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La tribologie au service du corps humain
Je m’éveille, puis cligne des yeux en enfilant mes pantoufles. Dans la cuisine, j’actionne le bouton de la cafetière et prépare mon petit-déjeuner : le beurre glisse entre le couteau et le pain, déposant une fine pellicule grasse sur la surface rugueuse de la tranche.
Une scène dont nous sommes protagonistes chaque matin. Et ce que nous ignorons peut-être, c’est que ces gestes quotidiens sont associés à des problématiques de frottement qui ont taraudé les scientifiques pendant plus de 500 ans. Si aujourd’hui les chercheurs tribologues ont trouvé des réponses à quelques-unes des interrogations de Léonard de Vinci, la discipline a encore beaucoup à offrir : industrie, transports, cosmétique, archéologie, santé… Les domaines d’application sont multiples, pourvu qu’il y ait du mouvement. Benyebka Bou-Said est chercheur au LaMCos (Laboratoire de Mécanique des Contacts et des Structures) de l’INSA Lyon et spécialiste de la biomécanique.
Petite introduction à la bio-tribologie, la mécanique au service de la santé.
La science du frottement qui fait tourner le monde
À la croisée du génie mécanique et de la science des matériaux, la tribologie concerne l’études des surfaces en contact et en mouvement : frottement, lubrification et usure. Trois mots magiques qui font le quotidien des chercheurs du LaMCos de l’INSA Lyon et étudiants du département Génie Mécanique.
« La mécanique n’est pas que dans les moteurs de voitures ! De l’adhérence de la chaussure au sol, au contact peau-tissu, en passant par l’articulation osseuse, tout est tribologie. Elle a d’ailleurs un rôle très important en matière d’avancées médicales », explique Benyebka Bou-Said, chercheur en bio-tribologie à l’INSA Lyon.
Observer la mécanique du corps pour mieux l’imiter
Imaginons que je souffre d’une arthrose de la hanche m’empêchant de me déplacer dans mes activités quotidiennes. Après plusieurs années de traitement antalgique et de rééducation, les rhumatismes persistent : mon médecin me propose la mise en place d’une prothèse de hanche. « Grâce à des collaborations avec les hôpitaux et professionnels de la santé, nous sommes aujourd’hui capables de proposer des prothèses adaptables à la morphologie du patient. Au moyen d’outils de simulation virtuelle1, nous sommes capables de vérifier l’intégrité du mécanisme soumis aux cycles usuels quotidien de chaque individu, comme se lever, marcher ou monter les escaliers, en tenant compte des frottements et interactions. La prothèse est réellement faite pour vous », précise Benyebka Bou-Said.
Pour mesurer toute l’importance du rôle de la tribologie dans ce système chirurgical, il faut comprendre la reproduction du mécanisme naturel : l’extrémité supérieure du fémur est sectionnée puis remplacée par une « tête fémorale artificielle » fixée dans l’os à l’aide d’un pivot. Dans l’os iliaque, une cavité est fraisée afin d’accueillir « la cupule », qui sera en articulation avec la tête fémorale artificielle. Puis le liquide synovial, ce que la tribologie appelle « le troisième corps », reprend sa mission de lubrification naturelle autour du système mécanique comme auparavant.

Ces matériaux qui réparent le corps
« Cela fait plusieurs années que la prothèse de hanche est utilisée en France, mais le mécanisme de l’insert représente le point d’amélioration majeur, notamment à cause des débris que l’usure peut provoquer, qui peuvent être transportés jusqu’au sang », ajoute le chercheur de l’INSA Lyon. La dégradation d’un matériel chirurgical dans le corps humain, au-delà de la durée de vie écourtée de la prothèse, pose plusieurs problématiques : « avec les fabricants de prothèses, nous étudions le revêtement pour trouver le plus adapté et le plus sain au corps humain. Grâce à un matériau inoffensif pour le corps et dont les nanoparticules seraient détectables par prise de sang, nous tirerions partie de l’usure de la prothèse tout en mesurant son état de dégradation presque en temps réel », ajoute Benyebka Bou-Said.
Vers l’homme bionique ?
