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BIOSnare : un piège à insectes biosourcé et biodégradable pour les rayons de vracs alimentaires
D’ici à 2050, la production alimentaire devra augmenter de 60 % pour nourrir une population mondiale d’environ 9 milliards d’habitants. Un défi immense, d’autant plus difficile à atteindre dans un contexte de réchauffement climatique qui perturbe nos écosystèmes, les rendements agricoles et favorise la prolifération d’espèces d’insectes ravageurs. Pour faire face, la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter les impacts de ce réchauffement et l’adaptation en trouvant des solutions adéquates, sont les deux faces d’une même pièce. Mais comment repousser ces espèces nuisibles sans utiliser de produits agrochimiques qui contribuent encore un peu plus à alimenter le problème ? Depuis près d’un an, une équipe d’étudiants de l’INSA Lyon et de l’Université Claude Bernard travaillent d’arrache-pied pour mettre au point une solution écoresponsable appelée BIO Snare. Fin octobre, ils présenteront les résultats de leurs travaux lors de l’édition 2024 du grand concours international de biologie de synthèse iGEM (International Genetically Engineered Machine). Objectif : décrocher un titre.
Les espèces nuisibles en pleine croissance
En Europe comme ailleurs, depuis quelques décennies, l’effondrement des populations d’insectes est vertigineux. Dans certaines zones du globe comme en Allemagne, le déclin atteint près de 80 % pour la biomasse d’insectes volants entre 1989 et 2016 selon une étude1 publiée en 2017. Dans le même temps, d’autres espèces nuisibles sont quant à elles en pleine croissance. Une prolifération favorisée par le réchauffement climatique avec des effets importants sur les rendements agricoles. Selon certaines études2, le rendement global des cultures de blé, de maïs et de riz devrait diminuer de 10 % à 25 % pour chaque degré supplémentaire de réchauffement en raison des pertes causées par les insectes nuisibles. Pour faire face à cette problématique de taille, une urgence, réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter les impacts de ce réchauffement climatique, mais il est aussi nécessaire de s’adapter et trouver des nouvelles solutions pour éliminer ces nuisibles tout en protégeant les autres espèces dont celles menacées d’extinction et les pollinisateurs primordiaux pour l’équilibre de nos écosystèmes.
Une solution sans produits chimiques
Plus aucun produit chimique. C’est ce que propose le dispositif BIO Snare, du même nom que l’équipe constituée il y a un an et composée de 16 étudiants du département Biotechnologies et Bioinformatique l’INSA Lyon et de l’Université Claude Bernard. BIO Snare, c’est « un patch collant et coloré, 100 % biosourcé, biodégradable et respectueux de l'environnement », comme l’indique son slogan. Comment ? En laissant la nature faire son travail ou presque : « On associe une bactérie qui produit naturellement de la cellulose en grande quantité et une levure génétiquement modifiée pour modifier cette cellulose et ainsi fabriquer un papier gluant capable de sélectionner les insectes », explique Marion Fiorucci, étudiante en 5ᵉ année du département Biotechnologies et Bioinformatique à l’INSA Lyon et membre de l’équipe BIO Snare.
L’équipe BIO Snare. Composée d’étudiants du département Biotechnologies et Bioinformatique de l’INSA Lyon et de l’Université Claude Bernard, en biochimie et biotechnologie,
en bioinformatique et modélisation, mais aussi en microbiologie, cancérologie, ingénierie de la santé, santé publique et biologie moléculaire et cellulaire. Crédits : Graines d’image.
Au début du projet, l’équipe embrasse un objectif ambitieux qui répond à une problématique locale : limiter la prolifération du moucheron asiatique ou drosophile du cerisier (Drosophila suzukii), un ravageur apparu en 2009 en France. Ce moucheron est redoutable, en particulier pour les framboises et les cerises dont le bassin lyonnais et reconnu comme le premier producteur. Selon les chiffres de l’AOP « Cerises de France » qui fédère plus de 600 producteurs français de cerises, la production des adhérents en 2023 a ainsi chuté de 35% par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. « Placé directement sur les arbres, le patch attirera des insectes ciblés en fonction de sa couleur spécifique. Et il est complètement biodégradable, ce qui signifie qu'il se décompose naturellement sans laisser de résidus nocifs dans l'environnement », indique l’équipe à son lancement. « Nous avons finalement dû revoir notre projet, car il nous manquait un moyen de rendre notre piège sélectif pour que ce patch une fois installé n’attire que les insectes nuisibles. Aujourd’hui, on se concentre davantage sur la thématique domestique (magasins alimentaires) qu’agricole », détaille Marion Fiorucci. Ce piège serait par exemple très utile dans les rayons vrac des supermarchés et marchés BIO qui sont la cible de nombreux insectes comme les mites, entraînant beaucoup de gaspillage.
