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Mort cellulaire programmée : le puceron du pois montre une nouvelle voie
Publié dans la revue PNAS, l’article rédigé au laboratoire BF2i (Unité Mixte de Recherche INRA/INSA Lyon) fait référence à la découverte d’un nouveau processus de mort cellulaire chez les insectes et plus précisément chez le puceron du pois. Cette découverte ouvre le champ des possibles chez les insectes mais aussi chez l’Homme. Entretien avec Federica Calevro, enseignante et chercheuse au laboratoire BF2i (Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions).
Pourquoi étudiez-vous les pucerons ?
Les pucerons ont beaucoup de succès sur notre planète ! Il y a environ 5000 espèces différentes de pucerons sur terre, c’est énorme ! Le problème, c’est qu’ils aiment beaucoup trop les plantes nécessaires à l’alimentation de l’Homme. Comme les conséquences économiques sont importantes, le laboratoire BF2i concentre une partie de sa recherche sur les nouveaux moyens de lutte contre ces insectes. Il faut savoir que le puceron a la possibilité de se reproduire de façon clonale, contrairement à la majorité des autres insectes ! Un seul puceron femelle peut pondre plus de 90 femelles qui lui sont strictement identiques ! On cherche donc à comprendre leur comportement et leur biologie, non pas pour les éradiquer, mais pour parvenir à en contrôler la population, et éviter l’explosion de leur population suite à leur reproduction clonale.
Qu’avez-vous donc découvert récemment ?
Un nouveau processus de mort cellulaire chez le puceron du pois. C’est une découverte qui ouvre la porte à de nombreuses réflexions. Mais il faut d’abord comprendre que le puceron vit en symbiose avec de nombreuses bactéries dont une, en particulier, lui est indispensable, la bactérie Buchnera. En effet, si le puceron se nourrit du sucre de la sève et des acides aminés non-essentiels de la plante, il complète son alimentation avec les acides aminés manquants dont il a besoin grâce à la bactérie Buchnera. Cette bactérie symbiotique se trouve dans des cellules spéciales du puceron, appelées bactériocytes, qui ne sont présentes que chez les insectes.Notre doctorant Pierre Simonet, voulant comprendre comment le puceron contrôle la dynamique de population de ses bactéries symbiotiques, s’est aperçu qu’au stade de jeune adulte, le puceron présentait de nombreux bactériocytes, de grande taille et remplis de bactéries symbiotiques, précisément lors des pics de reproduction. Ce n’est que lorsque le puceron entre dans sa phase « vieillissante » que le nombre de bactériocytes diminue et leur taille aussi. On a alors découvert chez ces pucerons âgés que le cœur de chacune de ces cellules était dépourvu de symbiotes contrairement aux jeunes pucerons.
Des coupes de quelques nanomètres d’épaisseur nous ont précisé que ce cœur de cellule n’était pas vide, mais au contraire rempli de vacuoles (des sous-compartiments membraneux de la cellule). Cela nous a tout de suite interpellés ! Parce que l’accumulation de vacuoles est observée régulièrement dans les processus de mort cellulaire !
Pierre décide alors de partir en Belgique, chez l’un de nos collaborateurs, pour développer une méthode nouvelle pour les bactériocytes, le whole-mount, qui consiste à isoler un puceron et disséquer ses cellules pour les marquer.
C’est ce marquage, fait sur différentes protéines de bactériocytes en cours de vieillissement, qui a démontré que nous étions face à un cas nouveau de mort cellulaire.
Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau processus de mort cellulaire ?
La grande taille des vacuoles, leur origine (ils sont produits par le réticulum endoplasmique de la cellule), la réorganisation du système des microtubules de la cellule, qu’on peut assimiler à sa colonne vertébrale, la digestion, par les lysosomes, des millions de symbiotes présents dans les bactériocytes.
Quelles réflexions peuvent s’engager après cette découverte ?
L’évolution a doté le puceron du pois d’un nouveau moyen de se débarrasser de ses cellules symbiotiques.
Est-ce que d’autres insectes qui possèdent des bactéries symbiotiques et des bactériocytes peuvent faire la même chose ? Peut-on contrôler ce processus cellulaire pour lutter contre le puceron du pois d’une façon plus respectueuse de l’environnement que l’utilisation de pesticides chimiques ?
Cette découverte n’aurait peut-être jamais pu aboutir il y a 10 ans parce qu’on considérait que les mécanismes principaux de mort cellulaire étaient la mort cellulaire programmée (apoptose) ou l’auto-cannibalisme cellulaire (autophagie). Depuis, les études en la matière se sont multipliées et, rien que chez les mammifères, on dénombre une vingtaine de morts cellulaires différentes. Et à chaque fois, le processus est relié à un mécanisme physiologique ou pathologique.
Découvrir de nouveau processus de mort cellulaire chez l’insecte ouvre le champ des possibles et a un écho chez l’humain. D’ailleurs, grâce à son travail de thèse, Pierre a décidé de poursuivre ses études en médecine, pour travailler sur la biologie cellulaire autour de l’Homme et de la santé. Le puceron du pois lui a ouvert la voie !
