
Entreprises
De Klaxit à BlaBlaCar : Julien Honnart, l’entrepreneur qui voulait relier les gens
Relier les gens : voici l’honorable point commun entre les télécommunications et le covoiturage, auquel Julien Honnart a consacré ses dix dernières années. Sortant de l’INSA Lyon, il créait Klaxit, startup spécialisée dans les trajets partagés domicile-travail. Onze ans après sa création, il revendait son entreprise à BlaBlaCar.
Aujourd’hui parrain de la filière Entreprendre@INSA, il souhaite faire désormais profiter ses cadets de son expérience. Anatomie d’un parcours d’entrepreneur, pavé de rencontres, d’apprentissage permanents, et de relations humaines.
Le feu créatif
L’informatique est un truc hérité de son père. Quand celui-ci lui lègue le premier ordinateur du foyer pour en acquérir le tout dernier modèle, c’est la révélation. Au début, Julien bricole, démonte, remonte l’appareil. De fil en aiguille, il découvre le potentiel créateur de l’informatique. Au lycée, il développe même avec un ami, le site internet de son établissement. « J’avais envie de créer, même si je n’étais pas forcément doué de mes dix doigts. L’informatique permet de fabriquer des choses que les gens utilisent pour résoudre des problèmes. Ça me faisait rêver », décrit-il.
Pourtant, celui qui a désormais vendu son entreprise à BlaBlaCar n’était pas le plus doué en maths. « Pour le bac S et poursuivre des études scientifiques : un vrai talon d'Achille ». Ainsi, il cravache pour obtenir la mention très bien. « J’ai toujours beaucoup bossé, sans réelles facilités pour être en tête de file. Cela m’a valu beaucoup de stress, notamment pour l’entrée à l’INSA Lyon ». Moins porté sur les aspects purement théoriques, néanmoins nécessaires aux études supérieures, il recherche l’expérimentation. Et le voyage à l’étranger, sa marotte de l’époque. Il suit ses deux premières années d’études d’ingénieur en double-diplôme, à Karlsruhe. « À ce moment-là, les Allemands sont plus en avance que nous sur deux aspects qui m’attirent particulièrement : la spécialisation dès la première année d’études d’ingé' et l’écologie ». Là-bas, il apprend le code et le langage Java. Il s’y rendra une seconde fois lors de sa scolarité, pour un stage à la Gazette de Berlin, un journal d’actualités fondé par des expatriés français. Au milieu de cette équipe de littéraires, le futur ingénieur sort du cadre. « Je suis surtout complètement inexpérimenté pour accomplir ma mission de remettre sur pied leur site internet ». Alors, dans la blancheur de l’hiver berlinois, il écume les ouvrages glanés à la bibliothèque du quartier ; un réflexe qu’il aura à maintes reprises lors de sa vie d’entrepreneur. Seul, il potasse l’épais livre pour apprendre ce qu’il ne sait pas encore.
