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« Les rues de la ville où l’on a grandi ont des impacts sur notre cerveau »
Vous avez un mauvais sens de l’orientation ? Certainement la faute à l’endroit où vous avez grandi selon les travaux d’Antoine Coutrot, chercheur CNRS au laboratoire LIRIS1. Dans un récent article paru dans la revue scientifique Nature2, l’équipe de scientifiques énonce une conclusion aux conséquences importantes pour le diagnostic de certaines maladies comme l’Alzheimer : la topologie des routes et rues de la ville influence la cognition humaine. Antoine Coutrot explique comment, à partir d’un jeu vidéo, son équipe et lui ont constaté que les personnes ayant grandi en dehors des villes bénéficiaient d’un meilleur sens de l’orientation. Explications.
Qu’appelle-t-on sens de l’orientation ?
Le sens de l’orientation n’est pas vraiment une capacité cognitive bien identifiée dans le sens où il fait appel à différentes capacités du cerveau comme la proprioception, la vue, l’ouïe et même l’odorat. C’est un sens qui fait partie de « la théorie de l’intelligence fluide », l’esprit logique que l’on a l’habitude de mesurer par des tests de QI, du calcul mental ou la mémorisation par exemple. Lorsque vous naviguez d’un point A à un point B, votre cerveau n’utilise pas qu’un seul réseau de neurones qui serait uniquement consacré à la navigation spatiale, mais plusieurs réseaux différents. Des expériences scientifiques précédentes avaient déjà été réalisées sur des souris et confirmaient l’hypothèse que la topologie de l’environnement dans lequel on a grandi, avait un impact sur ces mêmes réseaux neuronaux. Notre challenge a été de prouver que c’était aussi le cas chez les humains (sans les enfermer dans une cage !)
Par quel moyen avez-vous réussi à démontrer que l’endroit où l’on grandit avait une influence sur le sens de l’orientation que l’on développe à l’âge adulte ?
Les prémices du projet ont débuté en 2016, lorsque j’étais en post-doc à l’University College London. Je travaillais avec une équipe de chercheurs sur la maladie d’Alzheimer dont la perte de sens de l’orientation est un indice important pour le diagnostic. L’un des enjeux principaux de la récolte de nos données d’étude a été de s’assurer d’avoir des profils de personnes d’horizons et de démographies très différentes. Alors nous avons pensé au jeu-vidéo, pour toucher une grande diversité de profils. Plusieurs milliards de minutes de jeu de divertissement sont consommées chaque jour, alors nous pouvions bien en détourner quelques-unes à des fins utiles ! Nous avons donc repris des tests classiques de la littérature scientifique de navigation spatiale pour les rendre plus ludiques ; après plusieurs mois d’échanges avec des concepteurs de jeu, nous avons créé « Sea heroe quest ». Le jeu consiste à mémoriser sur une carte, un itinéraire exact et à le reproduire le plus fidèlement à bord d’un bateau naviguant dans un univers en 3D. Avant de lancer le jeu, nous avons corrélé cette expérience numérique à des exercices du même type « en vrai », avec un échantillon de profils plus restreints pour s’assurer que c’était bien la capacité d’orientation que nous mesurions et non pas la capacité à jouer aux jeux-vidéos. En trois ans, l’application a été téléchargée plus de 4 millions de fois et près de 400 000 joueurs ont accepté de participer à l’expérience. C’est la plus grande base de données connue jusqu’à aujourd’hui sur le sujet.
Comment avez-vous poursuivi l’analyse de ces données ?
