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13 Oct
13/Oct/2021

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La recette secrète du tunnelier du métro B

Chaque matin sous terre. Les voyageurs affluent sur les quais du métro B. Avec 180 000 voyages par jour, la ligne qui relie Villeurbanne à Oullins se verra augmentée de deux stations supplémentaires, vers Saint-Genis-Laval dès 2023.
Par quelle magie l’Homme a-t-il réussi à dompter les terrains en construisant des tunnels capables de supporter des rails et des trains ? Pour Florent Prunier, co-responsable du Mastère Spécialisée Tunnels et Ouvrages Souterrains de l’INSA Lyon et Gilles Depauw, diplômé du Mastère et ingénieur tunnel, point de magie ici mais plutôt « un peu de sciences, beaucoup de technologies et un soupçon d’audace ». 
Alors que le tunnelier « Coline » vient de sortir de terre après un an d’excavation du futur prolongement de la ligne B, Florent Prunier et Gilles Depauw reviennent sur les grands enjeux de la construction du tunnel. Au menu : mastodonte de métal, cailloux et boue colmatante.

« Coline », une bête pas comme les autres
C’est à plus de 20 mètres de profondeur sous les rues de la métropole lyonnaise que la ligne du métro B a vu son tracé grandir depuis la station Gare d’Oullins jusqu’aux Hôpitaux Sud à Saint-Genis-Laval. Le tunnelier Coline, qui a parcouru 2,4 km et excavé 163 000 m
3 de matière durant les derniers mois, vient d’être démonté et extrait après avoir fini sa course au puits Orsel.
Véritable usine d’excavation, la machine dont le poids atteint les 2200 tonnes, a nécessité deux mois et demi de démontage. « L’entrée et la sortie de terre d’un tunnelier sont souvent des opérations délicates, surtout en zone urbaine. Les bâtis du secteur d’Oullins où le tunnelier a fini sa course est une zone sur laquelle le bâti est vieux, parfois en pisé. Il fallait limiter les tassements en surface lors du montage et démontage du tunnelier qui arrivait et repartait en pièces détachées », avance Florent Prunier.

 
Puits d’entrée, Saint-Genis-Laval

Grâce à sa roue de coupe de près de 10 mètres de diamètre, Coline a creusé, évacué les débris et permis la pose de voussoirs qui constitueront la paroi du tunnel de l’extension de ligne de métro. Du long de ses 122 mètres, l’imposante machine a grignoté les souterrains pendant douze mois, 24h/24 et 7j/7. Pour rejoindre l’itinéraire prévu, la machine a traversé les dormants des rues du Grand Revoyet, la Grande Rue d’Oullins, la place Anatole France et la rue de la République.

Se saisir de la géologie lyonnaise
Avec 4 lignes de métro déjà existantes, la complexité géologique des sous-sols lyonnais était déjà connue pour rendre difficile les excavations au tunnelier. « À Lyon, les souterrains sont soit très durs, soit très mous. Sur le tracé du métro B, il a fallu que le tunnelier puisse assurer le soutènement en passant de roches très dures comme du granite, à des sols alluvionnaires mous et instables », ajoute l’enseignant géotechnicien du laboratoire GEOMAS

C’est ainsi qu’a été adoptée la solution du tunnelier à densité variable. « Concrètement, le tunnelier peut fonctionner selon deux technologies de pression : soit en mode ‘pression de terre’, soit en mode ‘pression de boue’. C’est une machine hybride qui permet autant de creuser dans du sol mou et friable que dans un sol dur et granitique », ajoute Florent Prunier.

Malgré les cartes du BRGM1 et les travaux de reconnaissances préalables, il est toujours difficile pour les ingénieurs de connaître la composition exacte du sol que la machine s’apprête à creuser. Si les géologies différentes ont justifié un tunnelier à double confinement, la technique de pression de boue a nécessité un travail de recherche et développement important. Ce travail a occupé un ingénieur géologue et diplômé du Mastère spécialisé, Gilles Depauw. « Le tunnelier à pression de boue permet de creuser même dans des sols mous qui s’effondreraient sans ce système. La pression de boue appliquée au front de taille par l’intermédiaire d’une fine membrane d’imprégnation, appelée cake, garantit le support du sous-sol. Cette boue est composée d’eau et de bentonite mais pour les sols lyonnais, il a fallu développer quelque chose d’un peu différent », tente d’expliquer Gilles, désormais ingénieur tunnel chez Implenia.

La recette du cake parfait
En se baladant au bord du Rhône, il n’est pas rare de voir des alluvions et dépôts glaciaires sur le bord des rives. Ces petits galets, en apparence anodins, ont pourtant rendu la fabrication de la boue colmatante difficile. « Les sols alluvionnaires, très poreux, ont la capacité de laisser fuir la boue dans le terrain, ce qui risquait de faire chuter la pression nécessaire au soutènement. Pour contourner ce phénomène, nous avons élaboré une boue colmatante capable de boucher cette porosité. Pendant plusieurs mois, nous avons cuisiné des cakes de boues en laboratoire pour trouver la recette parfaite de cake en essayant différents types d’ingrédients », ajoute l’ancien étudiant.

Ainsi injectée dans les tuyaux du tunnelier Coline pour creuser les sous-sols limoneux, la boue disposait de sa propre centrale de traitement. « Au sein de la machine, la boue effectue un circuit. Une fois remontée à la surface, elle est séparée des galets qu’elle a rapportés de sa tournée pour être réutilisée et réinjectée. Bien sûr, nous parlons ici de milliers de mètres cube de boue », ajoute Gilles.
Les matériaux triés comme le sable et les galets sont recyclés pour le remblai sous les voies, en grave non-traitée. « Ce matériau a été utilisé en remplacement du béton, trop gourmand en énergie fossile et permettra de construire les sols sur lesquels se poseront les rails du prolongement de la ligne du métro B. En pressant la boue usagée pour séparer l’eau, on obtient des galettes d’argile qui ont été évacuées en carrière », conclut Gilles Depauw.

Désormais démonté depuis fin septembre dernier, le tunnelier Coline a été renvoyé en pièces détachées à l’usine de fabrication pour recyclage. À l’heure actuelle, les travaux de génie civil sont dans leur dernière ligne droite, à l’ouvrage des deux nouvelles stations prévues pour une mise en service dès 2023.  

En lien étroit avec l’Association Française des Tunnels et Espaces Souterrains (AFTES) et le Centre d’Etudes des Tunnels (CETU), l’INSA de Lyon et l’ENTPE proposent en co-accréditation depuis 2011 le Mastère Spécialisé « tunnels et ouvrages souterrains, de la conception à l’exploitation ». Cette formation qui dispose du label de « formation internationale » de l’Association Internationale des Tunnels et de l’Espace Souterrain (ITA/AITES) et du soutien du Syndicat Professionnel des Entrepreneurs de Travaux Souterrains de France (FNTP) est destinée à répondre aux fortes attentes du marché français et international en formation de spécialistes de la conception, construction et exploitation des ouvrages souterrains.

Plus d’informations : https://www.insa-lyon.fr/fr/mastere-ouvrages-souterrains#0 

[1] Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est l’établissement public français de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol. C'est le service géologique national français.