Une première graine
Intégré au département Télécommunications en troisième année sur le campus de Villeurbanne, Julien Honnart se remémore le cours qui jettera les bases de Klaxit. « Ça s’appelait ‘projets innovants’, géré par Stéphane Frénot. Il nous fallait travailler en groupe autour d’un prototype et d’un business plan ». Un pur développement de projet entrepreneurial, le jargon en moins. Le début du Web 2.0, l’avènement des communautés et des réseaux sociaux font émerger nombre d’idées toutes aussi créatives que challengeantes. Dans l’émulation collective, le groupe dont fait partie Julien porte son intérêt sur l’automobile. « Pour moi, la voiture était un vieil objet et présentant un potentiel d’innovation en télécommunications assez faible. On voulait créer un boîtier pour relier le véhicule à internet, mais rien d’extraordinaire n’apparaissait ». La fulgurance arrive sans prévenir : « l’innovation était à trouver dans l’usage, et non dans la technologie elle-même ». Alors dans sa turne, de retour d’un brainstorming avec son groupe, l’étudiant liste les services qu’un tel boîtier pourrait rendre : entretien, diagnostic, assurance au kilomètre, écoconduite et déjà… La détection de la régularité des trajets pour favoriser le covoiturage. « Pour légitimer ce que nous faisions, nous avions contacté des alumni chez Renault. Les équipes R&D, qui travaillaient déjà sur le système R-Link, ont été piquées par notre idée de boîtier ». Au sortir du jury de présentation, l’un d’eux jette : « c’est une super idée. Il serait dommage d’arrêter ». L’entrepreneur se remémore : « À ce moment-là, il plante une graine très importante. »
Un stage dans la Silicon Valley
Comme une coïncidence déguisée, le premier semestre de sa cinquième année d’étude d’ingénieur mène Julien Honnart au cœur même de l’un des plus grands centres technologiques de la planète. Des prises de contact avec les quelques alumni insaliens établis aux États-Unis, aboutissent à un stage dans une petite entreprise de la Silicon Valley. L’ébullition et la créativité permanentes caractéristiques de la contrée font rêver le jeune étudiant. « On y parle de nouvelles innovations, partout et tout le temps ! »
L’entreprise d’accueil qui partage ses bureaux entre Grenoble et San Francisco, lui ouvre la porte d’un monde presque secret, réservé à l’élite technologique de l’époque. Armé d’un énième pavé de bibliothèque, il apprend un langage web en vogue avec lequel il codera la première version de Klaxit : Ruby on Rails. « Mes mentors, spécialistes des communautés du web et des réseaux sociaux, sont assez généreux. La vision du fondateur est très disruptive. Tout va très vite et je m’acclimate à ce monde. C’est une expérience intellectuelle incroyablement nourrissante ». Ainsi, l’idée du boîtier imaginé lors de ses cours fait son chemin. « Dans le métro, la moitié des gens avait un iPhone, le modèle 3G, le premier sur lequel on pouvait développer ses propres applications. À partir de là, je comprends : les Américains sont un peu en avance, mais notre boîtier, tout le monde l’aura dans la poche. Je rentre en France avec l’idée de développer une application mobile, et je candidate pour la Filière Ingénieur Entreprendre [désormais Filière Étudiant Entrepreneur]. »
Relier les gens : une mission de vie
Lorsque Julien Honnart revient sur les motivations à devenir un ingénieur en télécommunications, il évoque d’abord la complétude de la discipline, mais aussi le lien. « Les télécoms offrent une vision entière de la chaîne de l’information, de la production à sa transmission. Ce qui me motivait, c’était de comprendre comment on relie les gens, de bout en bout ». Un principe de base, commun au covoiturage. « Peut-être que c’est avant tout le potentiel de rencontre qui m’a attiré dans l’idée du covoiturage dont la promesse était : si l’unité de la rencontre est un trajet commun, cela permet de se mettre en relation avec des gens de tous horizons. »
Pourtant, l’entrepreneur expert de la mise en lien s’est souvent retrouvé seul, face à ses doutes. Lors du semestre à la FÉE, il s’entoure de camarades intéressés par le projet. L’idée originelle du boîtier de voiture devient une application de gestion des déplacements quotidiens : transports en commun, marche et alertes trafic. « Je suis à fond sur le sujet ; les autres un peu moins. Je n’ai jamais réussi à embarquer mes camarades avec moi, et cela transparaît au jury final. Plus qu’un regret, c’est que le projet ne marche pas ! » L’étudiant se retrouve, avec pour seules compagnonnes, des idées et une inextinguible soif d’entreprendre.
