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15 Jul
15/Jul/2024

Formation

« Nous avons créé le ‘airbnb du matériel outdoor’, pour lutter contre la surconsommation d’équipements »

« Nous, c’est Guillaume et Marie, deux jeunes ingénieurs en quête de sens », se présentent ainsi les cofondateurs de l’application « Loomi » sur une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Guillaume Demeilliers et Marie Dufau, jeunes ingénieurs INSA diplômés du département génie industriel et désormais entrepreneurs, sont derrière une application mobile prometteuse : une plateforme de location de matériel d’activité de plein air, le « airbnb du matériel outdoor ».
C’est en rentrant d’un week-end en bivouac qu’ils prennent conscience de l’impact généré par l’achat d’équipements qui allaient inévitablement passer plus de temps dans un placard, qu’utilisés en extérieur. À peine sortis d’école et après quelques mois dans le monde du travail, ils créent « Loomi ». Les deux ingénieurs se consacrent dorénavant à faire grandir leur App', disponible depuis deux semaines dans tous les magasins d’applications, avec une seule idée en tête : permettre au plus grand nombre de créer des souvenirs et du dépaysement, localement et en pleine nature.

Un retour de bivouac, un budget matériel conséquent… Comment votre aventure avec Loomi a-t-elle commencé ? 

Guillaume D : L’idée de Loomi est née en rentrant d’un week-end bivouac. Nous avons réalisé à quel point l'achat de matériel pouvait être coûteux, et la plupart du temps, il reste inutilisé au quotidien, notamment dans les grandes villes. Nous avons voulu lutter contre le phénomène de suréquipement et de surconsommation en proposant une solution de mutualisation, inspirée du modèle d'Airbnb. Notre objectif est de rendre les activités de plein air plus accessibles et de rapprocher les gens de la nature. En bref, inviter au dépaysement, tout en respectant l'environnement ! Nous avons créé une petite communauté sur les réseaux sociaux qui a rapidement pris de l'ampleur. Cela nous a permis de faire le constat suivant : il y a beaucoup de gens prêts à préférer le tourisme local pour leurs vacances, comme le voyage à vélo, mais beaucoup n’osent pas. La location peut permettre de s’y essayer, sans trop dépenser ou de pratiquer occasionnellement à moindre coût. C’est un peu l’idée derrière Loomi : permettre à tout le monde de partir à l’aventure.



«  C’est un peu l’idée derrière Loomi : permettre à tout le monde de partir à l’aventure. »
(Crédits :  Unsplash/Thanh Nguyen)


Que trouve-t-on sur Loomi et comment fonctionne l’application ? 

Marie D : Loomi est disponible depuis deux semaines sur les magasins d'applications. On y trouve des annonces pour louer des surfs, des skis, des tentes ou même des vélos. Pour l’heure, elle compte plusieurs centaines d'annonces, principalement à Paris, mais l’ambition est de diversifier très rapidement les secteurs géographiques. Le fonctionnement est simple : le propriétaire du matériel propose son annonce avec une description, des photos, son prix et le montant de la caution demandée. Ainsi, les membres de la communauté peuvent avoir accès via une liste ou une carte, à des équipements de plein air, près de chez eux. Loomi se rémunère à travers une commission sur la transaction. Nous sommes aussi actuellement en plein développement d’une offre à destination des loueurs professionnels : l’application pourrait leur permettre de gagner en visibilité et d’avoir une gestion de location plus fluide. Et enfin, nous souhaitons dédier une branche aux sports adaptés pour les personnes en situation de handicap. En effet, ce sont des sports généralement très coûteux à pratiquer, en raison du matériel très spécifique. Cela permettrait de rendre la pratique des handisports, plus accessible. 

 

L’application Loomi permet de louer du matériel outdoor auprès de particuliers et professionnels.

 

Comment décide-t-on de « tout plaquer », pour se lancer dans un tel projet ?

