
INSA Lyon
Du code au compost : le parcours fertile de l’ingénieure Maud Tribaudeau
Rien ne semblait prédestiner Maud Tribaudeau à l’aventure entrepreneuriale que l’ingénieure vit aujourd’hui. Diplômée du département génie électrique à l’INSA Lyon et après un brillant début de carrière dans le domaine de la high-tech et le sport automobile, l’entrepreneure est aujourd’hui à la tête de la société Tripluch. La start-up en plein développement née à la croisée de la technologie, de l’écologie et de l’engagement social, accompagne des structures dans la gestion de leurs biodéchets.
Une quête de sens
Deux ans en Formule 1 puis encore deux années chez Nokia dans les télécommunications. À sa sortie de l’INSA Lyon, Maud Tribaudeau enchaîne les contrats sans difficulté. Diplômée du département génie électrique, cette escrimeuse de haut niveau, passionnée de code et de haute technologie, se projette dans une carrière grandiose. Puis, progressivement s’opère une bascule, comme une quête de sens intellectuelle profondément ancrée qui ressurgit. « Durant mon dernier contrat, j’étais développeuse dans une petite entreprise dans laquelle je travaillais beaucoup seule et cela me pesait. J’avais alors négocié de travailler 3 jours par mois pour former les jeunes femmes au code. Mon état d’esprit, c'était de promouvoir la tech auprès des femmes ». Un cheminement largement nourri par son passage au sein de l’école d’ingénieur lyonnaise. « Mon parcours m’a poussé à m’investir dans le milieu associatif, à penser collectif, à me tourner vers les autres et à valoriser l’humain ».
La fine fleur du compostage
Petit à petit, les événements s’enchaînent et Maud saisit sa chance et les opportunités. Un déménagement dans le sud de la France pour suivre son compagnon, la découverte de la pratique du compostage à domicile… « Et ses galères ! » Puis une rencontre déterminante. « Un jour, je participe à une conférence où je découvre le métier de maître-composteur. Ce sont des professionnels de la prévention et de la gestion de proximité des biodéchets et cela me donne des idées ». La future entrepreneuse voit aussi dans le cadre réglementaire une opportunité pour sa future entreprise. En 2020, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) impose à tous les particuliers, entreprises et collectivités de trier leurs biodéchets à la source à partir du 1ᵉʳ janvier 2024. La société de Maud est dans les starting-blocks, il ne manque plus que l’étincelle. « Ma mère est Directrice dans un EPHAD et elle me parle de ses difficultés à trier les déchets ménagers de son établissement. C’est cette histoire de famille qui va finalement lancer ma société. Ma mère est ma première cliente en quelque sorte », sourit Maud Tribaudeau.
Un accompagnement sur-mesure
Ainsi, en janvier 2022 naît Tripluch, « l'outil pour composter bien entouré », comme l’indique son slogan. « J’ai compris qu’il y avait un vrai besoin de mise en relation entre structures concernées et professionnels du compost. Puis, j’ai identifié un autre besoin : le suivi. Sans accompagnement, les bacs à compost peuvent facilement être délaissés. C’est là qu’est née l’idée de développer un outil numérique ». Aujourd’hui, la société est en capacité de fournir un accompagnement de A à Z, de la recherche de matériel pour le compost, en passant par la mise en relation avec le maître-composteur jusqu’au suivi du compost via l’application numérique. À la clé pour les structures clientes, un gain financier et écologique. « Mes clients peuvent réduire leur taxe liée aux déchets ménagers, valoriser cette solution dans leur démarche RSE et bien sûr diminuer leur empreinte carbone ». Et pour cause, nos déchets organiques ou biodéchets sont composés à 80 % d'eau et sont aujourd’hui souvent enfouis ou incinérés, ce qui génère environ 800 000 tonnes de gaz à effet de serre par an. Chaque année, les ménages français génèrent 18 millions de tonnes de biodéchets, soit environ 83 kg de biodéchets résiduels par habitant et par an (déchets de cuisine et les déchets verts).
Tripluch ne s’arrête pas à cette mission écologique. « Faire jardiner des personnes âgées et leur faire remettre les mains dans la terre, c'est extrêmement valorisant. Les gens se rencontrent, s’entraident, et passent moins de temps seuls », tient aussi à souligner Maud Tribaudeau.