Pour autant, il ne baisse pas les bras. Diplômé ingénieur, il intègre HEC Entrepreneurs, peaufine son application de covoiturage avec une camarade de promo, qui s’éclipsera à la fin de l’année scolaire, et se lance « pour de vrai ». « Je dépose les statuts en 2012 et je code la première version du serveur de l’appli. Puis je recrute un stagiaire pour développer les deux applications mobiles. J’arrive à le recruter parce que je suis ingénieur. On s’enthousiasme sur un truc de geek : je parle la même langue et on se fait confiance ». La première version de l’application est publiée sur les stores. Elle permet aux 10 000 utilisateurs inscrits de s’organiser pour partager les frais de covoiturage. « Il y a peu d’utilisations et dans le même temps, Thomas, mon stagiaire, se fait débaucher par Google. J’essaie de m’associer avec lui, mais rien n’y fait. Je le comprends : à l’époque, il ne pouvait pas refuser pareille opportunité. Et je me retrouve à nouveau seul dans l’aventure. »
Dans le salon de sa coloc’ : les vrais débuts de Klaxit
L’application se concentre désormais sur les trajets domicile-travail. Submergé par les tâches commerciales et techniques, Julien part à la recherche d’un associé. « J’écume les forums, les évènements de matchmaking, et je rencontre Cyrille qui savait de quoi il parlait : il maîtrisait Ruby on Rails sur le bout des doigts ». Entre le salon de la colocation parisienne du jeune ingénieur-entrepreneur déguisée en bureau de fortune la journée et la vieille voiture du grand-père pour assurer les rendez-vous commerciaux, Klaxit ressemble de plus en plus à une petite entreprise. « On gagne quelques concours, on est soutenus par un fonds d’investissement, on est rentable et l’équipe grossit ! ». Jusqu’au succès commercial qui ferait presque oublier toutes les portes jusqu’alors claquées au nez. « On avait signé la moitié des boîtes du CAC40. Mais au milieu de notre bureau, l’écran qui comptabilisait les trajets réalisés ne dépassait pas les 300 déplacements par mois. C’était décevant : on voulait avoir de l’impact concret, et notre mission n’avait jamais été d’être un outil de greenwashing. »
Le lobbying : l’autre face de l’entrepreneuriat
Pour faire avancer la mission de Klaxit, s’ensuit alors un long travail avec les collectivités publiques. « Le covoiturage domicile-travail est particulièrement intéressant pour les zones périurbaines à faible densité et les collectivités se montraient réceptives à l’idée. Il a fallu plus de 2 ans pour faire évoluer la réglementation qui n’était pas de notre côté, et permettre de subventionner le covoiturage ». Il faut dire que l’entrepreneur est là au bon moment : dans les couloirs du ministère des Transports se dessinaient les contours de la Loi d’Orientation des Mobilité, la LOM. Conscient de la nécessité de faire avancer l’idée du covoiturage dans le débat public, Julien Honnart devient un interlocuteur privilégié, notamment lors des Assises des Mobilités, organisées par Élisabeth Borne alors ministre des Transports.
L’idée du covoiturage est bonne et facile. « Naturellement, nous n’étions pas seuls sur le marché. Nous avions même une vingtaine de concurrents ». En 2017, un concurrent frontal sort de terre : BlaBlaLines devenu BlaBlaCar Daily. Klaxit tient la barre, rachetant en 2019 iDVROOM, filiale de covoiturage de la SNCF et gagnant le premier marché public d’envergure sur le covoiturage à Nantes. « À partir de là, je me dis qu’on va peut-être faire quelque chose de notre boîte ». Et puis, naturellement, le géant français du covoiturage propose le rachat. Après plusieurs années de négociations, les 70 salariés de Klaxit intègrent BlaBlaCar début 2023. Klaxit devient BlaBlaCar Daily, l’application de covoiturage courte distance de BlaBlaCar. « Ils avaient ce qu’il nous manquait : la notoriété de marque et une énorme communauté d’utilisateurs. Nous avions de notre côté les clients entreprises et collectivités, ainsi que les équipes pour les gérer ». Après une courte transition de 9 mois au sein de BlaBlaCar Daily, Julien Honnart rend son badge et son ordinateur, l’esprit léger. Lui qui n’avait jamais goûté à cette liberté depuis ses études d’ingénieur. « Il y a trois raisons pour lesquelles je suis heureux de cette suite de l’histoire : BlaBlaCar va accélérer la mission que Klaxit poursuivait et la fusion a offert de nouvelles opportunités à l’équipe. Enfin, j’ai retrouvé une vie personnelle. Les dernières années ont été difficiles, avec une concurrence féroce, même après le rachat. Mon pot de départ n’a pas été triste. Je suis parti avec une énergie folle et une reconnaissance tellement grande qu’elle m’a tenue pendant longtemps. C’est le plus beau cadeau que mes équipes pouvaient me faire. »
Partager son expérience : le parrain d’Entreprendre@INSA
Sur son parcours, Julien Honnart reconnaît avec gratitude toutes les incitations à poursuivre vers l’entrepreneuriat. Du cours de Stéphane Frénot, à l’ingénieur de Renault en passant par ses mentors américains et son passage à HEC Entrepreneurs, ces encouragements ont participé à faire éclore ses ambitions ; un rôle qu’il souhaite jouer auprès de la génération suivante.
