usant d’un langage cinématographique nouveau à même de proposer une représentation de cette altérité. La confrontation à l’altérité questionne notre rapport au monde, et peut nous permettre d’élargir nos conceptions, héritées de notre biologie et de notre culture. À défaut de savoir un jour ce que ressentent d’autres êtres que nous, au moins pourrons-nous ressentir un peu plus grand le monde… Cette conférence se propose donc de présenter les différences observées ainsi qu’une première présentation des règles cinématographiques élaborées en vue de la réalisation prochaine d’un film-documentaire.
Plus d’informations : https://www.insa-lyon.fr/fr/evenement/conference-meduses-et-oceans-comment-representer-au-cinema-etres-et-milieux-eloignes-l

Sciences & Société
Soutenance de thèse : Louis-Marie LEBAS
Development of multiscale liquid phase electron tomography and its application to the study of ultra-sensitive materials
Doctorant : Louis-Marie LEBAS
Laboratoire INSA : MATEIS
École doctorale : ED34 : Matériaux de Lyon
The demand for characterizing a single beam-sensitive sample at the nanoscale is increasing for applications in both materials science and biology.
This study presents a protocol with a software solution that enables precise control over the electron microscope and a custom sample holder, facilitating automated acquisition of fast 3D data from a single object under environmental conditions. This method allows for imaging with a controlled low electron dose and multimodal electron signals. It can be used in environmental scanning or transmission electron microscopes for easy sample preparation and to benefit from high resolution. The software has several key features, including automatic eucentricity adjustment, automatic acquisition with a new drift correction algorithm that eliminates the need for an extra validation step, and focus and astigmatism adjustment assistance.
To demonstrate its effectiveness, the morphology of typical samples such as latex nanoparticles, silica aerogels, and gold nanoparticles is investigated. As an example of a more comprehensive study, a multi-scale test was performed using AlOOH to evaluate its morphological properties at different scales. The Environmental Scanning Electron Microscope (ESEM) was used to monitor the sample in 3D during a dehydration-rehydration cycle and also to evaluate the penetration of gold nanoparticles. The Transmission Electron Microscope (ETEM) provided better resolution and allowed for the quantification of sample porosity down to the nanoscale.
One major achievement of the protocol is that it allows for recording tilt series for electron tomography investigations in STEM mode at multiple scales while using a total electron dose that is an order of magnitude lower than what is accepted in cryo electron tomography. Therefore, this study represents a significant advancement in the analysis of different samples at varying humidity levels. Additionally, it provides a simpler sample preparation process compared to cryo-TEM techniques, while maintaining a similar or even lower radiation dose.
Informations complémentaires
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Amphithéâtre Émilie du Châtelet (Bibliothèque Marie Curie) - Villeurbanne
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Du 07 au 21 juin
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Détecter le mildiou grâce à l’apprentissage automatique
C’est un champignon capable de décimer des hectares de récoltes, le pire cauchemar des jardiniers et des agriculteurs. Après les pluies de printemps, le mildiou se manifeste par des taches brunes huileuses et de la moisissure blanche sur les feuilles et les fruits de ses hôtes, jusqu’à causer leur perte. Si les stratégies de lutte contre le mildiou reposent aujourd’hui principalement sur l’utilisation curative de fongicides chimiques, ces méthodes sont de plus en plus stigmatisées en raison de leur persistance dans l’environnement et de leur toxicité pour les organismes non-ciblés. La détection précoce des épidémies de mildiou au début du printemps permettrait d’en limiter l’usage.
Au sein du laboratoire BF2i1, c’est à travers une poignée de pixels que l’équipe de Pedro Da Silva a réussi à détecter le mildiou de la vigne deux jours avant l’apparition des symptômes2. Grâce à un outil d’imagerie hyperspectrale couplé d’une intelligence artificielle, les résultats obtenus ouvrent ainsi de nombreuses perspectives en matière de réduction d’usage de pesticides.