Des projets plein la tête
Aujourd’hui, sa société basée dans le Var est accompagnée par l’Incubateur Provence Côte d’Azur. Depuis deux ans, l’ingénieure informatique poursuit son chemin et entend bien chercher d’autres opportunités locales, notamment auprès des collectivités. En juin prochain, elle verra naître la commercialisation de son application web. « La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a le mérite d’exister mais de nombreux freins demeurent pour que tout le monde agisse. L’accompagnement, surtout la pédagogie dans mon cas, c’est la clé. J'ai encore du travail ! », explique Maud Tribaudeau.
En parallèle, la jeune trentenaire, continue à enseigner le code une fois par semaine. « J’ai des idées plein la tête », s’enthousiasme Maud Tribaudeau. « Cette activité complémentaire m’apporte de la stabilité financière et cela est cohérent avec les valeurs de Tripluch et ma vision des choses : celle de promouvoir une tech utile, inclusive, humaine et accessible ». Ces valeurs, Maud aime les transmettre et n’oublie jamais de faire un passage par l’INSA Lyon pour revoir ses professeurs et contribuer à des projets avec des élèves. « J’aimerais dire aux futurs ingénieurs de garder ces valeurs humanistes qui nous ont été inculquées et d’explorer les possibilités larges que nous donne le statut d’ingénieur ». Et l’entrepreneuse de conclure « j’ai la conviction qu’un ingénieur n’est pas destiné à travailler dans un seul domaine. Ces dernières années, j’ai exploré de nombreuses problématiques et exercé plusieurs métiers. Je me sens accomplie et parfaitement alignée. »

Recherche
Tri des biodéchets : « les changements de comportements demandent du temps »
Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, conformément à la loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire1, tous les particuliers ont pour obligation de trier leurs biodéchets. Pour les accompagner, les collectivités territoriales ont une obligation de proposer une solution à leurs habitants. Début 2024, la Métropole de Lyon comptait un peu plus de 1 300 bornes à compost, déployées sur sept communes. De l’assiette à la revalorisation, le tri des déchets verts et alimentaires représente un véritable enjeu en matière de transition écologique.
Chantal Berdier est chercheuse au laboratoire Environnement Ville Société2 à l’INSA Lyon. Dans le cadre d’une étude dédiée à la valorisation3 des biodéchets de la Métropole lyonnaise, elle travaille sur le sujet.
Biodéchets, compost, déchets végétaux, alimentaires… Il est parfois difficile de s’y retrouver. Quels types de déchets biodégradables se cachent dans nos poubelles ?
Il est important de rappeler ce que sont les biodéchets. Selon le code de l’environnement, les biodéchets sont des « déchets non-dangereux biodégradables de jardin ou de parc, des déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires ». Ce sont des éléments dont la décomposition se fait de façon « naturelle ».
Quel volume représentent nos biodéchets à l’échelle de la Métropole lyonnaise ?
D’après la méthode de caractérisation des déchets ménagers et assimilés appelée « MODECOM » par l’Ademe, les biodéchets représentent 29 % des poubelles à l’échelle de la Métropole. Parmi eux, 24 % représentent des déchets alimentaires et 5 % des déchets verts. Le volume annuel total de ces déchets produits par les ménages dans la Métropole de Lyon est estimé entre 74 000 et 75 000 tonnes, soit 53 kg par habitant et par an. Dans ce volume, 70 000 tonnes sont des déchets alimentaires. Ainsi, selon une enquête d’opinion sur le gaspillage alimentaire menée par l’institut OpinionWay et l’entreprise SmartWay, 59 % des Français jettent des produits à cause de leur apparence, 32 % à cause d’une date limite de consommation proche ou dépassée, 20 % les jettent par manque de prévoyance et 18 % estiment jouer la carte de la prudence. Aujourd’hui, ces déchets sont incinérés ou enterrés. Or, c’est une ressource indispensable pour nourrir les sols et produire du biométhane. C’est tout l’enjeu de la nouvelle obligation du tri à la source des biodéchets : depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, tous les producteurs et détendeurs de biodéchets doivent les trier en vue de leur valorisation.
À l'échelle de la Métropole de Lyon, les biodéchets représentent 29 % de la poubelle grise
(source : Étude « VALOR »).
À l’heure actuelle, comment sont gérés les biodéchets des habitants de la Métropole lyonnaise ?