« À la fin de la transition chez BlaBlaCar, je ne suis pas parti en voyage six mois et je n’ai pas rejoint de nouveau projet entrepreneurial. J’ai repris contact avec l’écosystème entrepreneurial. Mon engagement principal aujourd’hui, c’est le give back : j’interviens à HEC Entrepreneurs et à l’INSA pour planter ces graines à mon tour ».
Parrain de la promotion 2024-2025 d’Entreprendre@INSA, Julien Honnart accompagne la promotion de futurs entrepreneurs insaliens. « Je vois de plus en plus d’ingénieurs qui veulent avoir de l’impact, qui sont très sensibles à l’écologie et aux problèmes de société. Ils ne veulent pas se contenter de faire de la technique. Je suis convaincu qu’il est plus facile de se lancer dans l’entrepreneuriat en sortie d’études, sans attaches ni peur de perdre. Alors oui, c’est un truc obsessionnel qui a un impact dans la vie personnelle, mais plus tard, la créativité diminue. Et puis, quand on est jeune, on ne passe jamais pour un idiot, car on est jeune ! C’est une aventure intense et une école de la vie incomparable. Enfin, soyons honnêtes, les ingénieurs n’auront jamais de problèmes d’employabilité. Si nous, qui sommes privilégiés, ne prenons pas des risques pour faire avancer le monde dans le bon sens, qui en prendra ? »
« Évènement en l’honneur des partenaires d’Entreprendre@INSA »
Le vendredi 14 mars, Entreprendre @INSA conviait ses partenaires privilégiés pour célébrer les étroites collaborations avec l’ensemble de l’écosystème entrepreneuriat-innovation du territoire. L’évènement a ainsi réuni autour des étudiants-entrepreneurs et des équipes pédagogiques : Julien Honnart, parrain 2025 d'Entreprendre @INSA, l’école IRIIG, le H7, le Centre de l’Entrepreneuriat de la ComUE (CELSE), La Fabrique de l’Innovation et le cabinet KESTIO, mettant en lumière la richesse et la complémentarité de chacun.


International
« Le plus dur n’a pas été de m’y installer, mais bien d’en repartir »
Jean-Yves Cavaillé, enseignant-chercheur à l’INSA Lyon, revient sur deux années passées au Japon dans le cadre du partenariat entre l’INSA Lyon, le CNRS et l’Université de Tohoku (TU).
Dans quel contexte s’est présentée à vous cette opportunité ?
Pour la première fois dans l’histoire de l’INSA Lyon, une équipe d’enseignants-chercheurs, Gaël Sebald, Nicolas Mary et moi-même, est mobilisée depuis plus de deux ans dans le cadre de l’Unité Mixte Internationale (UMI) ELyTMaX pour renforcer la collaboration interuniversitaire. L’implication et la participation équilibrée de l’Université du Tohoku, de l’INSA Lyon et du CNRS nous permettent d’avoir la chance de vivre cette expérience. Lorsque l’opportunité d’une expatriation s’est présentée à moi en 2016, j’ai sauté sur l’occasion.