L’apparition de la maladie : des symptômes difficiles à détecter
Le mildiou, comme bon nombre de maladies fongiques, est sournois. Ses spores, totalement invisibles, peuvent avoir contaminé un seul pied de vigne, qu’un simple épisode pluvieux est suffisant pour infecter les plants alentours. Les jours suivant l'infection, les feuilles présentent des tâches huileuses, de la moisissure blanche et un flétrissement notoire. « C’est une maladie qui se traite avec des fongicides biologiques ou de synthèse dès l’apparition des premiers symptômes, souvent sporadiques. Généralement, lorsque le viticulteur note des points faibles sur son vignoble, il doit traiter toute la parcelle pour être débarrassé de toutes les spores. Détecter cette maladie précocement permettrait de réaliser des traitements ciblés. Sur un principe de dépister – tracer – isoler, les agriculteurs pourraient anticiper les attaques et, en intervenant à petite échelle, limiter l’usage de fongicides », introduit Pedro Da Silva, enseignant-chercheur et directeur adjoint du BF2i.
Déceler les signes de la maladie à travers l’image
Dans une des salles d’expérimentation du laboratoire, des boîtes de pétri renferment l’agent néfaste : le Plasmopara viticola. Durant neuf jours après l’inoculation, les chercheurs du BF2i observent la façon dont l’oomycète se répand sur les feuilles de Cabernet Sauvignon. « En développant un outil à façon et grâce à une technique de spectrométrie, nos études en laboratoire ont décelé la maladie deux jours avant l’apparition des symptômes. » Dans une chambre noire, la caméra hyperspectrale scrute les feuilles contaminées sur un plateau mobile. « On enregistre chaque image en trois dimensions : deux dimensions spatiales, comme pour une photographie, plus une dimension spectrale, c'est-à-dire la lumière réfléchie par la feuille. Le spectre mesuré est composé de différentes longueurs d’ondes jusqu’à 1100 nanomètres, ce qui correspond à un rayonnement infrarouge invisible à l'œil nu. Ensuite, on découpe l'image en plusieurs zones, qui sont ultérieurement classifiées par l'intelligence artificielle comme appartenant à une feuille saine ou à une feuille infectée par le mildiou. Ainsi, grâce à cet outil de détection automatique, nous sommes parvenus à localiser et à quantifier le mildiou sur les feuilles de vigne avec une précision de 99 %. Cela ouvre une belle perspective de développement de nouveaux outils d’aide à la décision pour la réduction des traitements antifongiques dans le secteur viticole », ajoute Pedro Da Silva.
Illustration de la distribution spatiale de la souche de mildiou INRA-Pv45 sur une feuille de vigne de 1 à 9 jours post-inoculation (jpi), détectée automatiquement par le modèle d'intelligence artificielle. Les zones positives de mildiou sont représentées en rouge. (Crédits : BF2i)
Une technique de laboratoire pas encore démontrée en champ
Pour le moment, aucune expérimentation en champ agricole n’a pu être réalisée. Le responsable de l’équipe « InEn », « Insect Engineering », est prudent lorsqu’il s’agit d’envisager l’extrapolation de la technique développée au sein du laboratoire. Si l’équipe continue de consolider ce travail sur d’autres vecteurs de maladie, elle fait encore face à certaines difficultés pour rendre applicable ce procédé de détection à grande échelle. « Notre outil fonctionne en environnement contrôlé, mais n’est, pour le moment, pas déclinable en champ pour des questions de dimensionnement. La caméra hyperspectrale produit des images très lourdes et il faudrait adapter la méthodologie actuelle pour traiter ces volumes de données considérables en temps réel, d’autant plus que, dans le cas du mildiou, il faut aller très vite entre le moment de la détection et le traitement. Cependant, les résultats que nous avons obtenus ouvrent le champ des possibles en matière de protection des cultures viticoles », conclut Pedro Da Silva.
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[1] Biologie fonctionnelle, insectes et interactions (INSA Lyon/INRAE/UdL)
[2] Lacotte, V.; Peignier, S.; Raynal, M.; Demeaux, I.; Delmotte, F.; da Silva, P. Spatial–Spectral Analysis of Hyperspectral Images Reveals Early Detection of Downy Mildew on Grapevine Leaves. Int. J. Mol. Sci. 2022, 23, 10012.