Nous avons interrogé le sujet sous l’angle de plusieurs prismes : l’âge, le genre et la topologie des villes dans lesquelles on a grandi. Pour l’âge, les données ont démontré que la capacité d’orientation diminuait avec les années. Pour le genre, nous avons conclu que le sens de l’orientation entre les hommes et les femmes évoluaient en fonction de l’égalité des droits3 entre les deux sexes dans le pays ; par exemple, les profils de femmes que la loi n'autorisent pas à conduire ont un sens de l’orientation moins développé que celles qui conduisent. L’étude a surtout montré que les capacités d’orientation des individus sont influencées par leur origine géographique : par exemple, lorsque l’on a grandi dans une ville au maillage de rues complexe, nous avons une meilleure adaptation à s’orienter. Plus la ville de notre enfance est « quadrillée », comme les grandes villes américaines ou argentines, moins notre sens de l’orientation sera bon. Nous allons prochainement étudier l’influence du sommeil et du niveau d’éducation sur le sens de l’orientation.
Concrètement, à quels types d’applications cette découverte pourrait-elle servir ?
D’abord, elle fournit une preuve de l’effet de l’environnement sur la cognition humaine et souligne l’importance de l’aménagement urbain sur la fonction cérébrale. En prenant en compte cela, on pourrait imaginer que les urbanistes construisent des villes qui améliorent le développement cérébral ! En fait, cette base de données est une mine pour de nombreuses recherches de tout ordre ; nous avons d’ailleurs beaucoup de demandes de collaborations. Au-delà, cette recherche aura surtout des conséquences sur ce à quoi elle était destinée : améliorer le diagnostic précoce de l’Alzheimer. La perte de sens de l’orientation était un indice important pour le diagnostic de la maladie, seulement, il n’était pas assez précis car beaucoup de personnes ont un sens de l’orientation peu développé. Désormais d’un point de vue clinique, on pourra considérer différemment les patients ayant grandi dans telle ou telle ville. Les diagnostics préventifs des maladies impliquant les réseaux neuronaux utilisés pour le sens de l’orientation, comme Alzheimer ou les troubles de stress post-traumatique, en seront ainsi améliorés.
[1] Laboratoire d'informatique en image et systèmes d'information (CNRS/INSA Lyon/Université Claude BernardLyon 1/Lyon 2/École Centrale de Lyon)
[2] Coutrot, A., Manley, E., Goodroe, S.etal.Entropy of city street networks linked to future spatial navigationability.Nature604,104–110 (2022). https://doi.org/10.1038/s41586-022-04486-7
[3] Selon le « gender gap report » du World Economic Forum : https://www.weforum.org/reports/global-gender-gap-report-2021

International
Deux INSA lauréats au concours Ubisoft 2021
« Spook’n Splash » : c’est le nom du jeu développé par Sophie Raudrant et Guilhem Cerba, en 5e année du département informatique, actuellement en double-diplôme à l’Université de Québec à Chicoutimi (UQAC). À l'occasion de la 11e édition du concours universitaire Ubisoft 2021, ils ont relevé le défi de créer un jeu vidéo en 10 semaines sur la thématique « Séparé.es/Ensemble ». Grâce à une approche inclusive, leur équipe composée d'étudiants francophones, a remporté deux prix : « meilleur défi et innovation technique » et « meilleure expérience utilisateur ». Ils racontent.
Depuis quand êtes-vous à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) ? Pourquoi avoir choisi cette université ?
Guilhem : Notre mobilité a commencé en septembre 2020 mais j’ai décidé de suivre les cours en distanciel tandis que Sophie est allée sur place, à Montréal, à partir d’avril 2021. J'ai choisi l’UQAC car elle propose une formation plus spécialisée dans le jeu vidéo. Il y avait d’autres universités partenaires de l’INSA Lyon à Québec qui proposaient quelques cours mais l’UQAC était la seule à offrir un parcours dédié.
Comment avez-vous été amenés à participer à ce concours ?
Guilhem : J’ai découvert le concours grâce à Sophie qui m’en avait parlé. Sophie a pris connaissance de ce concours grâce à des anciens insaliens qui avaient suivi le double diplôme à Chicoutimi quelques années plus tôt et qui avaient eux aussi participé. Au deuxième trimestre, l’UQAC a recruté sur dossiers des étudiants internationaux, notamment choisis par rapport à leurs expériences passées. Sur les quatre cours par semaine que nous avions, l’UQAC a fait en sorte de nous libérer du temps dans une matière pour que l’on puisse préparer notre participation au concours. Notre enseignant dans cette matière était présent pour nous suivre et vérifier que tout se passait bien.