Je travaillais avec l’Université de Tohoku depuis 2000 et réalisais de nombreux déplacements pour consolider les liens entre les écoles. C’est une des meilleures universités au monde dans le domaine des matériaux, notamment métalliques : c’est même la meilleure du Japon ! Me plonger dans cette aventure humaine et scientifique, et découvrir une nouvelle façon de travailler ensemble me motivait depuis le début.
Vous êtes parti accompagné de votre famille, comment a-t-elle vécu ce changement ?
Ma femme était un peu réticente à l’idée d'aller s’expatrier au Japon avec notre fils. La barrière de la langue et les différences culturelles l’inquiétaient. Notre fils, lui, était plutôt enthousiaste. Sa crainte, de très courte durée, était d'avoir à suivre les cours en anglais dans sa nouvelle école internationale. Mais en quelques jours à Sendai, nous avons adopté le pays et ses habitants. Certes, la barrière de la langue est bien réelle et difficilement surmontable. Cependant, la bienveillance, le dévouement et la gentillesse des Japonais nous ont toujours permis d’arriver à nous faire comprendre. Comme je le dis souvent, le plus dur n’a pas été de m’y installer, mais bien d’en repartir ! Dans le milieu académique, la langue utilisée est l’anglais, ce qui ne pose donc aucun problème pour travailler. Concernant mon fils, tout comme les enfants de Nicolas, ils ont eu la chance d’être scolarisés dans une école anglophone et sont maintenant bilingues. Une grande aide pour leur avenir ! De plus, leur jeune cerveau est un atout certain pour apprendre aussi le japonais ! Quant aux enfants de Gaël, bilingues franco-japonais, ils sont scolarisés dans une école japonaise.
Comment votre intégration professionnelle s’est-elle faite ?
Nos collègues japonais ont été très accueillants, chaleureux et ont su se rendre disponible pour nous. Ils nous ont octroyé dès le début les moyens de travailler efficacement. Œuvrant depuis des années à cette collaboration qui a vu naître notre réseau Lyon-Tohoku (ELyT Lab d'abord, puis ELyTMaX), j’avais l’habitude de collaborer avec eux, d'une manière toujours positive. L’expression « lentement mais sûrement » prend tout son sens dans la mise en œuvre de cette collaboration. Nous avons franchi les différentes étapes allant de la simple discussion informelle entre nos aînés (les Professeurs Pierre-François Gobin et Junji Tani, à la fin des années 90) à la création de notre Unité Mixte Internationale avec le soutien continu de l'ensemble de nos tutelles. Cette dernière étape est essentielle : vivre et travailler au quotidien à Sendai nous permet de tirer le meilleur profit de nos complémentarités, de nos différences culturelles et cette situation constitue un véritable terreau porteur d'idées nouvelles, de nouveaux projets. Notre laboratoire n'en est qu'à ses débuts… Et il a pour vocation à accueillir de nouveaux talents ! C’est très agréable de travailler dans ces conditions !
Et maintenant ?
Je suis revenu en France début septembre 2018 et je viens tout juste de prendre ma retraite. Heureusement, l’INSA a choisi de me nommer « professeur émérite », ce qui me permet de poursuivre mes projets pendant au moins deux ans et de continuer à participer à notre collaboration. Après l'inauguration du site français d'ELyTMaX en mars dernier, je vais faire mon possible pour accueillir le mieux possible nos amis japonais à Lyon. Tant que je peux apporter quelque chose de positif à cette aventure, je continuerai !
- Mercredi 21 novembre : inauguration de l’Institute of Fluid Science (IFS) Lyon Center. L'IFS Lyon Center sera une composante importante d’ELyTMaX ayant les moyens de faciliter l'expatriation de chercheurs et d'étudiants de Tohoku à l’INSA Lyon.
- Jeudi 22 novembre : JANET (Japan Academic NETwork in Europe).