Guillaume D : Pour ma part, en sortant de l’INSA en 2022, j’ai travaillé dans le secteur des énergies renouvelables en tant que chef de projet ; je m’occupais de développer des centrales solaires. Bien que ce secteur soit engagé dans la transition énergétique, et plutôt aligné avec mon engagement personnel sur les questions climatiques, j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose de plus en lien ; de plus direct. En tant que chef de projet, mon quotidien s’inscrivait encore dans cet élan global de consommation, et j’avais, au contraire, en tête de contribuer à ralentir la consommation. 
Et puis j’en ai parlé à Marie, que j’avais rencontrée à l’occasion des activités associatives avec ESTIEM, l’association de notre département de formation. Depuis mes études à l’INSA, je suis quelqu’un de particulièrement engagé : j’étais impliqué dans le comité d’évolution de la formation du département génie industriel et je suis animateur des fresques du climat. Je pense d’ailleurs que mes cours et les gens rencontrés à l’école ont beaucoup joué sur mon engagement aujourd’hui. Puis l’entrepreneuriat m’a toujours tenté, et on n’est jamais plus prêts qu’aujourd’hui pour se lancer. Nous avons la chance d’être accueillis dans les locaux de mon ancienne entreprise qui a souhaité nous soutenir dans la démarche. C’est une vraie chance, car nous avons à disposition de très bonnes conditions pour monter une boîte : nous sommes chanceux et nous en profitons !  

Marie D : De mon côté, après mes études, j’ai complété ma formation d’ingénieure avec une formation en école de commerce. En alternance, j’ai pu développer des compétences en développement d’application, des compétences que j’avais par ailleurs appliquées à un projet personnel, qui consistait à créer une communauté autour de la course à pied. Et puis la question d’un métier « qui a du sens » s’est posée. J’avais aussi envie de créer quelque chose, donc lorsque Guillaume a évoqué l’idée de s’associer, je n’ai pas hésité. Monter un projet à deux n’est pas si facile, donc dès le début, nous avons mis au clair nos ambitions, car une co-construction, c'est un peu un mariage professionnel : nous avons des responsabilités mutuelles, l’un envers l’autre ! 

Quels sont vos objectifs pour l’avenir de Loomi ? 

Guillaume DM : Nous voulons continuer à agrandir notre communauté et à développer des partenariats avec des professionnels et certains « influenceurs » du milieu de l’outdoor. Nous espérons étendre notre présence à toute la France tout en promouvant un tourisme durable et respectueux de la nature. D’ailleurs, nous sommes très en lien avec l’équipe de Mollow, cofondée par Alisée Pierrot, diplômée de l’INSA également. Sa plateforme a pour objectif de développer des itinéraires de voyages alternatifs à l’avion, donc notre vision et nos activités sont très complémentaires. Nous travaillons à créer des synergies entre nos activités pour offrir au plus grand nombre la possibilité de concilier souvenirs inoubliables et respect de notre planète.

 

Loomi est disponible sur : Google Play et App Store

Plus d'informationshttps://getloomi.com/ 
 

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05 May
05/May/2022

Recherche

« L’inclusion des minorités doit être une priorité pour l’IA »

Industrie, médecine, applications de rencontres ou même justice : l’intelligence artificielle (IA) inonde divers aspects de notre vie quotidienne. Seulement, certaines erreurs plus ou moins graves, sont régulièrement relevées dans le fonctionnement de celles-ci. En cause ? Des biais de représentativités présents dans les jeux de données. 
Virginie Mathivet, ingénieure INSA du département informatique (2003) et docteure du laboratoire Liris
1, est engagée sur la question. Pour l’auteure et conférencière, un maître-mot pour que l’IA ne soit pas un outil de duplication des discriminations déjà vécues dans la vie réelle par certaines minorités : la diversité. Récemment nommée experte IA de l’année 2022, Virginie a partagé son savoir à la communauté dans le cadre de « la semaine des arts et des sciences queer » organisée par l’association étudiante Exit+. Elle alerte sur l’extrême nécessité de porter une attention particulière à l'inclusion dans l’intelligence artificielle. Interview.

On connaît l’importance de la diversité pour faire une société plus égalitaire ; pourquoi est-elle aussi importante dans les jeux de données utilisées par les IA ? 
Les intelligences artificielles sont des machines apprenantes : grâce à des bases de données, que l’on appelle des « datasets », des modèles sont fabriqués par des développeurs dans un but précis, par exemple pour détecter des défauts sur les chaînes de fabrication industrielles et pour lesquelles ils donnent de très bons résultats. Cependant, ces dernières années on a vu exploser les applications entraînant des prises de décisions sur les humains : l’accès à un crédit, le recrutement, des décisions de justice… On a aussi vu que ces IA étaient capables d’erreurs systématiques. On se souvient du logiciel de recrutement discriminant d’Amazon dont l’objectif était de faire économiser du temps aux ressources humaines en étudiant les candidatures les mieux notées par la machine. Il s’est avéré que l’algorithme sous-notait les profils féminins fréquemment car les jeux de données utilisés pour modéliser le logiciel s’appuyaient sur les CV reçus les dix dernières années, dont la plupart étaient des candidatures masculines. C’est ce que l’on appelle « un biais » : la machine ne fait jamais d’erreur aléatoire ; elle répète les biais -conscients ou inconscients- que les expérimentateurs ont commis en choisissant les données. Sans diversité, qu’elle soit de genre, culturelle, de génération, l’IA restera une extension des inégalités vécues dans la vie réelle.

