Research

06 Apr
06/Apr/2023

Research

« Chut ! » : trop de bruit dans les bureaux ouverts du secteur tertiaire

Le bruit au travail a un coût social : 21 milliards d’euros1 selon une étude de l’Ademe menée en 2021. Historiquement, si l’étude acoustique et l’exposition au bruit dans le milieu professionnel étaient principalement associées aux métiers d’usine, l’avènement de l’économie tertiaire a changé la donne. Dans les bureaux ouverts ou « open-space », les opérateurs font état d’une gêne liée au bruit, pouvant entraîner l’amoindrissement de la productivité, fatigue, maladies professionnelles et accidents du travail.

La problématique du bruit dans les bureaux ouverts représente un sujet d’intérêt majeur pour l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Lorsque des membres de l’institut nancéien frappent à la porte du Laboratoire Vibrations Acoustique, leur demande trouve écho chez Étienne Parizet, enseignant-chercheur à l’INSA Lyon. À travers un projet pluridisciplinaire impliquant acousticiens, psycho-acousticiens et ergonomes, cette collaboration de longue date œuvre à comprendre l’apparition de la fatigue pour protéger la santé des opérateurs en préconisant des solutions d’aménagement des espaces de travail ouverts.

Pourtant largement en dessous des contraintes règlementaires2, le bruit dans les espaces de travail ouverts semble être vecteur de fatigue pour les opérateurs. Une enquête suisse réalisée en 2010 auprès de 1230 salariés, faisait état d’une réelle gêne due au bruit, « à 80 % dans les bureaux comptant plus de 50 personnes ». « Dans les locaux d’entreprises tertiaires, le bruit provient principalement de la parole. On trouve dans la littérature scientifique, des premiers tests réalisés il y a près de 50 ans montrant que les bruits de parole réduisaient la performance, en créant une charge mentale plus élevée. Depuis, on a compris qu’une bonne part de cette charge provenait, notamment, des rapides variations du contenu fréquentiel de la voix », explique Étienne Parizet.

Protéger de la fatigue induite par le bruit en open-space : des premiers travaux concluants
En 2012, la collaboration entre le LVA et l’INRS débute afin de mieux faire le lien entre l’intelligibilité de la parole et la gêne des occupants. Parmi les premiers tests lancés, un premier exercice faisant appel à la mémoire sérielle réunissait une cinquantaine de participants, soumis à un mélange de bruits et de paroles dont l’intelligibilité variait. « Chacun devait mémoriser des suites de chiffres pour les restituer rapidement. Nous avons pu confirmer l’importance du niveau d’intelligibilité sur la gêne induite. Nous avons aussi remarqué une grande variabilité dans la performance des participants : certains avaient d’excellents résultats, quelle que soit la condition sonore. » Pour aller plus loin, une deuxième expérimentation a consisté à faire établir une revue de presse, mettant en jeu plusieurs processus cognitifs comme la génération d’idées ou la mémoire à long terme. « Pendant une journée, les participants ont d’abord été soumis à un bruit stationnaire, un bruit de parole et un bruit un peu plus modulé. Ceci a permis de confirmer le rôle particulier de la parole, qui augmentait la fatigue et la charge de travail perçues par les participants. Dans certaines conditions de travail, ce bruit de parole peut s’avérer délétère sur la santé des opérateurs, comme par exemple, dans les centres d’appel téléphonique ». Conclus en 2019, ces premiers travaux expérimentaux ont donné lieu à une évolution de la norme AFNOR S31-199 sur l’acoustique des bureaux ouverts. Une norme internationale (ISO) est en cours de négociation.

