Education

16 Feb
16/Feb/2017

Education

Danse avec elle

Quelques mois après la création du Diplôme Arts-Etudes à l’INSA Lyon, nous avons rencontré Delphine Savel, responsable de la section Danse-études qui a su donner à son art toute la place qu’il mérite dans une école d’ingénieurs à vision humaniste. Entre rage, surinvestissement et hypersensibilité : interview d’une danseuse qui n’a pas froid aux yeux.

Comment avez-vous découvert la danse ?
Nous sommes en 1995… Je suis gymnaste et je rentre à l’UFR Staps de Lyon, avec l’ambition de faire de la lutte ! On me fait comprendre qu’avec mes 45 kg, ce sera difficilement envisageable et comme j’avais commencé la GRS, je m’oriente du coup vers la danse.
J’ai été formée tardivement à la Modern’Dance à base des techniques Martha Graham, José Limon & Lester Horton. C’était de 1994 à 1999 à l’Atelier 9 auprès d’Elisabeth Venot DeTexier. J’ai ensuite fait mes armes à Paris en tant que danseuse interprète auprès de Bénédicte Raquin de 1999 à 2004 au sein de la Compagnie Sans Dessus Dessous.
J’ai appris la technique avec « Babette », et l’essence de la danse avec Bénédicte. Elle m’a transmis ce que voulait dire incarner le mouvement.
J’ai fait l’expérience ce qu’est le corps et toute la puissance qu’il peut générer lorsqu’il est mis au service d’une idée.
J’ai expérimenté le mouvement comme 6ème sens. Créer un mouvement qui révèle ma singularité, mon authenticité...

A chaque création, à chaque représentation je construisais cette intelligence sensible du corps: sentir, ressentir, percevoir et agir en fonction de mes états, de ceux des autres… d’une pensée, d’une idée.
Danser : c’est cet être au monde, cet état de porosité à soi, à l’autre, à l’environnement, cet acte politique qui consiste à partager ses idées, ses convictions sur un plateau !

Ce que j’ai ressenti ensuite avec Robyn Orlin, qui a beaucoup œuvré contre l’apartheid, m’a bouleversée. Je venais de passer le CAPEPS et me voilà embarquée dans une collaboration artistique de haut vol durant 15 jours au Théâtre de la Ville avec cette chorégraphe sud-africaine. J’avais la vision du corps comme don absolu de soi, du corps complètement dédié à l’art. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que tout ce que la danse m’avait permis de découvrir, de vivre, je souhaitais le transmettre à des élèves.

Vous commencez alors votre carrière d’enseignante à Paris, dans le secondaire, avant de revenir à Lyon, et de découvrir l’INSA. Comment se passe votre intégration dans cette école ?
C’est vrai qu’à Paris, j’ai commencé par monter des associations sportives Danse, d’abord dans un lycée puis dans un collège difficile, avec le challenge de remporter des prix en participant à des compétitions. Cet aspect-là est important pour moi parce qu’il me permet de confronter mon travail, mon langage chorégraphique  à un regard d’experts, d’avoir un retour sur le processus créatif que j’engage auprès du collectif d’élèves avec lequel je travaille.
Et puis je rentre effectivement à Lyon. J’intègre l’INSA Lyon d’abord en tant qu’enseignante de gymnastique en vacation. Nous sommes en 2004 quand j’intègre le centre des sports de l’INSA Lyon sur le poste profilé danse. Comme je suis une boulimique d’énergie, je gère le cours d’option danse à ma manière… Dès la 1ère année, je décide de monter un spectacle et nous terminerons l’année universitaire par une représentation au théâtre Astrée avec les élèves ingénieurs – danseurs. Je propose alors de créer l’association sportive de Danse de l’INSA Lyon, mais faute de possibilité de créneaux le projet sera repoussé d’une année. L’année suivante, grâce à ma rencontre avec Annabelle Bonnéry de la Cie Lanabel, je monte un projet arts-sciences auquel j’associe différents départements de spécialité de l’INSA. Projet qui deviendra en 2009 l’UV Innovation « Arts, sciences et Ingénierie » du département Génie Mécanique.

L’INSA Lyon forme des ingénieurs. Qu’est-ce qui vous maintient dans cet univers depuis maintenant 13 ans ?
Je me suis tout de suite dit que cette école était pour moi. J’avais toujours mis en relation les aspects scientifiques et techniques de la danse avec la pratique d’autres champs disciplinaires. Je suis une fille de terrain et la danse à l’INSA est pour moi un lieu d’expérimentation des relations Arts-Sciences. Je suis dans une école scientifique et je travaille avec des professeurs de mécanique, de mathématiques, avec des chercheurs aussi.
Responsable de l’enseignement de la danse au centre des sports depuis 2004, j’ai aussi créé le collectif InciDanse en 2006 avec lequel nous avons remporté 11 titres de la meilleure chorégraphie dans différents  concours nationaux.

L’association sportive Danse représente une extension de mon langage chorégraphique.

Les fins d’année sont chargées d’émotions autour des représentations du collectif InciDanse et de nos créations chorégraphiques annuelles. Créations qui ont pour sujet des thématiques qui me touchent : le rapport individualité / collectif, faire corps collectif, l’insoumission, la révolte, la dépendance… Cette année ce sera « Errance ».

Depuis 2011, j’ai accepté de prendre la responsabilité de la section Danse-études et de monter des projets autour de la formation artistique avec une ligne pédagogique sur-mesure pour nos étudiants. Ce qui m’intéresse, c’est leur permettre de se créer une pensée divergente au contact de professionnels du monde de la danse. C’est les confronter aux questionnements suivants : quelles similitudes et/ou différences entre la gestion d’un projet industriel et un projet artistique ? Quelles problématiques communes ou pas entre un chorégraphe et un manager, un directeur de compagnie ? Quelles divergences et quelles convergences entre le processus créatif dans l’art chorégraphique et dans la recherche scientifique ?…

La section Danse-études est un travail pédagogique et artistique qui me permet de mettre en lien nos élèves-ingénieurs avec des artistes, des professionnels du spectacle vivant. Chaque année est un nouveau challenge autour de projets artistiques d’envergures qui peuvent mettre en liens les 4 sections, qui peuvent mettre en exergue les liens arts –sciences…

Ce qui m’enrichit aussi, c’est d’ouvrir la porte à différents profils : celui de la danseuse très technique voir expérimentée qui devra travailler sur ce qu’elle livre sur scène d’elle-même, et celui du novice, qui dégage tellement de sensations dans ses mouvements qu’il irradie mais devra se construire un corps de danseur.

C’est aussi cela l’INSA. Le modèle d’ingénieur humaniste me parle surtout quand Gaston Berger, l’un des pères fondateurs de l’INSA, dit : « L’imagination est un chemin de connaissance ». Je vais même aller plus loin : mon rôle consiste à éveiller des corps sensibles. J’enseigne la danse, je chorégraphie… Je pétris des corps et des imaginaires dansants au sein d’une école d’ingénieurs.

 

Une citation de Catherine Diverres chère à Delphine Savel
« Danser, chorégraphier, c’est poser l’autre, qu’il soit absence ou présence.
L’autre est la condition de tout mouvement, de tout désir, de toute connaissance.
Cette conscience de l’altérité, jointe à la mémoire, donne à la trajectoire humaine sa valeur, son juste équilibre.
»

Crédit photo : Gilles Aguilar