Quel est le synopsis du jeu que vous avez développé ?
Sophie : Il s’agit d’un jeu coopératif pour 2 à 4 joueurs. Les joueurs incarnent une bande d’amis qui se rendent dans une mine désaffectée pour réaliser leurs plus beaux graffitis mais qui se retrouvent séparés dans plusieurs mondes différents. Pour sortir de ce calvaire, ils doivent s'entraider afin de survivre à cette mine hantée. Mais la perception de chaque monde est différente et la communication entre les amis est primordiale.
Guilhem : Nous avons créé un jeu avec un univers très coloré, avec un style cartoon. Nous étions très loin des jeux réalistes et violents. Aussi, une des conditions du concours était que le jeu devait s’adresser à des joueurs de tous niveaux. N’importe quel type de joueur devait être en mesure de profiter du jeu.
Selon vous, comment avez-vous réussi à recevoir les honneurs « meilleurs défi et innovation techniques » et « meilleure expérience utilisateur » ?
Sophie : Concernant le prix « meilleure expérience utilisateur », notre force vient surtout des efforts que nous avons mis pour la création des menus du jeu. Nous avons passé beaucoup de temps dessus, contrairement aux autres participants qui ont centré leurs efforts sur le jeu en lui-même. De plus, nous avons créé notre jeu avec un mode adapté aux personnes atteintes de daltonisme et un mode qui permet de changer les touches pour que l’usage intégral du clavier ne soit pas nécessaire, comme sur la plupart des jeux. Le fait que notre jeu soit accessible a certainement plu à Ubisoft qui se préoccupe de plus en plus de l’accessibilité de ses jeux pour les personnes en situation de handicap.
Guilhem : C’est un concours en dix semaines, avec des conditions plutôt difficiles et nous devions nous coordonner à huit, à distance, avec des horaires décalés car certains étaient en France et d’autres à Québec. La plupart d’entre nous ne nous connaissions pas. Il a fallu apprendre à travailler ensemble, comme nous aurions eu à le faire dans une entreprise. Le concours est très intéressant pour monter en compétences. En plus des deux médailles chacun et d’une bourse d’études que nous avons reçues, nous avons pu gagner en expérience grâce aux deux mentors d’Ubisoft qui nous ont coaché pendant le concours. On se disait aussi qu’on pouvait potentiellement décrocher un stage chez Ubisoft après le concours.
Quel a été le rôle de vos mentors ?
Guilhem : Un mentor artistique et un mentor technique étaient décernés à chaque équipe. Il s’agissait pour nous de Jimmy Pereira et Anthony Duquette, employés chez Ubisoft Saguenay, la même ville que l’UQAC. Ils nous ont beaucoup épaulés. Ils ont fait tester le jeu à leurs collègues, amis et familles pour que nous puissions bénéficier d’un maximum de retours. Les mentors avaient surtout un grand rôle de conseil : il était bien clair que le jeu était le nôtre et nous appartenait.
Que retirez-vous de votre participation au concours ?
Sophie : Tout d’abord, nous nous sommes vraiment fait des amis au sein de notre équipe. Il y avait une très bonne entente dans l’équipe « Frenchy » !
Nous prévoyons de continuer l’aventure ensemble. Les droits de notre jeu nous appartiennent intégralement. Nous aimerions continuer de perfectionner le développement ensemble. Ce que nous avons créé est un bon prototype que nous pourrions un jour commercialiser. Pour cela, il nous faudrait acheter les ressources externes qui nous avaient été fournies via l’UQAC pendant le concours. Pour la commercialisation, nous passerons peut-être par des plateformes ou un éditeur spécialisé dans la vente de jeux vidéo pour en faire la publicité. Mais avant de nous poser réellement ces questions, nous souhaitons continuer à travailler techniquement sur le jeu.