1Pierre Simonet, Karen Gaget, Séverine Balmand, Mélanie Ribeiro Lopes, Nicolas Parisot, Gabrielle Duport, Gérard Febvay, Abdelaziz Heddi, Hubert Charles and Federica Calevro
2Kurt Buhlerb, Veerle Vulstekeb and Patrick Callaerts
1 Univ Lyon, INSA-Lyon, INRA, BF2I, UMR0203, F-69621, Villeurbanne, France.
2 KU Leuven, University of Leuven, Department of Human Genetics, Laboratory of Behavioral and Developmental Genetics, B-3000, Leuven, Belgium.
Contact : Federica Calevro - Tél : 04 72 43 79 88 - federica.calevro@insa-lyon.fr

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Publiés dans Nature, ses travaux remettent en cause les recherches d’une autre équipe
Après deux ans de procédure, l’article de Rita Rebollo (laboratoire BF2i*) et de ses collègues est enfin paru dans la revue Nature. Une satisfaction pour cette chercheuse en épigénétique.
Qu’est-ce que l’épigénétique ?
L’épigénétique désigne les mécanismes de régulation de l’expression de gènes sans changement de séquence d’ADN. Toutes les cellules de notre organisme ont le même génome et c’est le programme d’expression des gènes qui permet à chaque cellule de se spécialiser. En effet, le même gène à un moment précis, peut être exprimé dans une cellule et éteint dans une autre. Tout cela sans que l’ADN ne change de séquence. Les mécanismes épigénétiques permettent aussi de contrôler des séquences virales intégrées qui existent au sein de notre génome. En effet, il faut savoir que la moitié du génome humain est composée d’éléments transposables (ET), qu’on a longtemps appelé « ADN poubelle » parce qu’on ne savait pas quelle était leur fonction. Les ET sont des séquences répétées capables de se multiplier au sein d’un génome et de causer des mutations ainsi que des changements dans l’expression des gènes. Le séquençage des génomes a montré que ces ET pouvaient impacter fortement les génomes et donc participer au programme d’expression des gènes.
Sur quoi portent vos travaux qui ont fait l’objet de cette publication dans Nature ?
En 2015, une équipe de chercheurs a décidé d’étudier un variant d’histone. Les histones sont les principaux constituants protéiques des chromosomes. Elles sont étroitement associées à l'ADN dont elles permettent la compaction : l'ADN est en effet enroulé autour des histones comme du fil autour d'une bobine. L’équipe concernée a affirmé par ses travaux sur des cellules de souris que ce variant d’histone pouvait réguler l’expression de certains ET. Quand ce variant est muté, c’est-à-dire, n’est plus fonctionnel dans le génome de la souris, certains ET « bougent », c’est à dire transposent au sein d’une cellule. C’est un résultat important car la dérégulation des ET peut entrainer des mutations délétères.
A l’époque, je travaillais à Vancouver sur des souches de souris un peu bizarres, peu étudiées dans les laboratoires et j’essayais de démontrer que les ET « bougeaient » uniquement dans ces souches de souris et pas dans les autres. Quand Dixie Mager (la chef d’équipe de mon laboratoire de post doctorat à Vancouver) et moi avons vu ces résultats, et l’emplacement dans le génome où les nouvelles copies s’étaient insérées, nous avons compris que les chercheurs avaient fait une erreur.
En effet, les « nouvelles copies » observées par les chercheurs étaient en fait présentes dans les souches que j’étudiais. Leurs résultats s’expliquent par les procédures utilisées dans les laboratoires pour obtenir et maintenir les lignées cellulaires. Les chercheurs ont utilisé des cellules hybrides, c’est-à-dire issues d’un croisement entre deux souches de souris. Ces cellules hybrides contenaient des ET provenant des deux souches de souris, pas seulement de la souche canonique comme spéculé par les chercheurs. Ainsi, les nouvelles copies n’étaient pas une conséquence du manque de régulation des ET par le variant d’histone. Les données suggérées par l’équipe de recherche étaient donc incorrectes. J’ai ensuite participé à l’écriture d’un article pour rectifier ces données, que la revue scientifique Nature vient du publier.
Que signifie la parution de cet article dans Nature ?
Au-delà de l’aspect purement scientifique, je pense qu’il est important en recherche de souligner l’importance d’étudier des systèmes non-modèles, de travailler à partir de différentes souches, et de sortir de sa zone de confort. Nous avons tendance à affirmer que des schémas se développent d’une même façon à partir d’un modèle mais même au sein d’une espèce, les mécanismes peuvent être différents. Deux ans de procédure ont abouti à la parution d’un « Brief communications arising » dans le numéro du 3 août 2017, permettant d’ouvrir le dialogue sur le fait que nos recherches viennent rectifier les données avancées par une autre équipe de recherche en 2015. Néanmoins, l’article originel est toujours présent dans le magazine Nature par une décision des éditeurs de laisser libre arbitre aux lecteurs.
Après avoir travaillé une année au LBBE sous un contrat H2020 Marie Skłodowska-Curie, elle a rejoint le laboratoire BF2i dirigé par Pr Abdelaziz Heddi.
Rita a bénéficié depuis d’un soutien PALSE et vient de réussir un projet ANR jeunes chercheuses/jeunes chercheurs nommé UNLEASH.