Jean Capelle

04 oct
04/oct/2022

INSA Lyon

« Pour savoir ce que l’on ne sait pas, il faut déjà savoir ce que l’on sait »

La vérité scientifique ; quelle est-elle ? Comment est-elle conçue ? Comment est-elle mise à l’épreuve par une époque qui exhorte à la vitesse, à la synthèse et à la réduction ? Comment les métiers scientifiques et techniques doivent-elles s’y confronter ? 
Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, partage son diagnostic sur « la Vérité » : une notion qui invite à un test d’intelligence collective « dont on ne sait pas s’il sera réussi, ou pas ». Entretien.

Comment définir la vérité scientifique ?
C’est une vérité qui comporte plusieurs seuils. Il y a d’abord des vérités scientifiques qui sont vraies pendant un temps, et qui peuvent devenir complètement fausses, comme certaines théories balayées par l’avènement de la relativité d’Einstein par exemple. Ensuite, il y a des vérités qui seraient difficilement contestables ou remaniables comme par exemple remettre en question l’existence de l’atome ou que la Terre est ronde plutôt que plate… Ce sont les théories « béton », quoi. Et puis il y a des vérités qui restent des vérités, mais qui réclameraient une reformulation pour tenir compte des nouveautés que l’on a apprise. Un exemple que j’aime citer, c’est une phrase qui est l’exemple typique de la vérité scientifique mal dite. « La Terre tourne autour du soleil » : si vous décrétez que ce n’est pas vrai, vous passez pour un antiscience radical. Or, cette formulation est fausse dans la mesure où, lorsque vous dites « la Terre tourne autour du soleil », vous sous-entendez que le soleil est un centre, plutôt qu’un référentiel particulier. Ici, ça n’est pas que la vérité est devenue fausse, c’est que la façon de la dire est devenue désuète. 

La vérité scientifique pourrait-elle être un « outil » pour faire une société meilleure ?
Il faudrait qu’elle soit d’abord comprise. J’ai été choqué de la façon dont on a malmené la science et la recherche durant la crise Covid. On avait là l’occasion, historique sans doute, de faire de la pédagogie scientifique. Je pensais que l’on allait pouvoir expliquer « ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas », mais les scientifiques ont très rapidement été abandonnés pour laisser place à des controverses prématurées, personnalisées et parfois factices avec des gens qui disaient « je pense que », avis dont nous n’avions absolument rien à faire. En Allemagne, Angela Merkel ne disait pas, « le professeur untel pense que… ». Elle disait, « les scientifiques disent que… ». On a complètement oublié la notion collective de la recherche et en France, contrairement à d’autres pays européens, la confiance en la science s’est effondrée pendant la crise.

Qu’est-ce qui fait que selon vous, nous n’avons pas été capables en France de se saisir de ce moment historique pour faire de la pédagogie sur la vérité scientifique ? 
Je n’ai pas vraiment d’explication ; je constate seulement que les chercheurs qui étaient impliqués au tout début de la crise dans les médias et qui s’étaient retrouvés à répondre « nous ne savons pas », n’ont plus jamais été invités par la suite. En France, on a l’idée qu’un savant doit pouvoir répondre à toutes les questions, donc la parole de ces gens a été rapidement délaissée pour des gens qui avaient réponse à tout, y compris aux questions dont personne ne connaissait la réponse. On a donné une prime à l’arrogance plutôt qu’à la compétence. À cela s’ajoutent aussi tous les biais cognitifs bien connus : en période de confusion, on accorde son crédit aux paroles qui nous rassurent. Plus encore, il y a eu une grande confusion entre la science et la recherche. La science est un corpus de connaissances qui est, par nature, incomplet. Ces connaissances sont des réponses à des questions bien posées ; réponses que l’on peut contester, mais avec des arguments scientifiques et non pas avec son ressenti. Par ailleurs, nous nous posons des questions dont nous savons que nous n’avons pas les réponses : c’est ce dont on doute. Et ce doute-là, c’est le moteur de la recherche. 