Avez-vous d’autres illustrations de ce risque que représente le manque de diversité dans les jeux de données ? 
Un exemple assez parlant est celui du système de reconnaissance faciale utilisée par les iPhones. La première version de FaceID n’était pas capable de reconnaître les propriétaires asiatiques car le dataset initial ne comptait pas assez de visages de ce type et l’algorithme n’avait tout simplement pas appris à les reconnaître ! Mais il existe des exemples aux conséquences beaucoup plus graves comme les systèmes de détection automatique des cancers de la peau : l’intelligence artificielle est tout à fait capable de reconnaître des mélanomes sur les peaux blanches, beaucoup moins sur les peaux foncées. Cela occasionne des problèmes d’accès aux soins considérables, en omettant une partie de la population. Pour aller plus loin encore dans l’illustration, de nombreuses applications ne considèrent pas les minorités sexuelles : aujourd’hui, on considère que l’on est soit un homme, soit une femme. Qu’en est-il pour les personnes transgenres, intersexes ou même non-binaires ? C’est le vide intersidéral, notamment lorsqu’il s’agit de traitements médicaux grâce aux IA.

Comment ces biais sont-ils remarqués ou relevés ? Ne peuvent-ils pas être détectés plus en amont ?
Aujourd’hui, les erreurs systématiques sont relevées car certaines personnes en sont victimes et dénoncent les manquements. Souvent, on a la très forte impression d’attendre des conséquences potentiellement graves pour analyser le dataset et tester le modèle. C’est ce qu’il s’est passé avec une voiture autonome d’Uber à Tempe (Arizona) qui a tué un piéton. La raison de l’accident s’est révélée après l’enquête : le dataset n’avait pas permis à l’IA d’apprendre à reconnaître les piétons hors des passages cloutés. La victime, qui marchait à côté de son vélo, a été percutée par la voiture qui arrivait trop vite malgré l’identification tardive de la personne comme un piéton. Il faut croire que les questions financières et les retours sur investissements sont plus importants pour ces entreprises que les dégâts que ces IA peuvent causer, par manquement ou négligence.

Existe-t-il une façon pour les expérimentateurs de se prémunir contre ces biais ?
Il existe une seule solution : diversifier les jeux de données au maximum. Est-ce que toutes les populations sont bien représentées par rapport à la réalité ? C’est la question qu’il faudrait se poser à chaque apprentissage, mais il faut penser à toutes les situations donc c’est extrêmement difficile. Si l’équipe chargée d’implémenter l’IA est composée de personnes venant de tous horizons, on peut arriver à limiter les biais. Chacun arrivant avec sa vision des choses, son quotidien et les situations quotidiennement vécues : celui ou celle dont la mère se déplace avec un déambulateur pensera à telle situation ; ou dont le mari est en fauteuil roulant à d’autres ; ceux avec des enfants penseront autrement, etc. Ça n’est pas tant que les modèles conçus contiennent des biais volontaires, mais il y a forcément des minorités auxquelles on pense moins car nous n’en avons pas de représentations dans nos vies quotidiennes. Autre piste, pour éviter que la technologie ne divise encore plus et ne cause plus de dégâts, un brouillon de loi européenne est actuellement en cours de validation. L’Artificial Intelligence Act doit être voté en 2022 pour une application en 2023.

Quelles seront les grandes lignes de ce règlement ? 
Cette loi décompose l’utilisation de l’intelligence artificielle selon trois catégories : les « applications interdites » ; les « applications à haut-risque » ; et les « applications à faible risque ». Pour les « applications à haut risque », comme celles utilisées pour l’autorisation de crédit bancaire ou la justice, elles seront soumises à un certificat de conformité CE avant la vente et l’utilisation du modèle. Ces types d’IA seront certainement les plus surveillées car ce sont les plus propices à reproduire des biais discriminants. Cette législation permettra un premier pas vers l’inclusion, je l’espère, en Europe. 