L’INSA Lyon accueille les représentants de quarante universités japonaises autour de conférences et workshop
Additional informations

International
L’âme en Syrie, les pieds en France
Ikbal Mansour
Le cœur en Syrie
« Ce qui nous a le plus marqués, c’est la tolérance. Quand on arrive en France, on voit de la diversité, et pour moi, c’est ce qui fait la richesse d’un pays. Je pense qu’il faut tout faire pour la garder. »
Voilà ce que peut dire Ikbal Mansour, quand elle se plonge dans ses souvenirs et revit son arrivée en France, partie pour une durée indéterminée. Le 7 septembre 2013, avec son mari et ses deux dernières filles, elle quitte la Syrie, sous les sirènes et les bombardements. La guerre civile fait rage depuis deux ans dans ce pays soulevé par le printemps arabe, et il aura fallu plusieurs mois à la famille d’Ikbal pour organiser son départ.
« Nous étions les derniers français restés à Alep. Mes deux enfants aînés étaient déjà en France pour leurs études supérieures, et j’attendais une opportunité pour faire les bagages. C’est avec le département Informatique de l’INSA Lyon que notre horizon s’est ouvert » raconte Ikbal.
Maître de Conférences à la Faculté d’Informatique de l’Université d’Alep, Ikbal a dû partir sans se retourner. Directrice du Département Système et Réseau puis vice-doyenne des affaires scientifiques à la faculté d’Informatique d’Alep, elle est une femme engagée et impliquée. C’est dans ce cadre qu’elle découvre l’INSA Lyon. Grâce à la mise en place, par son collègue Mazen Said, d’un Master d’Informatique commun entre l’Université d’Alep et le Département Informatique de l’INSA Lyon.
« J’étais venue à l’INSA en 2010 dans le cadre de ce master. J’avais passé un mois à Lyon grâce à une bourse de l’Agence Universitaire de la Francophonie. A cause de la guerre, la coopération a pris fin, et cela nous a beaucoup touché parce qu’elle était une réussite » souligne Ikbal.
Les liens tissés avec l’INSA Lyon restent pourtant solides. À tel point que lorsqu’il faut songer à partir, Ikbal, qui avait gardé des contacts avec le département Informatique, décide de postuler pour un poste d’A.T.E.R., attaché temporaire d’enseignement et de recherche, proposé sur le campus villeurbannais. Elle sera recrutée.
« Il n’y a pas eu de changement brutal pour ma famille. Nous parlions tous la langue et le système éducatif était le même puisque mes enfants étaient scolarisés au Lycée Français d’Alep. Quant à moi, la France ne m’était pas inconnue. Avec mon mari, nous avions passé dix ans à Nancy, pour poursuivre chacun notre thèse, notre diplôme d’ingénieur en poche. Envisager un avenir ici, c’était tout à fait possible. »
À l’INSA Lyon, Ikbal travaillera d’abord au département Informatique, puis Génie Industriel, et ensuite Premier Cycle – FIMI (Formation Initiale aux Métiers de l’Ingénieur), en tant qu’attaché temporaire d'enseignement et de recherche (A.T.E.R.).
Aujourd’hui, elle est Ingénieure d’Études au département Informatique et fait le lien avec la DSI (Direction des Systèmes d’Information).
« Je m’occupe notamment des plateformes pédagogiques et je participe aux travaux pratiques de quelques cours comme « Bases techniques pour les réseaux » pour les étudiants de troisième année. C’est bien sûr très différent ce que je faisais à Alep mais je suis contente des bonnes relations que j’ai pu nouer avec les enseignants, les personnels et les étudiants » souligne Ikbal.
Contente aussi de l’avenir qui s’offre à ses enfants. Cinq ans après son arrivée en France, jour pour jour, Ikbal a vu son fils passer sa soutenance de fin d’études à l’INSA Lyon, étape ultime avant l’obtention de son diplôme d’ingénieur. Sa fille aînée, diplômée d’école de commerce, travaille à Londres, tandis que l’avant-dernière prépare médecine et la cadette entre en terminale scientifique.
Ikbal, qui rêvait elle-même de poursuivre ses études en France, mesure le chemin parcouru. Avec néanmoins une certaine amertume.