Et pour la suite de votre parcours ?
Guilhem : J’ai eu la bonne nouvelle hier, j’ai décroché mon stage de fin d’études à Ubisoft Paris !
Sophie : J'ai également été retenue comme stagiaire en tant que Gameplay Programmer à Ubisoft Montréal. Je compte bien rester à Montréal après mon stage et l’obtention de mon diplôme.

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Créer des images de terrain réalistes grâce aux réseaux neurones
L'équipe GeoMod du Laboratoire d'Informatique en Images et Systèmes d'Information (LIRIS - CNRS/INSA de Lyon/Université de Lyon/École Centrale de Lyon), en collaboration avec l'université de Purdue (USA) et Ubisoft, présentera à la conférence SIGGRAPH Asia 2017 (27-30/11/2017) une nouvelle méthode interactive pour concevoir et éditer des images de terrains.
Cette méthode s'appuie sur des résultats récents d'apprentissage profond pour synthétiser des terrains réalistes à partir de croquis simples et intuitifs et peut également simuler approximativement l'érosion de terrain en quelques millisecondes quand les algorithmes classiques de simulation prennent plusieurs minutes.
Le processus de création d’image de terrain requiert le tracé de lignes et points caractéristiques (lignes de crête, rivières, marquages d’altitude…). À partir de ce tracé grossier et assez peu dense, il est normalement difficile d’inférer un terrain complet, réaliste et respectant les souhaits de l’auteur.
Pour résoudre ce problème, les chercheurs du LIRIS utilisent des méthodes d’apprentissage profond (deep learning) en apprenant la relation croquis-terrain souhaité à partir d’une base de données qu’ils ont eux-mêmes construite. Toute la difficulté consiste dans la construction de cette base de données. Pour ce faire, ils proposent d’extraire des lignes caractéristiques à partir de données cartographiques de terrains réels, en simulant les écoulements d’eau ou l’érosion des sols. Ainsi ils obtiennent un ensemble de couples croquis-terrain réel, sur lequel ils utilisent ensuite un réseau de neurone appelé conditional Generative Adversarial Network (cGAN) pour apprendre la relation entre les croquis et les terrains.
Même si l’entraînement du réseau peut nécessiter plusieurs milliers d’exemples et quelques heures de calcul, une fois cet apprentissage réalisé, la synthèse de terrain à partir d’un croquis fourni par l’utilisateur ne dure que quelques millisecondes, ce qui rend cette nouvelle méthode utilisable dans une interface interactive.
Publication : LIRIS (Eric Guérin - Julie Digne - Eric Galin - Adrien Peytavie - Christian Wolf), Department of Computer Science, Purdue University (Bedrich Benes) et Ubisoft (Benoît Martinez) . Interactive Example-Based Terrain Authoring with Conditional Generative Adversarial Networks. ACM Transactions on Graphics (Proceedings of Siggraph Asia 2017), ACM, 2017, 36, Article 228, Nov 2017, 13 pages.
L'équipe GeoMod du LIRIS développe des algorithmes et des structures de données liés à la modélisation géométrique. Les principaux thèmes de recherche abordés sont : modélisation et reconstruction de formes 3D, génération et manipulation de maillages de qualité, évolution géométrique et topologique, modélisation de scènes naturelles complexes, simulation d'écosystèmes, aspect combinatoire de la compression pour la transmission et la visualisation interactive de maillages, calcul de descripteurs analytiques, prise en compte d'une information de mouvement et gestion de masses de données. Les travaux menés dans l'équipe sont effectués sur deux plateformes : Hybrid pour la modélisation de formes complexes, et Arches pour la représentation de scènes naturelles complexes.

Pour approfondir : L'intelligence artificielle - IA - au coeur de l'enjeu "information et société numérique" de l'INSA Lyon, le numéro n°7 du Magazine #57 traite de l'intelligence artificielle.