Sismologie

28 Feb
28/Feb/2023

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« Les entrailles de la Terre sont un puits de défis scientifiques »

Depuis début février, le sud de la Turquie et le nord de la Syrie sont en proie à des évènements sismiques violents. Le territoire, placé sur trois failles, a grondé si intensément que les secousses ont été ressenties dans tout le Moyen-Orient, faisant des dégâts humains et matériels désastreux. Le caractère exceptionnel des tremblements de terre a interrogé les scientifiques des quatre coins du globe. 

Guilhem Mollon est maître de conférence au département génie mécanique et chercheur au LaMCos. En parallèle de ses travaux au sein de l’équipe Tribologie et Mécanique des Interfaces (TMI), il cherche à comprendre les lois de la physique qui régissent les glissements entre les plaques tectoniques. Zoom sur l’un des nombreux domaines impliqués dans l’étude des entrailles de la Terre : la mécanique des failles sismiques.

Guilhem MollonLes territoires turcs et syriens ont récemment subi plusieurs tragiques épisodes sismiques, faisant plusieurs milliers de victimes. Que s’est-il passé sous ces terres pendant le premier en date ?
C’est l’une des grandes difficultés de l’étude des séismes : chaque évènement est un cas particulier. La Turquie est un site sismique connu depuis longtemps, reposant sur deux grandes failles ; la faille nord-anatolienne qui traverse toute la Turquie jusqu’à Istanbul, puis la faille est-anatolienne, en dessous, qui atteint un point triple. L'épisode du début du mois de février1 a été un cas particulier, car deux séismes de magnitude comparable ont sévi. En temps normal, un séisme peut être précédé de foreshocks, des tremblements annonciateurs, et suivi de répliques, moins intenses que les secousses principales. Cette fois, il y a eu deux séismes de magnitude comparable (7,8 et 7,5), ce qui indique que le deuxième séisme n’est probablement pas une réplique du premier. Chaque évènement est intervenu sur deux failles différentes à quelques heures d’intervalle. Les failles nord et est anatoliennes sont dites « transformantes » : elles forment le bord de plaques qui glissent l’une sur l’autre latéralement, libérant de l’énergie, qui se transformera ensuite en ondes sismiques. C’est tout ce que je suis en mesure d’expliquer sur le contexte géologique de ces évènements particuliers, car je ne suis pas sismologue de terrain. Il existe divers champs d’études de l’activité sismique. En tant qu’ingénieur tribologue, je m’intéresse au phénomène de glissement dans la roche. 

 

Les principales structures tectoniques autour de la plaque anatolienne (Source : Wiki CC– Mikenorton)

Les principales structures tectoniques autour de la plaque anatolienne
​ (Source : Wiki CC– Mikenorton)

 

Comme vous le mentionnez, des communautés scientifiques différentes travaillent sur des évènements sismiques. Comment ces phénomènes et risques naturels sont-ils étudiés ?
La communauté la plus connue sur le domaine est certainement celle des sismologues qui travaillent essentiellement sur les signaux, mesurent les ondes et établissent des propriétés de la source émettrice. Chez les observateurs de la Terre, il y a également les géodésiens qui étudient les mouvements de très grande taille, sur des temps longs. Ensuite, le génie civil s’intéresse aux impacts des séismes sur les populations et aux risques sur les infrastructures humaines. Et puis, il y a la vision mécanicienne qui comporte deux aspects : la théorie et la simulation expérimentale. C’est la communauté à laquelle j’appartiens : je tente de comprendre chaque mouvement d’un tremblement de terre, à petite échelle. Pour caricaturer, j’observe des sandwichs de roches minérales en glissement et j’en réalise la modélisation pour inférer des propriétés et des comportements. Les séismes sont souvent produits par des mouvements de plaques tectoniques. Dans de nombreux cas, les failles se verrouillent, accumulent de l’énergie mécanique au cours des décennies, et cèdent d’un coup. Mais certains segments glissent paisiblement en permanence et ne provoqueront jamais de séismes. Et d’autres failles accumulent tellement d’énergie que le début d’un évènement sismique produit suffisamment de chaleur pour que la roche entre en fusion, facilitant encore plus le glissement ! Dans tous les cas, pour comprendre ces phénomènes, il faut les étudier d’un peu plus près, en zoomant.