Formation
iGEM FIAT LUX : des bactéries phytopathogènes luminescentes
Equipe la plus récompensée lors de la plus grande compétition internationale étudiante en biologie de synthèse, le concours iGEM, FIAT LUX a tout raflé : 2e place générale au concours dans la catégorie undergraduate ; sélectionnée parmi les 7 meilleures équipes sur les 370 participantes ; élue meilleur projet dans le domaine de la nutrition et de l’alimentation ; meilleur hardware ; meilleur assemblage de pièces d’ADN ; meilleure présentation au public ; meilleur site internet et meilleure vulgarisation…
Pourquoi un tel engouement ? Leur nouvel outil de suivi de bactéries phytopathogènes basé sur la luminescence, permet de mieux comprendre les infections de plantes en temps réel sans méthodes intrusives.
Pendant près d’un an, quatorze élèves-ingénieurs du département biosciences de l’INSA Lyon et une étudiante de l’Université Lyon 1, ont travaillé à rendre des bactéries luminescentes afin de visualiser en direct leur développement sur les plantes. Si l’objectif initial était de participer au concours international, au gré des rencontres et des expérimentations, les étudiants sont allés jusqu’à développer un système clé en main : l’outil FIAT LUX.
Annonce de la deuxième place du classement général du concours
dans la catégorie undergraduated (sur 180 équipes) - Paris Expo Porte de Versailles
"Repousser les limites de la biologie de synthèse pour construire des systèmes biologiques capables de faire face aux défis du quotidien" constitue la ligne directrice de la compétition iGEM1. Créée par le MIT, elle rassemble chaque année des étudiants du monde entier pour faire avancer la recherche sur les biotechnologies. Lorsque l’équipe lyonnaise se forme en novembre 2021, c'est d'abord pour « participer à la recherche de solutions alternatives et avoir un impact positif sur le monde agricole », introduit Mathilde Cecchi, en 5e année du parcours biochimie et biotechnologies. « Notre projet était de permettre une meilleure compréhension de l’infection des plantes par des bactéries. Nous espérions pouvoir observer ces pathogènes directement grâce à leur luminescence. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur le travail précédent d’une équipe qui s’était appliquée à développer un outil de bioluminescence. »
C’est ainsi qu’une partie de l’équipe entame le travail de génétique. À partir d’une pièce d’ADN provenant d’une bactérie vivant dans les fonds marins, le Photorhabdus luminescens, elle réussit à faire briller leurs bactéries phytopathogènes en les transformant par un assemblage de séquences génétiques spécifiques. Les travaux se concentrent principalement sur deux types de bactéries, les E. coli et les Dickeya solani. « Rendre nos bactéries luminescentes a été le plus long du travail. Nous avons dû fragmenter ce qui existait déjà dans la nature pour le reconstruire, avec le risque que les organismes ne soient plus viables. D’ailleurs, c’est ce qui a été le plus difficile : comme nous faisions quelque chose d’inédit, lorsque ça ne fonctionnait pas, nous ne pouvions pas savoir si c’était dû à nos transformations ou aux conditions dans lesquelles nous les effectuions », indique Théo Mathieu, en 4e année de biosciences.
Ainsi, les étudiants se transforment en apprentis chercheurs, construisant, déconstruisant, reconstruisant. Jusqu’au moment, un jour d’été : « par miracle, nous avions parmi nos colonies de bactéries transformées, une seule qui faisait vraiment beaucoup plus de lumière. On l’a prise en photo avec un smartphone en exposition longue et on a pu observer son comportement en suivant les traces dessinées par sa lumière. Il ne nous restait plus qu’à peaufiner l’outil génétique pour être sûr que la luminescence ne modifiait pas son comportement initial », ajoute Mathilde.
En parallèle, une autre partie de l’équipe est chargée de comprendre le contexte dans lequel la future innovation peut évoluer. « Nous voulions nous inscrire dans la réalité et vérifier comment notre projet allait impacter le monde agricole. Pour que les professionnels soient en mesure de s’emparer de nos outils, nous sommes allés à la rencontre d’acteurs de la filière. Nous avons ainsi compris les besoins et les challenges des agriculteurs, rencontrés des entreprises agro-alimentaires, le ministère de l’agriculture... Plus on avançait dans ces rencontres, plus elles se spécifiaient sur la bactérie Dickeya solani, qui attaque les tubercules de pommes de terre. C’est celle que nous avons utilisée pour notre preuve de concept », explique Élise Piette.
