Life on campus

27 Sep
27/Sep/2023

Life on campus

L’INSA Lyon accueille les Kogis pour « ouvrir le futur avec joie »

En 2018, dans la Drôme, une première rencontre totalement inédite, avait réuni des représentants du peuple kogi, des scientifiques et des experts occidentaux pour partager leurs connaissances et mener un diagnostic de territoire. En octobre prochain, le projet, intitulé Shikwakala1, entamera sa deuxième édition et fera escale à l’INSA Lyon le jeudi 5 octobre. L’objectif ? Faire se rencontrer les savoirs scientifiques et les connaissances ancestrales de ce peuple racine vivant dans la Sierra Nevada de Santa Maria, en Colombie. Au programme de la visite au sein de l’école d’ingénieurs lyonnaise : ateliers d’études et conférence ouverte au grand public. À travers une écoute mutuelle entre les deux approches, ce moment fort sera l’occasion d’un dialogue pour tenter de composer un « monde commun », et répondre à la question « comment remettre le vivant au cœur de nos actions ? »

La mission confiée par la mère Terre : une quête qui résonne vers l’Occident
Les Kogis sont les descendants directs de l’une des plus grandes civilisations précolombiennes du continent latino-américain, les Tayronas. Vivant à plusieurs jours de marche dans la Sierra Nevada de Santa Marta, le plus haut massif côtier de la planète, ils considèrent leur environnement comme « le cœur du monde ». Ces paysages nécessairement isolés et protégés présentent un écosystème unique : pas moins de 96 espèces endémiques et 7 % des espèces d’oiseaux de la planète
2 y ont été recensés à ce jour. Le peuple kogi poursuit une quête : celle de tisser un équilibre avec le vivant, en prenant soin des « points chauds » de la « mère Terre ». Éric Julien, géographe et fondateur de l’association Tchendukua – Ici et Ailleurs, aime illustrer leur appréhension de l’environnement naturel par la métaphore suivante : « Ils sont le stéthoscope qui écoute la Terre, qu’ils comparent à un énorme corps humain. Quand on regarde un corps humain, on ne voit pas de prime abord les réseaux sanguins, nerveux, ventilatoires, énergétiques qui relient les organes entre eux. Pour la Terre, c’est pareil : il y a des réseaux sanguins (eaux), ventilatoires (vents, airs…), nerveux (radioactivité naturelle, champs magnétiques…)3 ». Seulement, cet équilibre est menacé par « les petits frères », la société occidentale. « Cette mère est un comme un grand corps humain, et s’il en manque une partie, le reste ne peut plus fonctionner ». 

 

 

Pour répondre à la mission confiée par la mère Terre, celle d’enseigner à ceux qu’ils nomment « les petits frères » l’harmonie des choses, les Kogis et l’association Tchendukua – Ici et Ailleurs ont pensé le projet « Shikwakala », invitant à renouer avec le vivant dans une relation d’épanouissement réciproque. L’INSA Lyon est partenaire officiel de ce projet pluridisciplinaire au long cours.

Écouter et ressentir le fleuve Rhône
Le sens de l’observation et la sensibilité exacerbée des mamas (hommes) et des sagas (femmes), les autorités spirituelles formées dès la naissance à ressentir le vivant, avaient trouvé écho en 2018 chez scientifiques et experts impliqués dans la première édition. Un premier diagnostic croisé avait permis une lecture plurielle de la rivière Drôme et de son bassin versant, avec des résultats surprenants : les constats énoncés par les Kogis confluaient souvent avec les savoirs « scientifiques occidentaux ». Par exemple à cette occasion, les Kogis ont rapidement perçu que les pins noirs d’Autriche n’étaient pas endémiques de la région et contribuaient au déséquilibre du territoire, faits confirmés par les scientifiques présents, puisque cette espèce d’arbre, implantée en monoculture à la fin du 19
e siècle, pose des problèmes d’acidification des sols. 