La question du « doute » est quelque chose qui est difficilement compris et accepté par la société civile, n’est-ce pas ? 
Le mot « doute » fait référence à l’ignorance, mais il ne s’agit pas ici de l’ignorance des ignares ; mais de l’ignorance des savants. Pour savoir ce que l’on ne sait pas, il faut déjà savoir ce que l’on sait ; ce qui n’est pas donné à tout le monde. Lorsque l’on confond la science et la recherche comme pendant la crise Covid, le doute propre à la recherche vient coloniser même l’idée même de science. Et puis, on finit par confondre la science et le doute. Pourquoi faudrait-il donc écouter les scientifiques, s’ils doutent ? Confondre la science et le doute discrédite forcément les scientifiques, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Donc je pense que c’est impératif de faire la distinction entre la science et la recherche : il y a ce que l’on sait, et ce dont on doute. Ce sont deux choses qui sont liées mais qui sont très différentes. 

Vous parliez des biais cognitifs plus tôt. Est-il important de rappeler qu’entre vérités et croyances, notre société de la hâte, a gommé la frontière pourtant nécessaire entre les deux notions ?
Notre cerveau, par construction, n’aime pas être contredit. Avant qu’il y ait le numérique, les gens de gauche ne lisaient pas le Figaro, et les gens de droite ne lisaient pas Libération, parce qu’ils voulaient que le compte-rendu des actualités qui collent à leur façon de lire le monde. Sauf qu’avec le numérique, cette tendance s’est accentuée : il y a d’une part les algorithmes qui sont très prompts à détecter vos tropismes, vos croyances, vos habitudes et qui vont alimenter en biais de confirmation. D’autre part, dans les mêmes canaux qui ne sont pas hiérarchisés, circulent en même temps des connaissances, des croyances, des avis, des bobards ou des commentaires qui ont des statuts très différents. Seulement, par le fait même qu’ils circulent ensemble, ils se contaminent. Personne parmi nous n’a le temps de vérifier les sources ou de comparer les connaissances aux croyances. D’autant plus que les connaissances sont parfois considérées comme les croyances d’une communauté particulière ou à l’inverse, les croyances sont considérées comme des connaissances. 

Pourquoi les ingénieurs devraient-ils porter une attention particulière à la vérité ? 
Disons qu’ils ont un accès privilégié à la vérité scientifique. Du moins, la maîtrise de certaines compétences. La science produit des connaissances, mais ce que l’on a constaté, c’est que la science produit aussi de l’incertitude. C’est une incertitude d’un type très spécial. Par exemple, la biologie vous dit comment faire des OGM, mais elle ne vous dit pas si vous devez les faire. Autrefois, ces choix étaient indécis car la science servait l’idée de « progrès ». Aujourd’hui, ce type de questionnement soulève un choc de valeurs : alors on se bagarre, on discute, on n’est pas d’accord. À mon sens, les ingénieurs ont besoin de prendre la parole dans le débat public car une société moderne devrait pouvoir décider de façon démocratique le type de compagnonnage qu’elle souhaite effectuer avec les nouvelles technologies.

Qu’entendez-vous par « prendre la parole dans le débat public » ?
Je pense que la compétence, en général, met dans une position que l’on pourrait qualifier de modérée. Sauf que chez les ingénieurs, la modération dont il est question s’applique aussi à leur engagement : ils s’engagent, modérément. Il faut que les ingénieurs disent ce qu’ils savent et ce qu’ils font, mais aussi qu’ils disent ce qu’ils pensent de ce qu’ils savent et de ce qu’ils font. Cela ne suppose pas qu’ils décident, mais qu’ils s’expriment. Ce n’est pas une obligation, mais il faut que certains le fassent, sinon, on laisse le champ libre aux arrogants. Je vois aussi une forme de « honte prométhéenne » chez certains ingénieurs qui se sentent dépassés par la technique et qui ne s’estiment pas assez compétents pour prendre la parole. C’est quelque chose qui freine leur engagement dans la mesure où ils sont amenés dans beaucoup de situations à faire face à des questions qu’on leur pose et répondre « je ne sais pas ». Et ça il faut l’apprendre : ce n’est pas une honte à dire que l’on ne sait pas. À mon sens, c’est même une preuve de lucidité. 