Sur les paillasses du laboratoire MAP2 mises à disposition de l’équipe, les échanges entre étudiants, techniciens et chercheurs élargissent les contours du projet. D’abord avec la conception d’un équipement pour observer le comportement des bactéries, puis la création d’un logiciel d’analyse d’images. « Une fois l’outil génétique fonctionnel, nous avons dû concevoir un hardware pour pouvoir observer le comportement des bactéries luminescentes. Concrètement, c’est une petite chambre noire couplée à une caméra pilotée qui permet de récolter des données précises », ajoute Madeleine Bourseul. « Puis, en discutant avec les biologistes du labo, nous avons remarqué que les possibilités ouvertes par la luminescence n’étaient pas forcément connues. Il n’existait pas de logiciel d’analyse de la luminescence simple, alors nous avons décidé d’en créer un. Nous l’avons imaginé pour les chercheurs avec qui nous étions en contact mais il est aujourd’hui en open source et facilement améliorable », ajoute l’étudiante.
L’open source, c’est le principe qui anime le challenge iGEM. La connaissance créée par les étudiants de l’INSA Lyon et de l’Université Lyon 1 est ainsi accessible aux prochaines équipes et à tous les chercheurs du monde. Pour l’heure, les quinze étudiants ne comptent pas s’arrêter là. Si certains membres poursuivent l’aventure en stage pour en faire un protocole standardisé, tous ont envie d’étendre le champ des possibles. « Nous avons envie de voir si les travaux peuvent aller plus loin, avec une publication scientifique notamment. Nous voudrions faire en sorte que les retombées du projet dépassent le cadre du concours, pour aller sur le terrain », confie l’équipe.
Au terme de cette année d’aventures scientifiques, les étudiants ne retiennent pas seulement leurs capacités à réaliser des prouesses techniques, mais l’importance de la curiosité et du partage. « Nous avons su aller chercher de l’aide un peu partout et s’auto-former sur des sujets très précis selon nos envies personnelles. Par exemple, nous avons reçu de l’aide d’un étudiant de génie mécanique pour construire notre hardware ; nous avons été coachés par le responsable de la section théâtre-études ; et notre contenu graphique a même été réalisé par une diplômée de l’INSA Lyon ! », ajoute Théo. « Au-delà de la magie de cette synergie pluridisciplinaire, il y a un enrichissement personnel qui dépasse toute récompense : le partage des sciences et la richesse des rencontres », conclut Madeleine.
L’équipe FIAT LUX au complet
Les membres de l’équipe :
▪️ Étudiants :
INSA Lyon : Anaëlle Roman, Basma Makhloufi, Elise Piette, Guillaume Fulconis, Laia Darne Clavaron, Léa Le Large, Madeleine Bourseul, Manon Aubert, Marianne Richaud, Marine Aurrand, Mathilde Cecchi, Solène Favier , Théo Mathieu, Tom Roblin.
Université Lyon 1 : Cassie Kohut.
▪️ Encadrants : Agnès Rodrigue (Maître de conférences INSA Lyon, laboratoire MAP) et Erwan Gueguen (Maître de conférences Université Lyon 1, laboratoire MAP)
▪️ Superviseurs : Typhaine Brual (Doctorante INSA Lyon, laboratoire MAP), Marianne Chouteau (Enseignante-Chercheuse INSA Lyon, Directrice adjointe du laboratoire S2HEP), Marie-Pierre Escudié, Marion Létisse (Maître de conférence INSA Lyon), Makram Mghezzi-Habellah (Doctorant ENS Lyon - Laboratoire LBMC).
Contact : igem.insalyon2022@gmail.com
[1] International Genetically Engineered Machine Competition
[2] Microbiologie Adaptation Pathogénie (INSA Lyon/CNRS/Lyon 1/UdL)

Sciences & Société
Exposition "Explorer le vivant : de la molécule aux écosystèmes"
Exposition proposée dans le cadre de la Fête de la Science.
Cette exposition retrace l’évolution de l’analyse des objets de la biologie depuis 60 ans (début de l’enseignement de la biologie à l’INSA de Lyon). Comment les développements des biotechnologies (notamment du séquençage de l’ADN) ont bouleversé notre façon d’aborder le vivant et comment la biologie moderne à très haut débit cherche à représenter les individus (voire les écosystèmes) en partant de l’échelle moléculaire jusqu’à celle de la biosphère.