Pour cette deuxième rencontre en 2023, la venue des représentants kogis se concentrera sur le fleuve Rhône : son bassin versant de la source à l’embouchure. Sur le parc de La Feyssine, territoire voisin du campus de La Doua, cette rencontre réunira experts français, suisses, et kogis, pour une lecture systémique préparée avec la mairie de Villeurbanne. Exploité pour la production d’électricité, l’irrigation ou encore les transports, le Rhône est l’un des fleuves les plus aménagés du monde. Les savoirs et méthodes échangés lors de cette rencontre permettront d’alimenter le débat démocratique sur le futur du parc de La Feyssine et sur l’aménagement de ce fleuve qui fait l’objet d’une certaine attention depuis plusieurs années.  

 

 

Produire de la science par une approche sensible : l’intérêt pédagogique
Si la grille de lecture kogi du vivant met à l’épreuve notre manière d’habiter le monde occidental, il y a un aspect qui anime Eveline Manna, enseignante de sciences humaines au Centre des Humanités de l’INSA Lyon et porteuse du projet : celui de la production des savoirs. « Les Kogis produisent des savoirs et connaissances issus de méthodologies radicalement différentes de notre science occidentale. Les chercheuses et chercheurs de toutes disciplines et les artistes qui coopèrent avec eux au long cours en sont remarquablement stimulés, même ‘décentrés’. Par leur manière d’être et de faire, ils nous permettent de réfléchir aux êtres qui méritent d’être considérés et soulèvent des questionnements tels que : ‘qu’est-ce qu’appréhender un territoire’ ? ‘Quels sont les êtres qui méritent de l’attention’ ?’ Comment organiser ce monde commun à composer’ ? En école d’ingénieurs, il y a comme un partage entre faits et valeurs. On a l’habitude de dire : ‘les faits sont là’. Or on ne traite que des faits qu’on considère. Notre époque parle plutôt aujourd’hui de la Fin d’un Grand Partage
4 ; une invitation à s’interroger sur le clivage entre organisations sociales et milieux naturels. »

Également directrice des études de la filière internationale Amerinsa, elle attend de ce projet qu’il dégage plus de prises sur le territoire. « Par le travail collectif, je souhaiterais que cela apporte plus de manières de percevoir et d’agir dans nos milieux de vie. Notre jeunesse n’attend que cela ! Cet engouement de la part de nos élèves-ingénieurs a d’ailleurs été remarqué par l’anthropologue Sina Safadi, qui a mené un travail considérable avec des modules d’enseignement donnés à l’INSA Lyon, en préfiguration de la venue des Kogis. Nous espérons poursuivre ce travail très pluridisciplinaire, multi-parties prenantes et lui donner des traductions concrètes. »
L’association Tchendukua a d’ailleurs adopté pour le projet « Shikwakala », l’image du Troisième paradis, la boucle de l’infini avec une boucle en plus, dessinée par le plasticien Michelangelo Pistoletto, signe des chemins qui s’ouvrent à nous.

 


Conférence : 
« Quand connaissances ancestrales et savoirs scientifiques
dialoguent pour soigner ensemble la Terre »

Jeudi 5 octobre 18h30 - Campus INSA Lyon - Amphithéâtre Capelle

En présence de : la délégation kogi ; Emma Haziza, hydrologue ; Jean-Louis Michelot, géographe et naturaliste ; Gilles Mulhauser, directeur général de l’Office de l’eau du canton de Genève ; Pablo Servigne, auteur spécialiste de la collapsologie et de la résilience collective ; Cédric Villani, mathématicien, médaillé Fields (2010).
=> Nombre de place limité - Évènement gratuit avec inscription obligatoire.

 

[1] Shikwakala est le terme choisi par le gouverneur kogi Arregocés Conchacala pour nommer le projet de dialogue avec les autorités spirituelles de la Sierra Nevada de Santa Marta et des scientifiques occidentaux. « Shikwá est un fil invisible, créé dans l’esprit, qui enveloppe la terre entière d’est en ouest, formant un réseau de connexion entre la terre, le soleil et le reste de l’univers, rendant possible sa rotation constante. » 
[2] La Sierra Nevada de Santa Marta est l'un des plus importants « hotspots » de biodiversité au monde.
[3] Extrait de l’émission radio « Une journée particulière » diffusée 3 juin 2018 sur France Inter (54 minutes).
[4] Pierre Charbonnier (CNRS), La fin d’un Grand Partage. Nature et société, de Durkheim à Descola.

©  Tchendukua Philippe brulois