Les individus dotés de prothèses médicales sont de plus en plus nombreux et la recherche est en constante évolution. L’équipe de Benyebka Bou-Said travaille sur des prothèses intelligentes pour assurer un retour au mouvement en toute sécurité et une meilleure acceptation de la prothèse par le corps humain. Les prothèses médicales équipées de capteurs permettraient une meilleure prévention des articulations défectueuses nécessitant un remplacement et permettraient l’exploration d’autres pistes de rééducation.
Du 2 au 4 septembre 2019, le congrès annuel international « Leeds-Lyon Symposium On Tribology » rassemblera la communauté scientifique à Lyon pour sa 46e édition autour de la thématique « Tribologie in daily life ».
Plus d’informations : https://leeds-lyon2019.sciencesconf.org/
[1] IRM 4D notamment
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Le 2e prix du Best Poster pour Alberto Porras Vazquez au 45e Leeds-Lyon
Alberto Porras Vazquez, jeune doctorant tribologue espagnol à l’INSA Lyon, a reçu le 2e prix du Best Poster lors du 45th Leeds-Lyon Symposium on Tribology. Il est actuellement en 2e année de doctorat au sein du LaMCos (Laboratoire de Mécanique des Contacts et des Structures, UMR 5259 INSA Lyon/CNRS), dans le cadre de la chaire SKF, leader mondial suédois du roulement mécanique. Rencontre.
Quel est votre parcours ? En quoi consiste votre travail de thèse ?
« Je suis arrivé à l’INSA en 2015, au département GMC où j’étais en double diplôme avec l’Espagne, dont je suis originaire. J’y ai fait ma 3e et 4e année d’études d’ingénieur, et malgré les – parfois - douloureuses longues heures passées à réviser, je n’ai pas hésité à revenir à l’INSA pour mon doctorat à la rentrée 2017. Je connaissais déjà bien le LaMCos car mon frère y travaillait. Nous ne sommes pas jumeaux pour rien : lui aussi est doctorant au sein de la chaire SKF ! Mais nous n’évoluons pas sur les mêmes sujets de recherche. En tribologie, il est important de connaître les différents phénomènes qui influent sur la performance du roulement, comme la géométrie du contact, la dissipation thermique et énergétique ou le lubrifiant. Mon travail se concentre sur ce dernier phénomène : étudier la quantité de lubrifiant qui traverse un contact afin d’améliorer la durée de vie et la performance du roulement. Trois étudiants avaient commencé cette thèse avant moi 1 et il est vrai qu’il y a peu de recherches sur ces types de contacts. Je travaille de façon numérique et expérimentale, en relation étroite avec la société SKF. Quant à ma participation au Leeds-Lyon, j’ai intitulé mon poster
« Investigations on the influence of lubricant stagnation in large-sise spinning contacts », soit « L’influence de la stagnation des lubrifiants dans les contacts rotatifs de grande-taille », mais puisque je n’avais pas encore de résultats à présenter, j’ai exposé ma méthodologie de travail. »
Que ressentez-vous suite à l’obtention de ce prix ?
« C’était la deuxième fois que je participais au Leeds-Lyon. J’étais déjà très content de voir mon poster sélectionné parmi les 48 candidats dans les premières phases de la sélection, mais c’est encore plus gratifiant de se voir remettre le second prix. Le Leeds-Lyon est un évènement important dans le domaine de la Tribologie, et je suis ravi d’avoir pu rendre mes travaux visibles à des regards extérieurs à mon laboratoire. Je ne sais pas encore ce que je souhaite faire après ma thèse. Je suis attiré par le monde de l’entreprise mais je me vois aussi continuer en tant que chercheur postdoctoral. L’avenir nous le dira, mais en attendant, je m’en vais fêter ce second prix avec mes collègues de travail !»
[1] Hervé Dormois (2008), Thomas Doki-Thonon (2012) et Jean-David Wheeler (2016)
Vie de campus
Un jeune chercheur INSA Lyon primé à Minneapolis
Lauréat du prix Walter D. Hodson Award 2018 qui récompense le meilleur article scientifique publié par un jeune chercheur, Vincent Strubel, diplômé de l’INSA Lyon, est un tribologiste1 confirmé. Rencontre avec un ingénieur-chercheur qui a roulé sa bosse entre Lyon, l’Allemagne et le Minnesota.
Alsacien d’origine, Vincent Strubel intègre l’INSA directement en 3e année en double diplôme entre l’INSA Lyon et le Karlsruher Institut für Technologie (KIT) en Allemagne dans le département Génie Mécanique Développement (GMD).