« C’est la huitième année de guerre. On espère toujours rentrer, que tout cesse, pour nos familles, nos proches. Nous sommes en France physiquement, et on y vit très bien, mais notre âme est là-bas… »
Mazen Said
Le regard vers la France
« J’ai résisté jusqu’au 27 août 2013. »
A cette date, Mazen part pour la France, en laissant femme et enfants à Alep, assiégée depuis deux ans. Sa famille ne pourra le rejoindre qu’un an et demi plus tard, en laissant tout derrière elle, sans savoir si elle reviendra un jour. La guerre civile déchire le pays, et brise des vies.
Celle de Mazen était bien remplie en Syrie. Bac S en poche, il passera par une classe préparatoire dans un centre de recherche francophone avant de prendre la direction de la France pour poursuivre ses études doctorales. Sa spécialité : modélisation et simulation numérique.
« Dès mon retour de thèse en Syrie, j’avais en tête l’envie d’un projet avec la France » précise Mazen, francophone jusqu’au bout des ongles.
Devenu Professeur à la Faculté de Génie Informatique de l’Université d’Alep, il a dans ses contacts celui d’André Flory, Directeur de recherche au LIRIS (Laboratoire d’informatique en image et système d’informations) et Professeur au Département Informatique de l’INSA Lyon. Et lui confie son sentiment sur la pertinence de la formation de ses étudiants.
« Autour d’un café, je lui explique que nos étudiants syriens ne sont pas assez bien préparés pour poursuivre leur parcours en France, en master 2. Je lui livre mon idée de créer un master 1 qui leur permettrait d’arriver dans de meilleures conditions, en ayant suivi au préalable des cours intensifs de français et une mise à niveau en maths et en informatique dispensée par des enseignants syro-francophones. Ils termineraient par des cours intensifs d’informatique donnés par des Professeurs de l’INSA, que nous ferions venir dans le cadre d’une convention » résume alors Mazen. Les meilleurs d’entre eux pourraient ensuite intégrer un master 2 à INSA Lyon.
Le projet sera officialisé en 2005. Le Master francophone en informatique imaginé par Mazen est créé, monté conjointement par l’Ambassade de France en Syrie, l’INSA Lyon et la Faculté de Génie Informatique de l’Université d’Alep. Il est également soutenu par le Campus numérique francophone de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) à Alep.
Mazen en est le coordinateur. En septembre 2005, vint étudiants intègrent ce nouveau master, et six d’entre eux poursuivront par un master 2 au département Informatique de l’INSA Lyon.
Cinq ans plus tard, 32 étudiants issus de ce cursus ont poursuivi par une thèse sur le sol français, d’autres sont rentrés dans la vie active.
« Malgré ce succès, le projet n’a pas été reconduit. Mais j’ai continué à pousser les étudiants à venir en France, parce que nous, les syriens, nous nous adaptons très vite au système français. La France et la Syrie ont des relations historiques fortes et anciennes, et Alep est une ville francophone. Il faut que cette relation demeure » ajoute Mazen.
Malgré la guerre.
Aujourd’hui, Mazen ne sait toujours pas de quoi demain sera fait. A son grand regret, son histoire avec l’INSA Lyon vient de s’achever.
« J’avais rencontré le successeur d’André Flory, Lionel Brunie, dans le cadre de la coopération entre l’Université d’Alep et l’INSA Lyon. Lionel m’avait proposé de travailler avec lui sur un projet européen et j’ai pu bénéficier d’un statut de chercheur invité dans son laboratoire, le LIRIS » indique Mazen.
5 ans, jour pour jour après son arrivée à Lyon, il rend les clés de son bureau sur le campus de l’INSA. Déçu de ce départ, il tient néanmoins à rester optimiste.
« C’est dans ma nature. Je me suis créé un statut d’auto-entrepreneur et je vais commencer par donner des cours dans une école privée. Je suis heureux de vivre en France, c’était mon projet de vie.