Cette exposition a été conçue par Philippe Lejeune, Clémentine Ragonot, Emilie Poirson, Gaëlle Mauduit, Charlotte Noireaux et Marie-Paule Voita.
Entrée libre.
Informations complémentaires
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Kiosque - Bibliothèque Marie Curie
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Du 07 au 21 juin
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Traitement contre le cancer : une nouvelle alternative explorée à l’INSA Lyon
Aujourd’hui, la méthode d’élimination des cellules cancéreuses la plus utilisée est la chimiothérapie qui utilise des molécules de synthèse chimiques pour bloquer la division cellulaire, c’est-à-dire, la prolifération de nouvelles cellules. Et si les cellules cancéreuses n’étaient plus détruites chimiquement, mais « thermo-mécaniquement » grâce à des nanoparticules de carbone excitées par la lumière ? Dans le cadre du projet de recherche européen « Carther », l’Institut de Nanotechnologies1 (INL) de l’INSA Lyon , le laboratoire CarMen2 et leurs trois partenaires internationaux tentent de trouver une alternative aux traitements chimiques contre le cancer. Explications de Vladimir Lysenko (INL), chercheur spécialisé dans les nanotechnologies et Alain Géloën (CarMeN), chercheur en biologie.
À l’heure actuelle, la thérapie contre le cancer la plus répandue est une solution chimique : les molécules de synthèse bloquent la division cellulaire, empêchant ainsi les cellules cancéreuses de proliférer dans les cellules saines alentours. Cependant, la chimiothérapie entraîne des effets secondaires lourds et représentent un risque de développer une nouvelle tumeur, tant chez les patients que chez les agents de santé manipulant ces substances. « Nos recherches pourraient proposer une alternative plus efficace et moins coûteuse que la chimiothérapie pour combattre le cancer. Nous travaillons à inhiber les cellules cancéreuses de façon thermomécanique : en leur implantant des nanoparticules de carbone et en les exposant à la lumière d’un laser. La nanoparticule joue le rôle de cheval de Troie et le laser celui d’intermédiaire assurant l’interaction : en provoquant un échauffement local de très courte durée, la nanoparticule, mise en mouvement, entraîne la destruction de la cellule. Nos tests in-vitro ont démontré des résultats encourageants sur les capacités de destruction des cellules cancéreuses, ce qui laisse espérer de bons résultats sur nos prochains tests in-vivo sur les souris » explique Alain Géloën, chercheur au laboratoire CaRMeN.
Tests in vitro sur peau d'oignon : avant/après injection des nanoparticules excitées par le laser
La création d'une nouvelle nanoparticule
Le projet Carther s’inscrit dans le programme Marie Curie qui prévoit des échanges entre le monde académique et les industriels. « Notre consortium est composé de l’INSA Lyon en tant que coordinateur, de l’Université d’Aston en Angleterre, du Science Park de Kiev et de l’entreprise israélienne Ray Techniques, spécialisée dans la fabrication des nano-diamants. Nos travaux de recherche visent de nouvelles stratégies « théranostiques ». La théranostique, c’est la contraction de « thérapie » et « médecine diagnostique ». Pour résumer le procédé, il s’agit d’utiliser les mêmes particules pour diagnostiquer et détruire la tumeur. C’est un terme que nous allons entendre de plus en plus à propos des thérapies contre le cancer, » poursuit Vladimir Lysenko.
Localisation des nanoparticules à l’intérieur des cellules (marques rouges) à l’aide d’un microscope de dernière génération qui mesure les indices de réfraction. Les indices de réfraction des nanoparticules sont très différents de ceux des cellules ce qui permet de les localiser.