« En arrivant en 3e année, mon bagage en sciences fondamentales était plutôt fourni. Ce que mon entrée à l’INSA a permis, c’est de développer une façon de penser propre à l’ingénieur. Je me suis ouvert à l’étranger et aux nombreuses opportunités qu’il avait à offrir, en rencontrant des gens du monde entier. La diversité des étudiants et mon expérience au sein du KIT ne m’ont pas seulement ouvert les portes du métier d’ingénieur, mais celle d’une renommée et d’un réseau important. »
Son diplôme d’ingénieur en poche, Vincent intègre le laboratoire LaMCoS de l’INSA Lyon en septembre 2013 et entame un travail doctoral dans le cadre de la chaire tout juste lancée entre le Groupe SKF et l’INSA Lyon, via le LaMCos : « Lubricated Interfaces for the Future ».
Doctorant et chef de projet
Pourtant peu séduit par la recherche en étant élève ingénieur, il s’est finalement laissé guidé par ses enseignants et tuteur.
« C’est grâce à Nicolas Fillot et Fabrice Ville, enseignants et anciens INSA, que j’ai découvert les joies de la vie de laboratoire. À l’INSA Lyon, les enseignants chercheurs sont très à l'écoute des étudiants et sont de véritables soutiens. Ces 3 ans de doctorat m’ont permis de me spécialiser dans mon domaine de prédilection, de mener une réflexion sur mes connaissances acquises et apprendre à utiliser mes compétences pour résoudre ou anticiper un problème. J’étais mon propre chef de projet. Ma collaboration avec la chaire SKF-INSA a également été l’occasion de présenter mes travaux lors de conférences aux Etats-Unis, au Japon et en Europe. C’est une vraie fierté, tant sur le plan professionnel que personnel. ».
De l’INSA au Minnesota, il n’y a qu’un pas
Une partie de sa thèse intitulée « Piégeage de particules dans les contacts élastohydrodynamiques – Applications aéronautiques », a fait l’objet d’une publication scientifique en 2017, dans la revue spécialisée « Tribology Transactions ». L’article, qui aborde l’influence de la nature des matériaux dans l’utilisation de plus en plus fréquente des roulements hybrides céramique-acier, a été récompensé par le prix Walter D. Hodson Award 2018, le 21 mai dernier à Minneapolis, au Minnesota, remis par la société STLE (Society of Tribologists and Lubrication Engineers).
« Au-delà d’être une agréable surprise pour moi, ce prix est une vraie reconnaissance de la pertinence de mes travaux de recherche. La joie est encore plus grande quand c’est Christopher Dellacorte, un chercheur de la NASA, qui vous remet le prix en main propre ! ».
Aujourd’hui ingénieur développement et manager de projets au sein de la PME internationale Blickle, tout roule pour Vincent
« Après la recherche, j’ai eu envie de m’essayer à l’entreprise, un monde dans lequel les enjeux et les priorités sont bien différentes des laboratoires. La recherche dans les Petites et Moyennes Entreprises est un réel sujet, car elles doivent s’ouvrir à l’innovation tout en ne disposant pas nécessairement de toutes les ressources nécessaires à cette activité. Je vois l’ingénierie comme une façon de repenser notre environnement, pour l’améliorer et faire avancer le monde. Cette vision m’oblige à promouvoir la recherche au quotidien, au sein de mon entreprise, car si elle est un pari financier sur l’avenir, elle peut aussi se révéler précieuse pour le futur. »
1 Tribologie : science qui étudie les phénomènes de frottement, d’usure et de lubrification entre les systèmes matériels en contact
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Lyon accueillera le 7e World Tribology Congress 2021
Rendez-vous majeur de la discipline, le 6e Congrès Mondial de Tribologie (WTC’2107 World Tribology Congress) s’est déroulé à Pékin du 17 au 22 septembre 2017.
Ayant lieu tous les 4 ans, cette édition a rassemblé environ 1600 participants dont une trentaine de membres du LTDS et du LaMCoS, qui ont pu présenter de nombreuses conférences invitées, conférences orales et posters.
A cette occasion, le projet d'organiser le 7e Congrès Mondial de Tribologie en septembre 2021 à Lyon a été validé.