L’émergence du projet FABO : quid des malentendants travaillant dans les bureaux ouverts
Les résultats des premières expérimentations du LVA, corroborant avec la littérature sur le sujet, démontraient ainsi que certaines caractéristiques du bruit de parole intelligible étaient un facteur de gêne et de fatigue important pour les opérateurs en open-space.​ Cependant, le projet précédent, intitulé « EBBO
3», n’avait pas pris en considération les caractéristiques individuelles et situationnelles. C’est ainsi que le projet « FABO » est né pour approfondir les recherches. « En fonction de l’état psychologique, l’âge, la capacité auditive de la personne, la gêne peut être différente d’un individu à l’autre. Aussi, l’ambiance sociale, la complexité des tâches ou l’organisation de travail peuvent influer sur celle-ci. À travers le projet FABO pour ‘Approche transactionnelle de la FAtigue des opérateurs travaillant dans des Bureaux Ouverts’, nous avons souhaité explorer l’impact du niveau d’audition sur la fatigue ressentie dans les bureaux ouverts », ajoute Étienne Parizet. Ainsi, l’enseignant-chercheur et Nicolas Poncetti, doctorant au sein du Laboratoire Vibrations et Acoustique, s’interrogent : une baisse de l’audition réduit-elle le niveau de gêne ou au contraire, entraîne-t-elle une demande d’attention plus forte à la parole intelligible, ainsi plus de fatigue ?


 Dans une chambre semi-anéchoïque, les participants ont été invités à réaliser des tâches  en étant soumis à différents types de bruits.
Dans une chambre semi-anéchoïque,
les participants ont été invités à réaliser des tâches 
en étant soumis à différents types de bruits.

 

Depuis octobre dernier, l’équipe travaille à déterminer l’impact du bruit de parole auprès des personnes malentendantes, à partir du protocole précédemment appliqué. « Ce type d’expérience requiert un nombre de participants assez important et la variabilité individuelle de réussite à la tâche est forte : il est difficile de trouver des personnes ayant le même profil de perte auditive. Pour l’instant, une première phase de test a été réalisée avec des personnes non-appareillées dont les capacités d’audition étaient amoindries par un simulateur auditif, cependant, la validité écologique4 de ce premier protocole ne nous satisfait pas. Nous sommes donc actuellement, avec l’aide d’audiologistes, à l’œuvre pour recruter des participants de même profil auditif. Si les personnes sont amenées à travailler plus longtemps, des défaillances auditives comme la presbyacousie sont des réalités qu’il faudra prendre en compte dans l’adaptation des postes de travail », conclut l’enseignant-chercheur. 

Grâce aux travaux in situ parallèlement menés par une équipe de recherche du Laboratoire d’Anthropologie et de psychologie Cognitives et Sociale de l’Université de Nice (LAPCOS), les résultats du projet FABO permettront à l’INRS de faire évoluer les règles d’aménagement, les indicateurs de qualité et les normes relatives au bruit dans les activités professionnelles. Affaire à suivre.

 

Le projet FABO - « Approche transactionnelle de la FAtigue des opérateurs travaillant dans des Bureaux Ouverts » implique le Laboratoire Vibrations et Acoustiques (LVA), le Laboratoire d’Anthropologie et de psychologie Cognitives et Sociale (LAPCOS Université Côté d’Azur) et l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnels (INRS).
Le projet FABO est soutenu par une aide de l’Agence Nationale de la Recherche.

 

 

[1] Le coût social du bruit en France est estimé à 147,1 milliards d’euros par an. Source : Coût social du bruit en France, DOUILLET Maia, SIPOS Gala, DELUGIN Léna, BULLIOT Benoît, REMONTET Lucas, BIDAULT Elsa, ADEME, I Care & Consult, BRUITPARIF OBSERVATOIRE DU BRUIT EN ILE-DE-FRANCE, ENERGIES DEMAIN - 2021/07)
[2] L’INRS considère que l'ouïe est en danger à partir d'un niveau de 80 décibels durant une journée de travail de 8 heures.
[3] EBBO pour « Exposimètre de Bruit pour Bureaux Ouverts »
[4] La validité écologique exprime dans quelle mesure les résultats de la recherche sont applicables à des situations de la vie réelle en dehors des conditions expérimentales.