Actuellement, la Métropole de Lyon dispose de quatre modes de compostage de ces déchets alimentaires. Premièrement, le compostage domestique individuel : la Métropole distribue à la demande des composteurs pour les ménages disposant d’un espace extérieur. Ensuite, le compostage de proximité : la Métropole a par exemple mis en place un marché public de maîtres composteurs, composé de professionnels de la prévention et de la gestion de proximité des biodéchets pour l’accompagnement des associations citoyennes ayant demandé un composteur. Puis le vermicompostage de proximité : les mairies ou les bailleurs sociaux fournissent des lombricomposteurs qui sont installés et gérés par une association locale, Eisenia. Ce dispositif existe uniquement dans certains quartiers et communes. Enfin, le compostage en plateforme : installation de bornes à compost dans l’espace public, puis collecte hebdomadaire et acheminement vers une plateforme de compostage. Cependant en pratique, hormis les déchets verts déposés en déchetterie, en 2023, 84,5 % des déchets alimentaires des ménages de la Métropole se retrouvent dans la poubelle grise et vont en incinération. Cette même année, seuls 15 % ont été valorisés sous forme de compost, soit moins de 9 kg par habitant et par an.
Éviter des émissions de gaz à effet de serre, c’est aussi ça l’objectif de limiter ces déchets ?
Effectivement, la mise en décharge classique des biodéchets est à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre. Le tassement des déchets provoque la fermentation de déchets alimentaires dans un milieu sans oxygène, créant ainsi des conditions favorables à l’émission de méthane dans l’atmosphère. Et le méthane a un pouvoir dit de « réchauffement » global de la planète 25 fois supérieur à celui du CO2.
L’impact carbone annuel du gaspillage alimentaire est évalué à 3 % de l'ensemble des émissions de l'activité nationale. Et la France s'est engagée à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d'ici 2025. L’étude comparative des émissions menée dans le cadre du projet de recherche « VALOR » montre qu’une gestion de proximité en compost réutilisé sur des territoires proches est toujours moins émissive que le compostage industriel.
À l’heure actuelle, 31 % des biodéchets retournent au sol via le compostage et 61 % font l’objet d’une valorisation énergétique. D’ici 2030, la Métropole de Lyon ambitionne de doubler la valorisation matière
(source : Étude « VALOR »).
Que va changer la nouvelle loi récemment entrée en vigueur ? Pensez-vous que l’on puisse d’ici les prochaines années parvenir un jour à 100 % de tri des biodéchets ?
En ce début d’année 2024, selon l’ADEME, 20 millions d’habitants sont desservis par une solution de tri. Nous sommes au début d’un nouveau cycle, le chemin risque d’être long avant de parvenir à 100 % de recyclage des biodéchets. À l’échelle de la Métropole, tous les citoyens ne disposent pas encore d’une solution de collecte et de valorisation de leurs biodéchets et ils ne sont pas tous informés sur cette nouvelle exigence. Ce nouveau tri à réaliser peut représenter une contrainte supplémentaire, notamment dans des cuisines parfois très exiguës. Aussi, la cohabitation entre les composteurs de proximité et des bornes à compost obligent à un double tri : déchets non carnés pour les composteurs, tous les déchets pour les autres bornes. Enfin, les changements de comportements demandent du temps. Par ailleurs, il faudra penser à différentes échelles et réfléchir aux utilisations pour les produits issus des biodéchets valorisés. Si l’on prend l’exemple du compost : aujourd’hui, peut-on envisager l’utilisation de la totalité du compost produit sur le territoire de la Métropole de Lyon ? La réponse est oui, car on ne valorise que 15 % des biodéchets en compost. Si le volume de biodéchets valorisé en compost augmente de façon significative, la question se posera.
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[1] La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 18 février 2020, entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat. ()
[2] EVS (Université Lyon 3, Université Lyon 2, Université Jean Monnet, ENS de Lyon, ENTPE, ENSAL, INSA Lyon, EMSE)
[3] Étude « VALOR », Valorisation des biodéchets des ménages en compost pour l'amendement des sols (2020-2024), financée par l’ADEME.
Unité mixte de recherche Environnement Ville et Société (EVS) – CNRS – INSA Lyon, Institut supérieur d'agriculture Rhône-Alpes Lyon (ISARA) Lyon, Université Lyon 3, Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'alimentation et l'environnement Avignon (INRA), Association Eisenia.