 


La conférence « Jeux de données - biais et impacts sur les femmes dans un monde numérisé » a eu lieu le mercredi 4 mai,
dans le cadre de la semaine des arts et des sciences Queer organisée par l’association étudiante exit+.


[1] Laboratoire Informatique en Images et Systèmes d’Informations

 

Pour aller plus loin sur le sujet : 
Podcasts « Les cœurs audacieux » - Saison 2 / Épisode 6 - 19 mai 2022
 

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22 Jun
22/Jun/2021

Recherche

NOMAd : la combinaison gagnante pour une mobilité adaptée

Tout est parti d’un constat : la mauvaise logistique du transport collectif des personnes en situation de handicap entraîne stress, fatigue et absence de vie sociale pour les usagers qui peuvent parfois rester jusqu’à trois heures par jour dans les transports. Développé par le laboratoire Décision et Information pour les Systèmes de Production1, le projet NOMAd2, pour « numérique et optimisation pour une mobilité adaptée » offre une réponse à la gestion du transport jusqu’alors réalisée intra-établissements de santé, sans gestion mutualisée. Avec NOMAd, le calvaire de la mobilité adaptée n’est peut-être plus qu’un mauvais souvenir pour les usagers. Explications.

Un véhicule, plusieurs acteurs
On pensait que les applications de livraison à vélos et autres solutions dernier cri avaient révolutionné le secteur de la mobilité et pourtant, avant que les chercheurs de l’équipe du DISP ne s’emparent de la question, aucun outil ne permettait de répondre au casse-tête de la mobilité collective pour les usagers handicapés. Organisateurs du transport, chauffeurs et usagers : comment mettre tout le monde d’accord ? 
C’est ainsi qu’a été créé « NOMAd », un projet d’utilité publique, né d’une histoire personnelle. « Un proche du laboratoire expérimentait la problématique avec son enfant qui passait des heures et des heures dans les transports pour transiter entre son domicile et le centre médico-social dans lequel il se rendait quotidiennement. Le but était donc d'organiser un ramassage scolaire optimisé à plusieurs niveaux », explique Thibaud Monteiro, professeur des universités au département génie industriel et chef du projet NOMAd au sein du laboratoire DISP.

Au cœur des calculs combinatoires
Entre les murs du laboratoire DISP, pas de paillasses ni de tubes à essai. Ici, l’expérimentation est mathématique. Entre calculs combinatoires, métaheuristique et informatique, le projet NOMAd a constitué un véritable challenge scientifique. « Lorsque vous demandez à un ordinateur de calculer avec une ou deux variables, c’est facile. Mais lorsqu’il faut prendre en compte des variables comme le type de handicap, le taux d’incapacité des usagers, les points de départ et d’arrivée, les horaires différents pour chacun ou encore la contrainte de parking des véhicules, la tâche est plus complexe. Notre savoir-faire, c’est de tracer une route dans cette jungle de données pour converger vers la solution optimale », annonce Thibaud Monteiro.
Accompagnée par quatre partenaires
3 sensibles à la question, l’équipe de chercheurs a ainsi développé un outil informatique aidant à l’organisation du transport. Sans cet algorithme, les calculs pouvaient prendre des semaines. Aujourd’hui, ils prennent quelques secondes. « La réactivité du calculateur s’est avérée très utile pendant la pandémie, permettant de reconfigurer les tournées. Grâce à lui, nous avons su générer de nouveaux plans de transports adaptés aux conditions sanitaires qui obligeaient les véhicules à rouler à moitié de leur capacité. Pour arriver à cela, nous avons opté pour une approche que nous appelons dans le jargon, le DARP – dial for a ride problem. Concrètement, c’est un service à la demande partagé. C’est une façon de traiter l’information comme le font beaucoup d’entreprises de transport, comme les livreurs de colis par exemple. Sauf qu’ici, le point d’arrivée n’est pas une boîte aux lettres. Il a fallu composer l’équation avec des critères humains », ajoute le chercheur. 


