Research

20 Jan
20/Jan/2020

Research

Le verre qui voulait être malléable à température ambiante 

Sous les mains gantées du souffleur de verre, le cristal amorphe se dirige vers la flamme. En fusion, le verre devient une masse visqueuse, pareil à du miel orangé. L’artisan, en dirigeant son souffle à travers une paille souple, façonne l’un des matériaux les plus intrigants de la physique des solides. 
Composé de silice, le verre utilisé dans les usages domestiques courants ne se déforme plastiquement qu’à très haute température. Et si désormais, le verre pouvait être malléable à température ambiante ? Au sein du laboratoire Matériaux, Ingénierie et Science (MATEIS), une équipe de chercheurs a développé un verre capable d’être étiré et déformé à basse température, sans casser. De quoi donner lieu à une publication dans la prestigieuse revue scientifique « Science ». Explications de Lucile Joly-Pottuz, enseignante-chercheure au laboratoire MATEIS1 et au département Sciences et Génie des Matériaux de l’INSA Lyon.

La ductilité d’un matériau, c’est-à-dire sa capacité à être étiré sans se rompre, tient au déplacement des atomes qui le composent. Le verre de silice, le plus commun, est un solide fragile. Pour comprendre ces caractéristiques antinomiques, il faut se pencher sur la composition du verre à l’échelle atomique. Son organisation est en réalité semblable à celle d’un liquide : les atomes sont répartis sans réelle organisation. Et pourtant, il est un matériau solide. Contrairement au verre utilisé pour les usages courants, le verre caractérisé par Lucile Joly-Pottuz et ses collègues n’est pas composé de silice. « Notre verre est formé d’oxyde d’aluminium, aussi appelée alumine (Al2O3). Des chercheurs de l’Institut Italien de Technologie de Milan ont utilisé un système d’ablation laser pulsé pour déposer l’alumine en fine couche atomique, d’une épaisseur de 50 nanomètres. En plaçant le verre d’alumine dans l’un des microscopes électroniques à transmission du consortium Lyon Saint-Etienne de Microscopie (CLYM), nous avons pu soumettre notre nouveau matériau à des tests mécaniques à température ambiante et quantifier son évolution pendant la déformation. Nous avons pu constater qu’il pouvait subir une déformation viscoplastique sans casser », explique l’enseignante-chercheure.

Cette découverte a été initiée par Erkka Frankberg, doctorant finlandais en séjour à MATEIS à l’époque des travaux de recherche. Grâce à lui, des travaux de modélisation numérique ont été menés à l’Université de Tampere. Les chercheurs ont ainsi découvert les mécanismes atomiques responsables de cette ductilité. « Nous avons observé des modifications de liaison des atomes. Lorsque l’on soumet le matériau à une contrainte mécanique, les atomes absorbent l’énergie du mouvement et réarrangent leurs liaisons en entraînant une déformation. La densité et le fluage visqueux permettent la déformation plastique de notre verre d’alumine », poursuit Lucile Joly-Pottuz.
Le projet international, partagé principalement entre l’Italie, la Finlande et la France, pourrait permettre de concevoir un nouveau matériau, non plus fragile comme il l’est actuellement, mais résistant comme un métal capable de s’adapter aux potentielles contraintes physiques exercées. Terminés l’écran de smartphone brisé ou la vitre de parebrise fissurée par un petit gravier ? Pour l’équipe, il faudra être encore patient. « Notre verre est encore trop petit pour prétendre à des applications industrielles pour le moment. Les films testés font 2 mm sur 2 mm et la difficulté pour le fabriquer à plus grande échelle sera de fournir des films d’alumine sans aucun défaut susceptible de fragiliser le matériau. Un travail de théorisation et de compréhension des mécanismes microscopiques nous attend », conclut l’enseignante-chercheure.

La recherche a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique
«
Science ». 
Highly ductile amorphous oxide at room temperature and high strain rate, Erkka J. Frankberg, Janne Kalikka, Francisco García Ferré, Lucile Joly-Pottuz, Turkka Salminen, Jouko Hintikka, Mikko Hokka, Siddardha Koneti, Thierry Douillard, Bérangère Le Saint, Patrice Kreiml, Megan J. Cordill, Thierry Epicier, Douglas Stauffer, Matteo Vanazzi, Lucian Roiban, Jaakko Akola, Fabio Di Fonzo, Erkki Levänen, Karine Masenelli-Varlot.

 

1UMR 5510 (INSA Lyon/CNRS/Université Lyon1)