Un travail d’équipe
Depuis la fabrication de la nanoparticule de carbone à l’application thérapeutique, le consortium du projet Carther fait intervenir physiciens, chimistes et biologistes. « Nous avons d’abord testé plusieurs types de nanoparticules, des nanotubes de carbone, des oxydes de graphéne et des nano-diamants fournis par nos partenaires. Mais à l’INSA Lyon, nous avons synthétisé un nouveau type de nano-objet, le carbone fluoroxyde : synthétisé par gravure électrochimique à partir de substrat de carbure de silicium, c’est une particule qui n’a jamais été fabriquée auparavant. Elle est trop petite pour être une nanoparticule et trop grande pour être une molécule. C’est une classe inexplorée ! C’est un vrai travail d’équipe : les chimistes et physiciens fabriquent et modifient les particules, les chimistes et biologistes étudient leurs comportements au contact des cellules et les physiciens et biologistes effectuent les traitements thérapeutiques. »
La nanoparticule Carbone fluoxyde _ Fig. 1. Structural chemical model of a CFO NP. Color of atoms
C – grey, F – yellow, O – red, H – white
Ouvrir la voie à l’échelle humaine
Avant d’être administrées par injection intraveineuse ou par voie intra-tumorale lorsque la tumeur est accessible, les différentes nanoparticules ont été comparées du point de vue de leurs actions théranostiques. « Il s’agissait d’étudier les effets de leurs tailles, leurs chimies de surface et leurs efficacités d’interaction avec le laser. Nous avions déjà expérimenté cette logique au moyen d’ultrasons, une méthode qui s’était révélée efficace dans la destruction des cellules cancéreuses. Dans le cas de la recherche des effets thermomécaniques, il nous faut encore travailler sur l’optimisation des paramètres d’excitation par le laser au sein de la tumeur » ajoute le biologiste du laboratoire CaRMeN.
Vladimir se réjouit de poursuivre ses recherches. « Je devrais rejoindre l’équipe FENNEC de l’Institut Lumière Matière de Lyon, déjà bien expérimentée sur les effets biomédicaux d’une nouvelle génération de nano-hybrides, ce qui nous permettrait d’arriver plus rapidement à des expérimentations à l’échelle humaine. Cela ouvrirait une nouvelle voie pour soigner l’une des premières causes de mortalité en France » conclut-il.
1 L’Institut des Nanotechnologies de Lyon (UMR 5270) est un laboratoire en cotutelle entre l’INSA Lyon, le CNRS, l’ECL, L’UdL et CPE Lyon.
2 Le laboratoire CarMeN, Cardiovasculaire, Métabolisme, Diabétologie et Nutrition (INSERM U1060/ INRA U1397/ Université Lyon1/ INSA de Lyon)

Recherche
Justin Maire : « je veux sauver la Grande Barrière de corail »
Visible depuis l’espace, elle est à la base d’un écosystème merveilleux sur lequel repose 25% de la vie marine et la subsistance de milliards d’individus. Et pourtant, elle meurt un peu plus chaque jour. La Grande Barrière de corail, véritable poumon de l’océan, subit depuis une trentaine d’années les conséquences du changement climatique. En cause, le réchauffement des océans qui entraîne un stress du corail qui rejette l’algue symbiotique lui permettant de se nourrir.
Justin Maire, ingénieur et docteur INSA Lyon s’est envolé pour l’Australie il y a quelques mois, dans le cadre d’un post-doctorat. Au sein de l’Université de Melbourne, il travaille à optimiser les bactéries symbiotiques de la plus grande structure vivante du monde. Rencontre et explications.
Sur Terre, le réchauffement climatique est souvent et seulement envisagé comme l’augmentation de la température de l’air d’un ou deux degrés. Cependant, environ 90% de la chaleur produite en surface est récupérée par les océans et l’on considère que sans ce phénomène, la température sur terre avoisinerait les 50°C.
« Pour la vie marine, ça n’a rien de l’air de vacances sous les tropiques. Les coraux vivent dans des milieux relativement pauvres. La majorité de leurs apports nutritifs repose sur de minuscules algues symbiotiques qui vivent dans leurs tissus, et les alimentent à travers la photosynthèse. Quand l’eau dépasse les 31°C, l’activité de ces algues symbiotiques est perturbée et l’animal les rejette. En expulsant l’algue qui lui permet de vivre, il est privé de nutriments et finit par mourir. C’est un peu comme chez l’Homme : lorsque notre corps a de la fièvre causée par une bactérie par exemple, il tente de s’en débarrasser », explique Justin Maire.
En trente ans, les océans ont vu la moitié de leurs coraux s’habiller de différentes couleurs, du blanc éclatant, en passant par des couleurs fluorescentes jusqu’au vert-gris.