Donner la parole aux ingénieurs serait donc une façon de remarier sainement la science, la technique et la société civile ?
Avant de réfléchir intellectuellement à la place de la science dans la société, je crois que la priorité numéro une serait de tenir compte des leçons de ce que la crise Covid a engendrées, puis ensuite de déterminer la façon de diffuser la culture scientifique. Il faut bien comprendre que la majorité du public n’a jamais été vraiment confronté à un raisonnement de type scientifique, donc implicitement, il donne crédit au bon sens et à une espèce de populisme scientifique. En France, le système éducatif s’est structuré à la Révolution. Si je caricature, on a décapité un roi, puis on a créé des Grandes Écoles, avec l’idée que l’on devait remplacer l’élite dont on avait zigouillé la tête, par une élite promue par l’intelligence et le mérite. Et c’est autour de ce projet qu’a été structurée l’éducation. Aujourd’hui, si un enfant de 10 ans sait qu’il n’est pas bon en maths, il va se créer une barrière mentale qui le coupera automatiquement du discours scientifique. Comme le dit Jean-Pierre Dupuy, la plus grande inégalité sociale, dont on ne parle jamais, c’est l’inégalité dans la connaissance scientifique. Avant de décider de ce que l’on fait de la science, il faut apporter une explication de ce qu’elle est. Avant de se demander ce que l’on veut faire de la science, on devrait d’abord la prendre au sérieux pour ce qu’elle nous apprend. Puis, c’est justement parce qu’il n’y a pas de doute sur la puissance qu’elle l’a, qu’il faudra s’interroger sur l’usage que l’on veut en faire. 

Étienne Klein était l’invité de la conférence inaugurale de l’amphithéâtre Jean Capelle, le 4 octobre dernier. 

 

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20 sep
20/sep/2022

INSA Lyon

Le nouveau visage de l’amphi Capelle bientôt dévoilé

Avec ses 800 places, l’amphithéâtre Capelle est certainement le plus grand mais aussi le plus étonnant des amphis de l’INSA Lyon. Construit dès l’origine de l’école pour accueillir les élèves du « collège propédeutique », il eut longtemps été un emblème. Aujourd’hui assez méconnu des nouvelles générations d’étudiants en raison de l’incendie en 2017 qui l’avait rendu totalement inutilisable, ce colosse a pourtant abrité bien des choses. Sous ses voiles de béton : des cours passionnés, des nuits du cinéma ou de longues heures de devoirs surveillés. 

Après cinq années de silence et une réhabilitation notamment permise par la solidarité insalienne, son nouveau visage sera dévoilé le mardi 4 octobre 2022.
Zoom sur un lieu unique en son genre.

 

Le totem des intentions de l’architecte de l’INSA  
Parmi les premiers bâtiments imaginés par Jacques Perrin-Fayolle pour la construction « éclair » de l’école, « l’auditorium » trône en roi. Intégré dans un ensemble qui comprenait tous les locaux nécessaires aux enseignements de l’année préparatoire, « l’amphi » a fait l’admiration de tous. Avec ses grandes ailes inclinées, la couverture est semblable à un parapluie retourné par le vent. Supportée par huit portiques, elle draine astucieusement les eaux pluviales en deux points. Comme un mouvement saugrenu au milieu des lignes droites des autres bâtisses du campus, son esthétique n’était pas le seul atout prévu par l’architecte : l’inclinaison et les brisures des murs latéraux avaient été imaginées pour servir des propriétés acoustiques intérieures particulièrement bonnes. 