Les deux laboratoires, le LTDS de l’ECL et le LaMCoS de l'INSA Lyon, avec l'appui du GST Tribologie de l’Association Française de Mécanique (AFM), vont s'impliquer progressivement pour faire de cet évènement un large succès.
Informations complémentaires
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Le prix du Best Poster pour un INSA, Guillaume Vouaillat
Ingénieur diplômé en 2015 du département Génie Mécanique Développement, Guillaume Vouaillat, en thèse aux laboratoires LaMCoS, MATEIS et LabECAM a reçu le prix du Best Poster lors du 43ème Leeds-Lyon Symposium on Tribology (The Jost Report – 50 years on, Leeds, Grande-Bretagne, 6-9 septembre 2016). Ses travaux de recherche concernent l’étude du micro-écaillage, un type de défaillance particulier pouvant survenir sur des engrenages présentant des rugosités excessives. Son poster était intitulé :"Analysis of Rolling Contact Fatigue on Aeronautic Gears". Entretien.
Pouvez-vous résumer en quelques mots votre travail de thèse ?
Mon travail s'inscrit dans le cadre de la Chaire SAFRAN (Safran Transmission Systems) - INSA de Lyon - ECAM Lyon intitulée : "Innovative Mechanical Transmissions for Aeronautics". Il s'agit en fait d'étudier plus en profondeur les engrenages d'une transmission de puissance (quasi-similaire à une boîte de vitesse automobile) disposée sur les réacteurs fabriqués par le groupe. Je m'intéresse tout particulièrement à un type de défaillance qui peut survenir autant sur les systèmes en contact (roulements, engrenages, etc.) des éléments aéronautiques que dans d'autres milieux industriels (automobile par exemple).
L'objectif de l'étude est donc de comprendre ce phénomène et ses origines à l'intérieur du matériau par des observations expérimentales et de traduire ces analyses dans un modèle numérique qui sera fourni au partenaire industriel en fin de Thèse.
Que ressentez-vous suite à cette distinction ?
Tout d'abord et avant tout une grande fierté!
La fierté que mon travail soit reconnu à cette échelle pour un projet ayant débuté il y un an seulement. C'est vrai que l'on se rend compte à ce moment de l'importance d'un tel travail lorsqu'il est choisi pour son caractère innovant et pour les attentes qu'en ont les auditeurs. Car c'est sûr, une récompense donne un coup de fouet et de motivation immense pour la suite des recherches que l'on sait suivies. Je suis aussi fier que grâce à moi et par votre intermédiaire, on puisse s'intéresser l'espace de quelques minutes à la Tribologie, aux engrenages, aux roulements qui compensent leur caractère peu "sexy" par leur importance dans les études industrielles d'aujourd'hui et de demain.
Ensuite, de la reconnaissance envers tous mes directeurs de Thèse et encadrants industriels pour le temps qu'ils m'accordent, pour le fait qu'ils m'aient proposé cette Thèse et pour tous les bons moments qui resteront à la fin. Envers mes prédécesseurs du LaMCoS qui ont pris du temps en début de Thèse pour me transmettre leur savoir. Envers tous les autres collègues qui font du quotidien un moment heureux à partager.
Je suis enfin très heureux d'avoir remporté finalement le prix du Best Poster à cette conférence et reconnaissant envers Jenna, la personne en charge de la coordination de l'évènement à Leeds, qui pour l'anecdote (qui fait toujours autant rire mon directeur de Thèse) a rectifié en ma faveur l'inscription que j'avais réalisée pour l'année 2017 (soit la conférence de l'an prochain qui se déroulera à Lyon).
Quelle sera la suite de votre parcours ?
Concernant la Thèse, la période de deux ans restante doit me permettre d'approfondir les résultats relatifs à la problématique de la Thèse; ceci par de nouvelles observations expérimentales réalisées en partenariat entre le LaMCoS et MATEIS ainsi que par la traduction de ces analyses dans le modèle numérique.
A plus long terme, j'envisage toujours plusieurs possibilités : la Recherche en entreprise et possiblement chez SAFRAN ou la Recherche Universitaire et l'Enseignement avec lesquels je me familiarise avec les TP de dynamique effectués pour les 3GM (que je salue).
Légende photo
Le prix du Best Poster a été remis à Guillaume Vouaillat par le Pr. Emérite Duncan Dowson de l’Université de Leeds.