« Le phénomène de blanchissement des coraux est assez impressionnant. En rejetant l’algue, qui confère aux coraux leur couleur naturelle, le corail devient alors translucide et la couleur blanche de son squelette est perçue. C’est très beau, mais c’est l’annonce de sa mort. Puis, la surface du squelette se recouvre d’algues filandreuses, et à ce moment, l’animal est mort. »
© Chasing Coral
En Australie, la barrière corallienne s’étend sur 2300 kilomètres, concentrant plus de 400 espèces de coraux, 1500 espèces de poissons et 4000 espèces de mollusques. À Melbourne, Justin Maire et son équipe tentent de créer des « super-coraux » qui résisteraient au réchauffement et aux variations de températures.
« Mon projet est d’optimiser les bactéries symbiotiques des coraux. D’abord en utilisant des probiotiques, ce qui sous-entend designer un cocktail de bactéries symbiotiques qui amélioreraient naturellement la résistance thermique de l’animal, puis, plus tard, modifier la génétique de ces bactéries pour améliorer encore davantage la résistance des coraux. Jouer sur les bactéries symbiotiques permet une plus grande flexibilité et manipulabilité que si l’on travaillait directement sur le patrimoine génétique du corail. »
Ingénieur diplômé du département Biosciences et ancien doctorant du laboratoire BF2i1 de l’INSA Lyon, Justin travaille sur les bactéries pathogènes et symbiotiques en interaction avec les animaux. fsubt
« Les coraux sont des êtres-vivants dont nous ne connaissons pas encore toutes les subtilités et les fonctionnements. Mon travail de recherche consiste aussi à comprendre les interactions entre le corail et ses partenaires symbiotiques, algues et bactéries. C’est, encore une fois, un peu comme chez l’Homme : notre corps évolue avec des milliards de bactéries et pourtant, il n’est pas en inflammation constante. Ces bactéries-là se disent « symbiotiques », puisqu’elles vivent en harmonie avec le reste de notre corps. Et parfois, notre système immunitaire rencontre une bactérie dite « pathogène » qui perturbe la symbiose. Pour le corail, on est dans la même situation. Quand sa relation avec son algue symbiotique est bouleversée, l’algue est en quelque sorte considérée comme « pathogène » par le corail, et son immunité réagit. Cependant, des températures aussi élevées ne font pas partie de son cycle naturel et il n’a jamais fait face à un tel stress. Son système immunitaire est seulement capable de « soigner » le corail en rejetant la partie qui dysfonctionne, c’est-à-dire les algues symbiotiques. Mais dans le cas des coraux, ce qui dysfonctionne, c’est aussi ce qui les nourrit. Nos travaux se concentrent alors sur ces minuscules algues dont dépend la vie du corail : comment réagissent-elles au stress thermique ? quels sont les mécanismes à l’origine de leur expulsion par les coraux ? comment l’ajout de probiotiques pourrait atténuer ce phénomène ? Il a notamment été montré que le traitement des coraux avec des antioxydants pouvait limiter leur blanchissement. Nos premières pistes se portent ainsi sur des bactéries capables de naturellement produire de telles molécules et qui viendraient donc en aide aux algues symbiotiques lors d’un stress thermique. »
Les travaux de recherche sur les récifs coralliens impliquent une course contre la montre. Dans trente ans, on estime la totalité des coraux de l’océan morts, ainsi que la disparition d’écosystèmes entiers qui reposent sur ces récifs. Si le projet de Justin Maire n’en est qu’à ses débuts, le jeune chercheur reste conscient de l’ampleur de la tâche et ne nie pas la pression environnementale et sociétale liée à l’urgence de la situation.
« Ici, chaque été, le bilan tombe et c’est très dur. On se dit ‘un an de moins’ ou ‘est-ce qu’on va y arriver ?’. On se lance dans ces recherches tout en étant conscients que ce sont des travaux risqués et que la mise en pratique sera longue et fastidieuse si elle est viable. Mais plus je m’approprie le sujet, plus je prends conscience du pouvoir de mon rôle de chercheur sur la planète. Aujourd’hui, on débroussaille, mais si ça fonctionne, on sauve la Barrière de corail avec des bactéries, et cette idée pousse ma détermination encore plus loin. »
1Biologie Fonctionnelle Insectes et Interactions, INSA Lyon/INRA
Podcasts « Les cœurs audacieux » - Saison 1 / Épisode 4 - 27 mai 2021