Research

24 May
24/May/2023

Research

Quel poids les pluies de demain feront-elles peser sur nos égouts ?

Parmi les conséquences du changement climatique qui pourront affecter la vie sur Terre, le GIEC décrit l’avènement d’évènements météorologiques plus intenses voire extrêmes dans certaines régions. Les probables épisodes de pluie intenses et fréquents pourraient impacter le mode de gestion des eaux pluviales urbaines.

Au sein du laboratoire DEEP1, l’impact du changement climatique sur le réseau d’assainissement unitaire est au cœur de la thèse de Frédéric Gogien. Cet expert en assainissement au sein de Veolia a consacré une partie de ces trois dernières années à évaluer les conséquences des « pluies du futur » sur le fonctionnement hydraulique des réseaux. Accompagné par Gislain Lipeme Kouyi, professeur des Universités et Magali Dechesne, chercheure en ingénierie environnementale au centre de recherche de Veolia, il montre que l’adaptation est nécessaire. Face à l’augmentation des débits déversés, des volumes conséquents d’eau non-traitée pourraient se retrouver dans les milieux naturels.

Simuler les événements pluvieux du futur
C’est un travail très méthodique dans lequel s’est lancé Frédéric Gogien lors de ses premiers mois de recherche. Pour simuler l’évolution des précipitations d’ici 2100, le doctorant a mis en place une méthodologie
2 de construction des pluies futures, appliquée à la ville de Valence. « L’idée générale de cette méthode consiste à se dire qu’un épisode orageux dans le futur ressemblera vraisemblablement à un épisode orageux d’aujourd’hui, mais que son intensité pourra être modifiée. Nous avons réitéré l’exercice à partir de cinq modèles climatiques différents, produisant des résultats contrastés de manière à prendre en compte les incertitudes. » C’est ainsi qu’en étudiant les pluies d’hier, Frédéric Gogien a par analogie, simulé les pluies de demain pour répondre à la question suivante : si d’ici 2100 le système de gestion des eaux urbaines ne subit pas d’évolution, quelles seront les conséquences de ces pluies sur le fonctionnement hydraulique du réseau d’assainissement, notamment sur les déversoirs d’orage ?

Un réseau unitaire déjà à flux tendu
Traditionnellement gérées via des réseaux d’assainissement, les eaux urbaines sont l’objet d’une ingénierie hydraulique poussée. Collectées au sein du réseau dit « unitaire », les eaux usées et les eaux pluviales sont généralement transférées vers des stations d’épuration pour être traitées, avant d’être rejetées vers le milieu naturel. Seulement, lorsque la pluie bat son plein, il est nécessaire d’alléger les infrastructures pour prévenir les débordements. « Parmi les infrastructures capables de décharger le trop-plein de volume, on peut citer les déversoirs d’orage, placés en amont des stations d’épuration et qui agissent comme des soupapes de sécurité et permettent de garantir les performances de traitement. La majorité des rejets des déversoirs rejoint les milieux naturels sans aucun traitement », indique Gislain Lipeme Kouyi.

Parmi les facteurs aggravant la gestion à flux tendu des réseaux d’eaux urbaines, l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols, règnent en maître. « Moins l’eau de pluie s’infiltre naturellement dans le sol, plus le réseau unitaire doit gérer des quantités d’eau pluviale importantes, en sus des eaux usées des habitants. À l’avenir, il est peu probable que nos réseaux d’eau actuels soient en capacité de gérer la puissance des ruissellements et les volumes liés au changement climatique », ajoute l’enseignant-chercheur.

Quand la pluie fera dérailler la règlementation
Si les déversoirs d’orage offrent une souplesse de gestion, les rejets des eaux urbaines dans les milieux naturels, eux, sont soumis à une règlementation stricte. Pour les systèmes d’assainissement qui ont fait le choix du critère réglementaire fondé sur le volume, il est autorisé de déverser l’équivalent de 5 % du volume total
3 d’eaux usées produit annuellement par l’agglomération. « Cette règlementation pousse à assurer une protection minimum des milieux naturels. J’ai cherché à savoir si les pluies du futur pourraient modifier la conformité d’un système d’assainissement particulier », ajoute Frédéric Gogien. C’est ainsi que le doctorant et ingénieur a simulé les conséquences des pluies futures sur les déversements du réseau unitaire valentinois. « La tendance est très claire sur le volume rejeté dans les milieux naturels. En fonction des modèles climatiques utilisés, les chiffres varient, mais tous montrent qu’il y aura forcément plus de rejets d’eau non traitée dans les milieux naturels via les déversoirs d’orage », poursuit Frédéric Gogien.

Une adaptation nécessaire
Les résultats du travail de thèse de Frédéric Gogien appellent à imaginer rapidement des solutions pour une gestion nouvelle des systèmes d’assainissement en zones urbaines. « La question de la déconnexion des eaux de ruissellement des réseaux unitaires commence à être traitée à l’échelle européenne, notamment à travers le projet ‘Ville perméable’ porté par la Métropole de Lyon ou encore un projet
4 entamé au sein du laboratoire DEEP. Il s’agit surtout pour les villes de déployer des solutions d’adaptation fondées sur la nature à grande échelle dans le but de favoriser l’infiltration, l’évapotranspiration et de promouvoir la réutilisation d’une partie des eaux de pluie », ajoute Gislain Lipeme Kouyi. Un plan national d’actions pour la gestion des eaux pluviales a émergé en 2021, visant à structurer les politiques publiques en matière de gestion des eaux pluviales. « Il est désormais entre les mains des décisionnaires de favoriser les solutions qui permettent de recréer un nouvel écosystème vertueux. Végétaliser les espaces urbains permet par exemple de baisser la température des villes de 2°C à 4°C. Une ville perméable et végétale est la promesse d’une ville durable, mais surtout vivable », conclut le professeur des Universités.

 

À Lyon, la rue Garibaldi a fait l’objet d’un projet de réaménagement favorisant l’infiltration
et la réutilisation des eaux pluviales. (©Cerema)

 

Ce sujet a récemment fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue « Water Research ».
Assessing the impact of climate change on Combined Sewer Overflows based on small time step future rainfall timeseries and long-term continuous sewer network modelling. Water Research, 230. Gogien, F., Dechesne, M., Martinerie, R., Lipeme Kouyi, G. (2023).  

 

[1] Déchets, eaux, environnement, pollutions (INSA Lyon)
[2] Cette méthodologie se décline en deux étapes : une descente d’échelle spatiale dérivée de la méthode quantile/quantile et une désagrégation temporelle par recherche d’analogues. Cette seconde étape s’appuie notamment sur la mise en évidence d’une relation entre la pluie et la température : plus il fait chaud et plus les intensités de pluie sont élevées.
[3] Source : Arrêté ministériel sur l’auto-surveillance du 27 juillet 2015
[4] H2020 Multisource