Vous étudiez les lois de frottement des failles à petite échelle, au moyen d’expérimentation en laboratoire et grâce à la modélisation. Qu’apporte la modélisation numérique ?
Pour étudier une faille sismique, qui fait parfois plusieurs centaines de kilomètres de long, on ne peut pas se permettre de récolter des carottes de roche à dix mètres de profondeurs tous les cinq mètres. Il faut être capable de généraliser. Pour ma part, je ne travaille pas sur des cas particuliers afin de conserver une vision générale, mais je sais que de nombreuses équipes dans le monde construisent des modèles de failles de très grandes tailles, tournant sur les ordinateurs les plus puissants du monde. Elles étudient toutes les données, avant, pendant et après le séisme pour fabriquer des modèles. Mais seules les plus iconiques et les mieux instrumentées des failles ont droit à ce genre de modélisation, comme celle de San Andreas ou de Sumatra. Mon travail se place du côté de la simulation locale : j’essaie de reproduire, grâce à des modèles numériques à l’échelle du millimètre, le détail de chaque mouvement de la roche. On appelle ça des séismes de laboratoire. Grâce à un code de calcul que j’ai développé et qui s’adapte autant aux frottements des pneus sur la route qu’aux glissements des plaques tectoniques, je tente de reproduire numériquement ce qui est observé et mesuré expérimentalement. Toutes ces données ainsi partageables à l’ensemble de la communauté, nous permettent d’écrire des lois de frottements, applicables à plus grande échelle, qui offriront de nouvelles perspectives à l’étude des séismes. 

La tribologie s’attache à étudier les frottements mais aussi l’usure. Existe-t-il un phénomène similaire lorsque des plaques tectoniques glissent entre-elles ?
On aurait tort de penser que les parois des failles sont lisses et propres, effectivement. En glissant, les plaques peuvent arracher de la matière rocheuse, remplissant la faille d’une matière poudreuse appelée « gouge », formant par la suite une couche granulaire. Plus la faille se remplit, plus les deux parois de roches, protégées par cette couche, sont éloignées l’une de l’autre ; un équilibre peut se créer, mais la loi de frottement s’en trouve forcément modifiée. L’usure est une donnée mécanique très intéressante : comprendre comment elle est générée ou la façon dont elle modifie les couches rocheuses est au cœur de nos problématiques. Les roches sont vivantes : dans 400 ans, au prochain séisme majeur en un certain lieu, cette poudre, provoquée par l’usure, se sera peut-être recimentée, provoquant de nouveaux phénomènes physiques et mécaniques. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui empêche à tout scientifique sérieux de prétendre prédire les séismes. L’observation scientifique de ces évènements n’a pas plus de 200 ans, alors que les plus gros séismes ont des périodes de retour typiques de 100 à 1000 ans : comment prédire un évènement dont on n’a observé de mémoire d’Homme, au maximum, qu’une ou deux occurrences ? Aujourd’hui, malgré la somme des efforts déployés, cette communauté scientifique ambitionne seulement de comprendre les phénomènes, mais pas encore d’en faire la prédiction. Les entrailles de la Terre sont un puits de défis scientifiques.

 

Illustration d’un sandwich de roche (source : thèse de Jérôme Aubry, « Séismes au laboratoire : friction, plasticité, et bilan énergétique », 2019)

Illustration d’un sandwich de roche (source : thèse de Jérôme Aubry,
« Séismes au laboratoire : friction, plasticité, et bilan énergétique », 2019)

 

[1] : Depuis la rédaction de cet article, les territoires turcs et syriens ont subi de nouvelles secousses, le 20 février 2023. La province de Malatya, dans le sud-est de la Turquie, a également été frappée par une réplique du séisme du 6 février, ce lundi 27 février 2023.

 

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18 Jul
18/Jul/2019

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Simulateur et tremblements

Ça n’est pas la terre qui a tremblé à l’INSA Lyon mais la plateforme Eiffel du laboratoire GEOMAS et du département Génie Civil et Urbanisme (GCU). L’équipe1, composée de treize enseignants-chercheurs, ingénieurs, professeur, technicien et doctorante, a réalisé son premier essai pseudo-dynamique. L’objectif ? Évaluer la vulnérabilité d’une structure en béton armé lorsqu’elle est soumise à des ondes sismiques. Explications sur la maîtrise d’une technique qui offre de belles perspectives pour le laboratoire. 