Copyright : Nomad-opt

Les mathématiques appliquées rencontrent l’ingénierie des systèmes de santé
Si le gain de bien-être pour les usagers et les acteurs du transport adapté semble évident, la solution souhaitait aussi participer à résoudre deux problématiques intempestives : l’impact carbone des deux cents véhicules qui sillonnaient quotidiennement la métropole lyonnaise et les dépenses publiques qui s’élevaient, au niveau de la France, à 500 millions d’euros par an. « En une année, NOMAd peut permettre d’économiser 123 tonnes de CO2 sur Lyon et peut permettre de réduire les coûts de transports jusqu’à 37 % », lance l’enseignant.
Depuis mars 2020, NOMAD a poussé les murs du DISP : l’outil continue d'être développé par deux anciens ingénieurs INSA, Geovanny Osorio Montoya et Oscar Tellez Sanchez qui ont fondé Nomad-opt. Née du travail de recherche à laquelle ils ont participé en tant que doctorants, l’entreprise permet d’adapter le transport aux besoins de chaque passager grâce à un système de notifications en temps réel qui réduit le temps d’attente. Sur le site internet de leur entreprise, les deux ingénieurs-docteurs affichent clairement leur philosophie : « rendre les algorithmes plus humains,pour les mettre au service des personnes ».

1 Décision et Information pour les Systèmes de Production (INSA Lyon/ Lyon 2, Lyon 1, UdL).
2 Le projet NOMAd a bénéficié d’un Fonds Européen de Développement Économique Régional (FEDER).
3 La Région Rhône-Alpes Auvergne, Ressourcial (Groupement Social de Moyens), GIHP Service Adapté (société anonyme à capital associatif) et le Laboratoire IRCCyN de l’école des Mines de Nantes ont participé au projet NOMAd.

 

Pour aller plus loin sur le sujet : 
Podcasts « Les cœurs audacieux » -  Saison 1 / Épisode 3 - 12 mai 2021
 

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16 Feb
16/Feb/2021

Vie de campus

« Je voulais lui permettre de s’exprimer pleinement »

Comment favoriser la communication avec une personne qui ne sait ni parler, ni écrire ? La réponse est donnée par Alexandros Sidiras Galante, étudiant en 5e année du département télécommunications, services et usages de l'INSA Lyon et créateur de l’application « PicTalk », qui permet aux personnes non-verbales de communiquer avec leur entourage grâce à un simple smartphone. La solution de communication alternative qu’il a imaginé en mettant en oeuvre ses compétences de futur ingénieur a largement séduit le jury des Coups de Pouce Passion de la Fondation INSA Lyon. 

Pictalk

Comment est née l’application PicTalk et à quoi sert-elle ?
C’est une application dont le but est de faciliter la vie des personnes qui ne peuvent pas communiquer par la parole. Elle permet de verbaliser une intention, à travers des pictogrammes. 
Mon petit frère, porteur de la trisomie 21, ne sait ni parler, ni écrire. Il a développé d’autres manières de communiquer, avec par exemple, sa propre variante de la langue des signes. S’il ne connait pas le langage commun, il dispose d’une incroyable mémoire visuelle qui lui permet de reconnaître les pictogrammes et leurs significations associées. C’est d’ailleurs sur ce principe qu’un logiciel qu’il utilisait quotidiennement était conçu, mais malheureusement, cet outil est cher et ne fonctionne que sur tablette, ce qui n’est pas vraiment facile à transporter dans la rue. Même si cette solution nous a permis d’entamer une communication, je voulais lui permettre de s’exprimer pleinement, c’est pourquoi j’ai souhaité développer une application. La toute première version de PicTalk a été initiée à l’INSA Lyon, en cours de développement web. Avec trois camarades de classe, nous avions réussi bon an mal an, avec nos connaissances, à créer une application. Puis le confinement m’a permis de façonner une solution plus efficiente : PicTalk est en ligne depuis septembre 2020, et ne cesse d’être améliorée par l’usage quotidien qu’en fait Pablo, mon petit frère.


Concrètement, comment fonctionne l’application ? 
Je voulais qu’elle soit un outil complètement personnalisable, comme peut l’être le langage des personnes non-verbales, et qu’elle soit le plus accessible possible. Elle permet à chacun d’uploader ses propres pictogrammes, que l’utilisateur aura lui-même choisi. Concrètement, l’application fonctionne en arborescence : l’interface propose la première intention traduite en dessins comme « je veux », « j’ai mal » ou « je pense », et le reste de la phrase est proposée. La phrase « je veux des frites » sera par exemple représentée par deux images différentes : une main puis une barquette de frites. Une fois la phrase de pictogrammes construite, l’assistant vocal lit l’intention. PicTalk permet aussi de copier-coller la phrase générée pour échanger par messages. Grâce à quelques bibliothèques de pictogrammes uploadées par l’accompagnant de vie ou l’éducateur, l’utilisateur peut dialoguer grâce à n’importe quel appareil électronique. D’ailleurs, l’application n’a pas besoin d’internet pour fonctionner, ce qui la rend encore plus accessible.