Une autre subtilité est visible depuis le tramway, à l’extrémité sud de l’amphithéâtre : un « mur-plan », orienté vers la ville. Dans sa volonté d’intégrer les arts au campus scientifique, Perrin-Fayolle avait pris le soin de faire produire cette cartographie sur une façade de béton armé. Dressée sur un des murs pignons, elle témoigne de l’histoire des premiers bâtiments de l’établissement.

 

Mur plan 2018
Le « mur-plan », 2017

 

Un amphi et plusieurs vies
Des noms, il en aura porté, presque autant que le bâtiment aura eu de vies avant le silence forcé. « L’amphi de propé », « l’audi », « l’auditorium » ... La référence au recteur Capelle en hommage au co-fondateur de l’INSA Lyon arrive plus tard, dans les années 1980. 
Principalement utilisé pour des cours magistraux de mathématiques, de physique-chimie et de sociologie, il a aussi été témoin des trois premières cérémonies de remise de diplômes. Équipé d’un « système de micros suivant les mouvements des professeurs dans leurs démonstrations sur un tableau noir plus large qu’un écran de cinémascope
1 », d’une cabine de cinéma et d’une scène capable de s’agrandir au moyen d’une cloison mobile, l’amphithéâtre s’est longtemps fait la terre d’accueil de représentations de théâtre, de soirées-ciné, de concerts ou de réceptions. Plus tard, une salle de répétition aura même été installée pour les étudiants de la section musique-études, venus profiter de l’excellente acoustique. 

 

Intérieur de l'amphi Capelle

 

Après les flammes, la renaissance
Parmi les souvenirs associés à « l’amphi Capelle », il en est un que l’on voudrait effacer. Le 18 avril 2017, la bâtisse qui avait été témoin de l’évolution de 41 000 élèves devenus ingénieurs, crachait de la fumée par les ouvertures. Les services de sécurité, intervenus pour procéder à l’extinction du départ de feu d’origine électrique, découvraient le sinistre décor : le sol rouge ocre devenu gris, les bancs capitonnés brûlés, les parois reculant en lambeaux, les plafonds rongés par les flammes. Cet incendie avait rendu le « Grand Amphi », complètement inutilisable.

 

 

Il a ainsi fallu cinq années et plusieurs millions d’euros pour redonner à ce lieu emblématique, sa verve d’antan. L’opération de sauvetage, qui a notamment été rendue possible grâce à un financement participatif conduit par la Fondation INSA Lyon, a traduit la grande solidarité de la communauté insalienne. Les travaux ont permis de transformer cet amphithéâtre en un lieu moderne et connecté, paramètres indispensables pour les nouveaux étudiants. Pour que l’amphithéâtre puisque reprendre ses vies d’avant, une attention particulière a de nouveau été portée à l’acoustique. Désormais réhabilité, le lieu emblématique bénéficiera aux étudiants et personnels du campus, qui pourront peut-être, déceler sur les tablettes en bois rescapées et réutilisées comme revêtement pour le fond de la scène, quelques vieilles marques de formules mathématiques ou de mots d’amour gravés au compas.

 


Inauguration du nouvel amphithéâtre Capelle
Mardi 4 octobre 2022, de 8h45 à 11h00
En présence d’Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences
Sur inscription uniquement => https://bit.ly/inauguration-amphi-capelle 

 

 

 [1] « Constellation », juillet 1960, « Une grande école à l’échelle du XXe siècle »

 

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04 oct
Du 04/10/2022 08:45
au 04/10/2022 11:00

INSA Lyon

Conférence inaugurale du nouvel amphithéâtre Jean Capelle

Plus grand du campus avec ses 900 places et d'inspiration corbuséenne, l’amphithéâtre Capelle fut construit en 1957. En 2017, un incendie l'a rendu complètement inutilisable et après des mois de travaux, le nouvel amphithéâtre ouvrira à nouveau ses portes le mardi 4 octobre prochain.