  

Forces et structures
Lorsqu’un bâtiment subit un tremblement de terre, ses fondations sont soumises à des forces d’ondes capables de mettre à mal la stabilité et la résistance du bâtiment en quelques minutes. « Le génie parasismique se compose en trois grands domaines d’études. D’abord, il faut prévoir l’action sismique, c’est le travail du sismologue, puis étudier la réaction des bâtiments aux ondes sismiques en interaction avec le sol et leur environnement, et enfin évaluer leur fragilité en vue de les adapter aux zones d’implantation. L’objectif de notre travail de recherche est de prédire le comportement d’une structure face à cet aléa sismique », explique Stéphane Grange, enseignant-chercheur au département GCU et au laboratoire GEOMAS.

Béton et fissures
Dans le cadre de ses travaux de thèse, Chaimaa Jaafari (école doctorale MEGA) s’est concentrée sur le béton, qui compose la majorité des infrastructures existantes. « Le béton connaît un phénomène particulier lors de sa prise que l’on appelle ‘jeune-âge’. Il correspond à la phase de réaction chimique du ciment avec l’eau et à l’évaporation de cette dernière, où le matériau se solidifie et créé naturellement des fissures. Nous avons tenté de mesurer les effets de ce phénomène sur le comportement d’une structure en béton armé en cas de séisme. Pour cela, nous avons testé deux portiques : l’un en conditions endogènes, c’est-à-dire, entouré de cellophane pour limiter les échanges d’eau avec l’extérieur et donc l’apparition de fissures ; l’autre en conditions non-endogènes, en laissant l’eau s’évaporer naturellement à l’air libre ».

Calculs et tremblements
Pour simuler les ondes sismiques, Chaimaa, et l’équipe M2S
2 n’ont pas attendu le prochain tremblement de terre, mais ont fait vibrer la plateforme Eiffel du département GCU. « Pour imiter le séisme, nous avons décidé d’expérimenter la méthode pseudo-dynamique qui consiste, à l’aide d’un mur de réaction et d’un couplage avec un algorithme numérique, à soumettre les structures à des sollicitations sismiques réelles, et ainsi perfectionner les modèles numériques que nous avions établi au préalable », explique la doctorante. Grande première à l’INSA Lyon, cette technique offre une meilleure observation des impacts sismiques : « l’essai se déroule en temps dilaté. Contrairement à une table vibrante, notre installation nous permet de maîtriser tous les moyens de mesure. Le séisme est une accélération du mouvement du sol en fonction du temps. Ici, nous avons pu décomposer les mouvements de dix secondes de séisme sur deux heures d’expérience. Nous en avons conclu que les dommages antérieurs, comme l’effet du jeune-âge sur le béton, pouvaient avoir des conséquences non négligeables en zone de sismicité modérée, comme c’est le cas de l’activité sismique en France métropolitaine. D’autres structures pourraient être évaluées avec d’autres actions sismiques grâce à la maîtrise de cette technique. Notre objectif futur est de tester des structures encore plus grandes, et d’acquérir un mur de réaction encore plus haut ! », conclut Stéphane Grange.
 

Le projet EarlyQuake a été financé par un Bonus Qualité Recherche (BQR) de l’établissement. 


Chaimaa Jaafari, doctorante ; Stéphane Grange, enseignant-chercheur (GEOMAS) ; David Bertrand, enseignant-chercheur (GEOMAS) ; Romain Trunfio, ingénieur ; Emeric Bruyère, technicien ; Tina Guillot, ingénieure ; Nouredinne Chateur, ingénieur ; Éric Augeard, Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche ; Jean-François Georgin, enseignant-chercheur (GEOMAS) ; Fabien Delhomme, enseignant-chercheur (GEOMAS) ; Philippe Chaudet, ingénieur ; Nicolas Tardif, enseignant-chercheur (LaMCos) ; Élodie Prud’homme, enseignant-chercheure (MATEIS)

2 M2S : équipe de recherche en Mécanique des Matériaux et des Structures
 

 

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18 Oct
18/Oct/2017

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Séisme et installations nucléaires : quels risques pour la France ?

