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L’intégrité des turbopompes d’Ariane 6 simulée et testée à l'INSA Lyon
Elle a décollé le 9 juillet dernier, depuis le port spatial européen de Kourou, en Guyane Française : Ariane 6, très attendue tant par la communauté scientifique que le grand public, incarne un enjeu stratégique majeur pour l’Europe dans la conquête spatiale. Développé depuis près d’une décennie, le lanceur est le fruit de recherches pointues et de collaborations scientifiques d’envergure, auxquelles des membres du LaMCoS1 ont pris part.
Grâce à un logiciel de modélisation de dynamique de machines tournantes embarquées, complété par un excitateur multiaxial - dispositif expérimental unique dans la recherche académique nationale, le comportement dynamique de turbopompes du moteur d’Ariane 6 a été analysé sous excitations similaires aux conditions de lancement de la fusée. Cette collaboration étroite le CNES, ArianeGroup et le LaMCoS contribue à garantir la performance et la robustesse ded turbopompes du lanceur.
Du travail d’orfèvre, à l’échelle d’un vaisseau
Au cœur de la version 62 du lanceur européen se trouve deux éléments cruciaux à la bonne réussite du décollage : les turbopompes. Situées de chaque côté de l’organe central de l’appareil, le moteur Vulcain, les turbopompes sont chargées de pressuriser les ergols, ses carburants et comburants composés d’hydrogène et d’oxygène liquides, avant leur injection dans la chambre de combustion. La turbopompe remplit ainsi deux fonctions : d'une part, elle assure l’alimentation en ergols, en garantissant une combustion optimale dans le réacteur. D'autre part, elle maintient la pression dans les réservoirs pour assurer la continuité du flux, même lors des différentes phases du vol. Une gestion, qui se doit d'être fine, lorsque près de 150 tonnes d'ergols se consument en quelques minutes pour propulser la fusée vers l'espace. Le rôle de la turbopompe est essentiel, car la poussée dépend directement de la pression des ergols injectés : le comportement, notamment dynamique de chaque machine doit être vérifié.
« Le décollage d’un lanceur comme Ariane 6 implique des sollicitations variées, induisant de nombreux phénomènes non-linéaires. Pour fonctionner de manière sûre, le comportement dynamique des structures doit être calculé et testé, travail que nous avons réalisé grâce à PHARE-3, l’excitateur 6 axes dont nous disposons à l’INSA Lyon, via l’Equipex PHARE », indique Éric Chatelet, maître de conférences au LaMCoS en charge de cet équipement.
L’Equipex PHARE : l’expert des forces tournantes
« PHARE » pour « Plateforme macHines tournantes pour la mAîtrise des Risques Environnementaux ». Installée à l'INSA Lyon, cette plateforme d’essais de grandes capacités fait partie de l’Equipex PHARE dont l’objectif est d’aider à l’élaboration de machines tournantes du futur. Ainsi, les bancs d’essais Phare-1 et Phare-2 installés à l'École Centrale Lyon et Phare-3 à l'INSA Lyon sont dédiés à l’analyse des phénomènes vibratoires, aéroélastiques et aéroacoustiques pour élaborer des turbomachines et des moteurs performants, durables et fiables. « L’excitateur multiaxial Phare-3, unique dans la recherche publique française, est capable de rejouer des excitations que subissent les structures par leur base. En répliquant des signaux multiaxiaux pré-enregistrés ou forfaitaires, il éprouve les machines tournantes avec des excitations représentatives des conditions réelles d’utilisation. Pour les industriels, ce type de test en laboratoire offre un grand avantage, car il ne mobilise pas le véhicule, réduit donc les coûts, et limite les risques car niveaux et fréquences d’excitation sont pilotés et progressifs », explique Régis Dufour, professeur à l’origine du projet PHARE-3.
L’excitateur multiaxial PHARE-3 est un des trois bancs d’essais de l’Equipex PHARE dont l’objectif
est d’élaborer les machines tournantes du futur en éprouvant leur intégrité sous environnements extrêmes.
Les turbopompes sur le banc d’essai
Un des grands défis des constructeurs de machines tournantes est de concilier rendement et hauts régimes de fonctionnement. Cependant, ces systèmes pourvoyeurs de fortes excitations voient leur intégrité fragilisée et des risques de défaillances sont induits par les niveaux vibratoires trop élevés. Grâce à l’excitateur multiaxial, le LaMCoS cherche donc à prévoir le niveau des réponses dynamiques des machines tournantes. Isolé du sol grâce à un massif d’isolation sismique, l’excitateur hydraulique à six axes est capable de produire des mouvements combinés et simultanés de translation et de rotations. « Nous cherchions à reproduire les spectres forfaitaires auxquels pouvaient être soumis les équipements embarqués. Nos essais ont d’abord débuté sur une preuve de concept AdRoK, disposant d’une architecture similaire à celle d'une turbopompe pour valider les simulations numériques calculées avec AdViSOR, le code de calcul aux Eléments Finis développé. Par la suite, une campagne de tests a été lancée sur un prototype identique à celui devant équiper Ariane 6 », poursuit le maître de conférences.
Yvon Briend, d’abord doctorant dans le cadre du Labcom ANR-PME AdViTAM qui alliait la société AVNIR Engineering au LaMCoS, puis post-doctorant dans la collaboration CNES-ArianeGroup-LaMCoS, a été la clé de voûte dans le développement de la preuve de concept AdRoK et du code de calcul AdViSOR. « Ses travaux, alliant modélisations et expérimentations, ont largement contribué à l’analyse de l’intégrité des machines tournantes embarquées dans le lanceur et apporté une belle brique scientifique et technologique au succès du lancement d’Ariane 6 », ajoutent les encadrants.
Aujourd’hui, Yvon Briend est ingénieur R&T turbomachines sur le site de Vernon d'ArianeGroup SAS.
- Equipex PHARE-3 : Convention ECL-ANR et ECL-INSA Lyon. Régis Dufour, Eric Chatelet. 2011-2021.
- Labcom ANR – PME AdViTAM. Convention INSA Lyon – ANR. Novembre 2017-Novembre 2021.
o AVNIR Engineering : Christophe Ulrich, Sophie Baudin.
o LaMCoS : Eric Chatelet, Régis Dufour, Marie-Ange Andrianoely (IR CNRS), Franck Legrand (IE CNRS), Yvon Briend (Doctorant).
- Post-doc (24 mois). Convention INSAVALOR-CNES-ArianeGroup-LaMCoS. Décembre 2021-Décembre 2023.
o CNES : Giuseppe Fiores
o ArianeGroup SAS : Giampierro Pampolini
o LaMCoS : Régis Dufour, Eric Chatelet, Marie-Ange Andrianoely (IR CNRS), Franck Legrand (IE CNRS), Yvon Briend (Post-Doctorant)
- Convention ArianeGroup-INSAVALOR. Test d’une Turbopompe. Septembre 2024.
o ArianeGroup : Giampierro Pampolini, Yvon Briend
o LaMCoS : Eric Chatelet.
[1] UMR5259 CNRS Laboratoire de Mécanique des Contacts et des Structures (INSA Lyon/CNRS/UdL)
Crédit ArianeGroup SAS