Pour cette inauguration, l'INSA Lyon accueille le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein pour une conférence inaugurale portant sur les clés de la Vérité.

Qu’est-ce que la Vérité ? Comment l’époque de la hâte, des réseaux sociaux, des croyances, des opinions, des fake news la mettent-elles à l’épreuve ? Comment l’exercice, les métiers, la recherche et l’éthique de la science, doivent-ils s’y confronter ? Comment des items aussi sensibles que la confiance, le doute, l’information, la démocratie sont-ils impactés par les menaces qui pèsent sur elle ? Au final, n’est-ce pas la majuscule du Progrès qui est en péril ? Etienne Klein vient partager son diagnostic et ses recommandations à propos d’un sujet cardinal dans la vie d’un établissement formant aux métiers d’ingénieurs.

 

🎟️ Les inscriptions sont closes 🎟️

Informations complémentaires

  • INSA Lyon - Campus LyonTech-La Doua - 49 avenue Jean Capelle 69100 Villeurbanne - Arrêt Croix-Luizet (Tram T1)

09 mar
09/mar/2022

Vie de campus

Les classes de neige

Il fut une époque où chaque hiver, tous les étudiants de l’INSA partaient en classe de neige pour « s’aérer l’esprit entre les deux semestres ». Dans un modèle pédagogique où le sport a toute sa place, il s’agissait aussi de faire découvrir un sport peu accessible pour la classe étudiante dans les années soixante. Accompagnés par des représentants de l’INSA, professeurs ou administrateurs, « les familles1» d’étudiants partaient en train, depuis la gare de Lyon-Perrache pour rejoindre un chalet de l’UNCM (UCPA)2
Grosses gamelles, anecdotes et souvenirs : retour sur une époque « bénie », selon les diplômés des premières promotions.

« Je suis rentré enchanté de mon séjour aux Brévières. La beauté du site, les facilités sportives, les conditions de l’accueil (…) laisseront chez les élèves de l’INSA un des meilleurs souvenirs de leur vie d’étudiant 3 ». Dans un courrier adressé au directeur du Centre du Rocher Blanc aux Brévières, près de Tignes, Jean Capelle, premier directeur de l’INSA, se réjouissait d’offrir la possibilité à ses étudiants de découvrir la beauté des paysages de montagne. 

 
Le centre des Brévières, près de Tignes (archives de l’INSA Lyon)

Le stage de ski avait lieu dès la première année, et de ceux qui s’en souviennent, c’était extraordinaire. Mis en place par la direction de l’établissement, il procédait de la même intention que la création de l’INSA : favoriser l’ouverture sociale. S’il était fait mention dans le guide des consignes destinées aux personnels accompagnants que le stage puisse offrir « une détente intellectuelle totale, entre les deux semestres, juste après la période pénible des compositions du premier semestre », il s’agissait aussi de faire découvrir un environnement nouveau à ces jeunes gens qui pour la plupart, n’avaient jamais eu la chance de pratiquer de sports d’hiver. « Il faut dire qu’à l’époque, le ski n’était vraiment pas répandu. L’UCPA voulait en profiter pour faire connaître les stations à une clientèle, qui plus tard, aurait les moyens de fréquenter ses sites. Mais qu’importe l’argument publicitaire ! Pour ma part, je ne connaissais pas la neige. Ça a été une grande première lors de ces classes de découvertes, et j’ai continué à skier très longtemps après », explique Michel Magnin, diplômé de la 9e promotion.