Décrocher la lune
Du 23 au 26 octobre prochain, l’équipe de Bio Snare a rendez-vous pour la finale du grand concours IGEM. Créée il y a 20 ans, il s’agit de la plus grande compétition internationale de biologie de synthèse. Elle regroupe chaque année plus de 350 équipes issues des meilleures universités du monde pour repousser les limites de la biologie afin de répondre aux enjeux contemporains. « Nous sommes très fiers d’avoir pu établir les preuves de notre concept et de présenter nos travaux lors de cette finale. C’est la concrétisation d’un an de travail que nous avons réalisé, en plus de mener nos études, nous avons tout géré de A à Z, l’administratif, le financier, la communication, les liens avec les partenaires. C’est une expérience scientifique et humaine très enrichissante », insiste Marion Fiorucci de l’INSA Lyon.
Accompagnée par le laboratoire MAP (microbiologie, adaptation et pathogène) et soutenue financièrement notamment par la Fondation INSA de Lyon et la société bioMérieux, l’équipe attend avec impatience ce moment : « gagner nous ouvrira forcément des portes, mais nous verrons après la finale si l’idée de monter une startup est viable et si des débouchés industriels sont possibles. Il reste encore du travail et de la recherche, mais on a déjà pris contact avec des entreprises qui sont intéressées », conclut Marion Fiorucci. En attendant de décrocher la lune, l’équipe peut compter sur sa bonne étoile, Agnès Rodrigue, maître de conférences au sein du département Biotechnologies et Bioinformatique de l’INSA Lyon qui a déjà reçu la médaille des « Distinctions scientifiques » de l’INSA Lyon pour les récompenses obtenues lors de la compétition IGEM de 2022.
[1] More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. Plos One - 2017
[2] Increase in crop losses to insect pests in a warming climate. Science - 2018
Informations complémentaires

Recherche
Du pain sur la plante, ou comment accélérer l’innovation agronomique grâce à la biologie de synthèse !
Dominique Loqué du Laboratoire Microbiologie, Adaptation et Pathogénie (MAP/ UMR5240 INSA Lyon-CNRS-Lyon 1) a développé une nouvelle technologie qui devrait changer la vision de la difficulté à modifier les plantes et accélérer l’innovation agronomique. Sa nouvelle approche de l’assemblage dans la levure de gènes et fragments génomiques codant différentes propriétés agronomiques a été élaborée en collaboration avec plusieurs équipes aux Etats-Unis et s’avère peu coûteuse et accessible à tous les laboratoires.
Contexte de recherche
Pour répondre aux besoins d’une économie et d’une agriculture durables, les biologistes sont aujourd’hui à la recherche de nouvelles technologies renforçant leur connaissance du vivant, mais permettant également d’élaborer des systèmes bio-inspirés qui exploitent les propriétés du vivant.
L'avènement de la biologie synthétique chez les microorganismes a déjà démontré son fort potentiel dans différents domaines. Cependant, la biologie de synthèse végétale a jusqu'ici été entravée par une pénurie d’outils, notamment de banques de modules d’expression (par exemple des promoteurs, des terminateurs et des régulateurs), de stratégies d'assemblage de l’ADN efficaces et robustes, ainsi que de vecteurs de transformation supportant ces nouvelles approches.
Une nouvelle technologie révolutionnaire en biologie de synthèse
La technologie mise au point par Dominique Loqué et ses collaborateurs aux USA, est porteuse d’une véritable révolution dans le domaine de la biologie synthétique chez les plantes. Ces chercheurs ont développé un système polyvalent nommé jStack. Le but ? Utiliser la capacité naturelle de la levure pour assembler efficacement, par recombinaison homologue, des gènes et des fragments d’ADN variables de petites et grandes tailles dans des vecteurs de transformation de plantes.
Des champs d'application variés et durables
Ils démontrent comment cette méthode permet la bio-production, chez de nouvelles plantes hôtes, de molécules d'intérêt pharmaceutique et industriel, ainsi que la fabrication de biocarburants potentiels. Cette approche permet également de combiner des traits agronomiques issus de plantes (par exemple des gènes de résistance aux maladies), et de les réimplanter dans une nouvelle espèce afin de répondre à des besoins agronomiques. Elle constitue ainsi une puissante alternative aux stratégies classiques de sélection variétale.
Cette méthode répond donc aux besoins fondamentaux des biologistes pour étudier les mécanismes du vivant et pour mieux utiliser les plantes, aussi bien à des fins de substitution des produits d’origine pétrolières que de production de molécules pour la santé humaine, et ainsi faire face aux défis environnementaux et agricoles futurs.
- En savoir plus : Cette étude a été publiée le 26 octobre 2016 dans la revue Nature Communications.
A robust gene-stacking method utilizing yeast assembly for plant synthetic biology.
Shih PM, Vuu K, Mansoori N, Ayad L, Louie KB, Bowen BP, Northen TR, Loqué D.
Nat Commun. 2016 Oct 26;7:13215. doi: 10.1038/ncomms13215