Life on campus

10 May
10/May/2023

Life on campus

« Sportif valide ou handicapé, pour faire avancer le bateau, il faut un tandem équitable »

Comme beaucoup de rameurs, Thibault Massolo est tombé dans le grand bain de l’aviron grâce à son histoire familiale. Lorsqu’il arrive à l’INSA Lyon, il intègre naturellement la section sportive de haut-niveau et le pôle espoir en quête de performance. Désormais, c’est à travers un autre projet sportif qu’il s’épanouit.

Aujourd’hui élève-ingénieur en 4e année du département génie civil et urbanisme, Thibault Massolo s’est vu proposer un rôle inédit : s’improviser guide handisport dans l’objectif d’accompagner un athlète aux championnats de France Élite d’aviron. Cette expérience s’est avérée formatrice et heureuse, même si accéder à la différence de l’autre n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Il raconte cette tranche de vie qui fait appel à l’humilité, l’ouverture et l’humanité.

Pendant plusieurs mois, vous avez accompagné Florian, un handi-athlète qui débutait l’aviron. Vous n’étiez pas nécessairement familiarisé avec le monde de l’handisport, n’est-ce pas ?
Lorsque Florian est arrivé au club
1, je n’ai pas tout de suite pris la mesure de l’aventure qui nous attendait. On m’avait proposé de l’accompagner vers le championnat de France, et cet objectif très concret m’a motivé à renouer avec la performance ; je me sentais capable de l’aider à l’atteindre son objectif. Florian est un ancien rugbyman de haut-niveau qui suite à un accident de la route, a hérité d’une mobilité restreinte sur la chaîne postérieure. Ses médecins n’avaient pas prédit qu’il pourrait remarcher un jour, mais il s’est beaucoup battu pour rééduquer son corps. Le monde de l’handi-aviron, prévoit trois catégories de classification empêchement. Pour Florian, c’est délicat : son dossier médical indique qu’il devrait concourir dans une certaine catégorie, mais sa force de caractère le fait jouer face à des sportifs qui présentent des déficiences très différentes des siennes, comme des déficiences visuelles. Cela soulève une vraie question éthique : comment mesurer l’empêchement dans le sport paralympique ? Car entre celui ou celle dont le genou ne se plie pas et quelqu’un de malvoyant, la pratique est parfois biaisée. C’est un peu étonnant à dire, mais certains handicaps sont plus favorisants que d’autres ; mais ils sont tous très différents, presque uniques. D’ailleurs, s’il fallait catégoriser par handicap, chacun gagnerait son championnat ! 
 
Comment l’accompagnement se déroule sur le bateau ?

Très concrètement, je suis sur le bateau avec lui, à l’avant. Il n’y a pas tellement de différence de mouvement avec un partenaire valide : nous sommes tous les deux rameurs. Et comme sur n’importe quel bateau, il faut apprendre à connaître son coéquipier, être à l’écoute en permanence et communiquer. Nous avons mis en place des adaptations car l’aviron est une discipline qui fait appel à la dissymétrie. Florian ayant une difficulté à articuler le coude gauche, il rame principalement à tribord. Il y a aussi des différences de force, mais finalement, c’est comme ramer avec quelqu’un de valide qui n'aurait pas exactement les mêmes caractéristiques physiques ou serait moins développé musculairement… En naviguant avec Florian, j’ai remarqué qu’il se posait énormément de questions. Il lui est difficile de ‘débrancher le cerveau’, comme on dit. Il porte beaucoup d’attention aux ressentis de son corps et il intellectualise chaque sensation. C’est une approche très différente de celle que j’ai eue à mes débuts : moi, j’ai appris à ramer, en ramant ! Mais c’est un échange très enrichissant et qui enseigne l’humilité. 

 

 

Dans un tel duo, comment chacun trouve sa place sur le bateau ?
Je me souviens de notre première course : je voulais le guider et faire à sa place. Bien évidemment, on s’est plantés ! On s’est arrêtés au milieu de la course car je ne l’avais pas laissé s’exprimer. À partir de ce jour, il a pris le lead mental sur le bateau. Il a une force différente de celle que j’ai pu voir chez mes coéquipiers valides. Avec une zénitude et l’insouciance qu’on prêterait aux rameurs débutants, Florian change les codes de la discipline, ce qui m’oblige à remettre en question ce que je pensais savoir. Aujourd’hui, chacun trouve sa place dans le tandem et on arrive à faire ensemble. De toute façon, il n’y a pas d’autres choix en aviron : si on ne met pas la pelle au même moment dans l’eau, le bateau ne peut pas aller ni droit, ni vite.

Les championnats de France Élite d’aviron ont eu lieu tout récemment. Comment s’est déroulée la compétition ?
Plutôt bien. Nous avons terminé vice-champions de France. Bien sûr, nous aurions voulu être sur le haut du Podium, mais c’est le jeu. Et puis Florian a seulement trois mois d’aviron derrière lui ! Pour ma part, j’ai vraiment vécu le championnat de France élite comme tous les autres sportifs et pas seulement comme un guide. Il y a eu beaucoup de préparation en amont bien sûr, mais c’était finalement très grisant de construire à partir de zéro et de voir la progression de mon coéquipier : handisport ou pas, l’investissement a été le même. Nos deux médailles ont la même valeur. 

 


Le podium du Championnat de France Élite d’aviron.

 

 

Le projet de Thibault Massolo a reçu un « Coup de pouce » de la Fondation INSA Lyon pour réaliser l’accompagnement en tant que guide handisport, pour les championnats de France Élite aviron. 

 

--------
[1] Club Aviron Toulonnais