Proposé selon deux formules, ce séjour faisait partie intégrante du cursus scolaire. « On partait généralement en janvier ou février. Il y avait deux destinations : les Alpes et les Pyrénées pour ceux qui étaient en capacité de skier, puis la Bourboule, pour les dispensés. C’était une semaine obligatoire ». Tellement obligatoire que celles et ceux qui tentaient de se soustraire à la semaine sportive se voyaient épinglés par le secrétaire général de l’INSA qui adressait un courrier circonstancié : « la présente note tient lieu d’avertissement et figurera dans votre dossier scolaire », prévenait-il. Était-ce par peur de l’inconnu, par paresse ou par inappétence pour le climat alpin que quelques étudiants tentaient d’échapper à cette nouveauté pédagogique ? Selon les documents d’archives administratives, la discipline imposée ne laissait la place « ni à l’oisiveté physique, ni intellectuelle », pas même pour les stagiaires partis en plein cœur de la nature auvergnate. « Je n’y suis jamais allé, mais je me souviens que l’on vannait nos camarades qui partaient à la Bourboule. Pour ceux qui étaient de l’équipe « ski dans les Alpes », on les imaginait passer leur temps à jouer au tarot et faire des farces comme remplir les 2CV de neige », s’amuse Michel.

En réalité, le stage bourboulin ne laissait pas vraiment le temps aux étudiants de s’ennuyer. Dans un article de La Montagne Dimanche datant du 28 février 1960, le programme y est énoncé. L’emploi du temps était chargé en activités culturelles et éducatives : visite d’une usine hydraulique, études géologique, géographique et économique de l’Auvergne, coutumes… Si la rivalité, de bonne guerre, entre les stagiaires alpins et les bourboulins a pu exister, ces derniers pouvaient tout de même se targuer d’animer la ville thermale avec un bal, « organisé le mercredi par les élèves-ingénieurs et animé par leur propre orchestre, André et Peppit ». 

La Montagne Dimanche 28/02/1960Du côté des stations, l’ambiance était sportive, du matin au soir. 
Les élèves, répartis en groupe de niveaux, se partageaient les pistes selon qu’ils étaient « forts », « moyens » ou « débutants ». Amarrés à leurs skis droits, les skieurs étaient entièrement équipés par le centre UCPA : skis Aluflex et bâtons en duraluminium, de la toute dernière technologie pour l’époque. « Il faut s’imaginer les équipements de l’époque. Pour choisir la taille de nos skis, on se mettait debout et on levait le bras. Il fallait que la spatule arrive dans le creux de la main. Alors avec mes 1,80 mètres, je n’en menais pas large. Et les fixations ! Lorsqu’on tombait, on mettait des heures pour se relever. Et qu’est-ce qu’on s’est pris comme gamelles… », rit encore Michel, diplômé en 1969.

 

Article de « La Montagne Dimanche », 28 février 1960 (archives de l’INSA Lyon)

Pour descendre les pentes, point d’enjeu de vitesse pour les skieurs étudiants. Le matériel et le niveau technique de l’époque les obligeaient à réaliser des conversions. « Pour descendre la pente, comme on ne savait pas tourner, il fallait prendre son appui, lever le ski, tourner le pied pour mettre le ski parallèle et ainsi de suite ! » En complément des cours pratiques de la journée, même si la fatigue physique avait souvent raison d’eux, les étudiants ne manquaient pas les « causeries techniques sur le ski ou la montagne par le moniteur chef » pour perfectionner leur théorie. 

Paysage de montagnes enneigées, gros plan d'étudiants en stage de neige. Négatif couleur. 1964 (archives Centre des Humanités de l’INSA Lyon)
Paysage de montagnes enneigées, gros plan d'étudiants en stage de neige.
Négatif couleur. 1964 (archives Centre des Humanités de l’INSA Lyon)