Un mois après le tremblement de terre qui a frappé le Mexique en plein cœur, l’INSA accueille le séminaire Projet d’investissement d’avenir PIA-SINAPS@, Séisme et Installation Nucléaire : Améliorer et Pérenniser la Sûreté, les 9 et 10 novembre 2017 à la Bibliothèque Marie Curie de l’INSA Lyon.

Entretien avec Stéphane Grange, Professeur à l’INSA Lyon et chercheur au laboratoire GEOMAS, ex-SMS-ID (Sols Matériaux Structures – Intégrité et Durabilité).

Que va-t-il se passer durant ce séminaire ?
On attend tous les acteurs de ce projet qui vont faire leur restitution de l’année en matière de risque sismique, principalement associée aux infrastructures de génie civil, de type centrales nucléaires. Ce projet rentre dans sa 5et dernière année d’existence, avec l’objectif de faire le lien entre les sismologues qui traitent les données permettant d’évaluer l’aléa sismique, et les acteurs du génie civil qui ont besoin de ces données pour avancer sur l’amélioration de la sûreté des installations nucléaires.

Ce projet SINAPS a démarré aux lendemains de la catastrophe de Fukushima (mars 2011), survenue à la suite du séisme et du tsunami qui a frappé l’est du pays. L’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a lancé un appel à projets en 2013, doté de 50 M€, pour la recherche en sureté nucléaire et en radioprotection.

La France est perçue comme étant un pays à risque sismique modéré. Cela a-t-il changé ?
Notre contexte est différent de celui du Japon, mais s’il est vrai qu’en France métropolitaine, les risques sont modérés, ce n’est pas le cas en Guadeloupe et Martinique. Les Antilles sont en zone de sismicité forte comme on peut le voir sur la carte du zonage sismique de la France. Ce nouveau zonage entré en vigueur en 2011 a d’ailleurs été revu à la hausse car les connaissances en la matière ont évolué et se sont enrichies. On a une meilleure prédiction pour les séismes modérés car on dispose de plus de données, et c’est aussi une des raisons du lancement de ce projet. Ces données peuvent aujourd’hui nous amener à penser qu’une plus grande probabilité de risque sismique existe et il faut arriver à mieux cerner d’où viennent les marges sismiques, à mieux les maitriser, dans le but d’augmenter la durée des vies des ouvrages.

L’Italie, qui est en zone de sismicité forte, a subi des séismes qui ont rasé des zones habitées entières.

En Métropole, le quart sud-est est à surveiller.

Et si on se réfère au passé historique de la France, notre pays a connu en 1909 un séisme de magnitude 6,1 sur l’échelle de Richter. Ce séisme de Lambesc est le tremblement de terre de magnitude la plus élevée enregistrée en France métropolitaine. S’il avait lieu aujourd’hui, compte tenu du développement économique actuel, il ferait beaucoup plus de dégâts.

Quelle est la place de l’INSA dans l’étude de ces problématiques ?
La thématique sismique est traitée à l’INSA, elle a d’ailleurs donné lieu à d’importants projets par le passé, notamment menés par Jean-Marie Reynouard, Professeur émérite au laboratoire SMS-ID et ancien Directeur de la Recherche à l’INSA Lyon. En intégrant il y a un an ce laboratoire, j’ai renforcé la compétence « structure ». Diplômé de l’ENS Cachan, j’ai effectué ma thèse à l’Université de Grenoble dans le domaine du génie parasismique et un post-doc à l’Université de Californie de Berkeley, très concernée par la question puisque située dans une région à fort risque sismique. Après 7 ans en tant que Maître de Conférences à l’Université de Grenoble-Alpes, j’ai intégré l’INSA et aujourd’hui, nous accueillons cette séance plénière qui va amener de la visibilité à notre laboratoire et nos compétences, dans une région où le risque sismique est plus important que partout ailleurs en France.

 

GEOMAS : une nouvelle identité pour le laboratoire SMS-ID

GEOMAS pour Géomécanique Matériaux Structure est le nouveau nom choisi par les équipes du laboratoire SMS-ID, anciens membres du LGCIE de l’INSA Lyon. Historiquement, le LGCIE s’est divisé en deux entités, le laboratoire DEEP et le laboratoire SMS-ID. L’objectif du laboratoire est toujours de mener une recherche académique d’excellence, adossée à une recherche partenariale, qui vise à répondre aux besoins industriels et sociétaux dans les domaines de la construction au sens large (sols, matériaux et structures) et de l’environnement.
 

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