Déjà habitués à la vie en communauté à l’INSA, les élèves-ingénieurs n’avaient qu’à transposer leur mode de vie habituel en arrivant dans les chalets. Le premier soir, dédié à l’annonce des principes de vie de la maison, était l’occasion de désigner les responsables étudiants qui veillaient à la bonne marche du séjour. Chaque étudiant devait participer à la vie collective du groupe : repas, service, vaisselle, nettoyage… Si l’INSA et l’UCPA partageaient bon nombre de valeurs morales communes, la discipline était celle qui régnait en maître lors de ce séjour. Et pour cause : sans discipline, le ski pouvait s’avérer dangereux. D’ailleurs, chaque stage rapportait son lot de « bobos ». Les infirmières de l’établissement faisaient état des dommages lors du retour des étudiants. Tapés à la machine à écrire sur des feuilles de papier blanc, les maux s’alignaient en majuscules : 9 entorses, 2 contusions, 6 plaies diverses… 
Parmi ces dossiers d’archives de l’infirmerie de l’INSA, un rapport suspend le temps : celui de l’hiver 1970. Au paragraphe accordé au stage de Val d’Isère, il est inscrit : « 6 décès à la suite d’une avalanche », en minuscule, comme si le choix de la casse typographique avait le pouvoir d’apaiser les douleurs de la catastrophe.

C’était l’heure du petit-déjeuner dans le centre UCPA de Val d’Isère, juste avant de rejoindre le front de neige pour leurs cours de ski. Alors que le café fumait encore sous leur narines, certains l’ont entendu arriver. « Un bruit sourd », qui leur a parfois permis de se mettre à l’abri avant la coulée qui a fait exploser la baie vitrée du bâtiment. L’avalanche du 10 février 1970 à Val d’Isère a laissé tout le pays en état de choc. C’était la plus grande catastrophe due aux avalanches depuis 250 ans. 
À Villeurbanne, le secrétariat de la direction de l’INSA réceptionnait des télégrammes de la part de familles inquiètes du sort de leur enfant. Les messages abrégés, imprimés sur des étiquettes collées sur du buvard bleu indiquaient : « Inquiets cause avalanche. Réponse immédiate. <= Merci <= ». Pour la plupart, le directeur général répondait : « Aucun souci pour vous, sentiments distingués ». Pour certains d’entre eux : « Condoléances attristées ». Parmi les 39 victimes de la catastrophe de Val d’Isère, six étaient des étudiants de l’INSA. 

    
Télégramme reçu le 11 février 1970 (archives administratives de l’INSA Lyon) 
   

Archives de l’infirmerie de l’INSA Lyon (1970)

Lorsque le ski s’est démocratisé, les classes de neige à l’INSA ont fini par disparaître du programme. « Je crois que cela devenait ingérable logistiquement et financièrement, surtout lorsque la formation est passée à cinq années au lieu de quatre, à la rentrée 1967 », note Michel Magnin. 
Progressivement, le stage de ski est devenu facultatif puis a fini par disparaître, de sa belle mort. « Après ces stages, je suis devenu un mordu de ski. Pour ma part, si la volonté de Jean Capelle avait été de nous faire découvrir quelque chose que nous n’aurions peut-être pas découvert seul, ça a marché. Il n’y a pas si longtemps, à chaque vacance d’hiver, j’étais le premier à ouvrir et le dernier à fermer les pistes », conclut Michel, nostalgique.

 

Marcheur dans la montagne enneigée, diapositive couleur. Non datée (archives INSA Lyon)

 

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« Les familles » étaient organisées selon les étages et le bâtiment de résidence. Contrairement à la répartition actuelle effectuée grâce à un quizz réalisé par le comité de parrainage étudiant, les premières familles étaient réunies par quart d’étage.
L’UNCM, Union Nationale des Chalets de Montagne est aujourd’hui devenu UCPA, en fusionnant avec l’UNF, Union Nautique française.
Courrier de Jean Capelle à Monsieur Gallazzi, directeur du Centre du Rocher Blanc aux Brévières près de Tignes (Savoie), en date du 5 février 1959 / (Archives de l’INSA Lyon)

Extrait d’un compte rendu de stage de neige


 

 

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