I want some french fries

Quelle évolution souhaitez-vous à votre projet ?
L’application est disponible sur toutes les plateformes de téléchargement, mais il y a encore peu d’utilisateurs. Pour l’instant, je suis encore en phase de test et je fais en sorte de travailler sur tous les bugs pour pouvoir l’améliorer. J'échange beaucoup avec ma mère sur l’expérience utilisateur, car c’est elle qui configure les paramètres du téléphone de mon petit frère. C’est un vrai plus de pouvoir développer l’application à travers l’utilisation de Pablo, et d’ailleurs, nous pourrons bientôt former ses éducateurs pour qu’il puisse l’utiliser à l’école. La dotation que je viens de recevoir de la part de la Fondation INSA Lyon permettra à l’application d’être pérennisée et de stocker autant de pictogrammes sur les serveurs dont les utilisateurs auront besoin, car l’application est gratuite et je souhaite qu’elle le reste. Les dialogues avec mon petit frère permis par l’application sont, pour moi, sources d’une grande motivation à poursuivre le développement. Il y a encore certains points techniques à finaliser, mais j’ai bon espoir que PicTalk puisse permettre à d’autres utilisateurs non-verbaux d’interagir aussi justement qu’ils le souhaitent avec leurs environnements. 

 

PicTalk
PicTalk est une application qui, par l'utilisation de pictogrammes, vise à faciliter la parole des personnes non-verbales. Grâce à l’importation de pictogrammes, elle est utilisable sur toutes les plateformes et appareils électroniques. 
Plus d’informations sur PicTalk.

 

Fondation INSA LyonCoup de pouce passion
À travers les coups de pouce passions, la Fondation INSA Lyon souhaite encourager le développement du modèle INSA en apportant une aide financière, un coup de pouce spécifique aux élèves-ingénieurs qui cultivent une passion, un talent individuel affirmé, reconnu ou en devenir, qu’ils exercent au sein d’une des structures pédagogiques ou associatives de l’école. 
Plus d’informations sur les coups de pouce passions de la Fondation INSA Lyon.

 

 

 

Additional informations

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08 Jul
08/Jul/2020

INSA Lyon

Crise sanitaire : des étudiants INSA créent un outil pour faciliter la gestion des dépouilles

Sept étudiants de 3e année du département Télécommunications de l’INSA Lyon, Alexandre Onfray, Hamza Badaoui, Théo Le Magueresse, Gaëtan Roussel, Chenyang Zeng, Lise Jacquot et Adèle Prouvost, ont créé en réponse à un appel d’offre lancé par le Comité International de la Croix-Rouge, une application d’aide à la gestion des dépouilles mortelles. Pendant le confinement, ils ont mis leur énergie à créer un outil à vocation humanitaire, en découvrant une face du monde qu’ils n’auraient pas nécessairement soupçonnée, confinés chacun dans leurs appartements étudiants. Récit.

La situation sanitaire à l’international : des pays à genoux

Si la crise liée au Covid-19 a ébranlé le monde entier, elle a aussi été révélatrice des disparités sanitaires entre les pays : pénuries de protections individuelles, manque de lits dans les hôpitaux, et pour certains pays, incapacité pour les services locaux de prendre en charge la gestion du nombre grandissant de dépouilles mortelles. C’est l’un des aspects les plus complexes dans les cas de grandes catastrophes comme l’explique Jose Pablo Baraybar, coordinateur forensique transrégional du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), basé à Paris.
« C’est une réalité qui nous échappe en Europe, mais dans certains pays, les systèmes de santé se sont effondrés sous le nombre de victimes du Covid-19, engendrant des situations dramatiques. Ça a été par exemple le cas en Équateur, où les corps pouvaient rester dans les rues plusieurs jours car les services funéraires étaient débordés. »

Face à cette assommante réalité, le risque d’absence d’inhumation individuelle est grand. Si les traités internationaux sur les droits de l’homme contiennent des dispositions visant à assurer une prise en charge des corps dans le respect de la dignité des morts, force est de constater que la problématique d’enregistrement d’identité est une réalité de terrain toute autre. Lorsque les dépouilles sont ensevelies sous une identité codée qui n’est pas relié à la véritable identité de la personne décédée, cela complique une future identification, laissant les familles de victimes portées disparues dans une attente insupportable. « Parfois, les corps retrouvés ne peuvent pas être identifiés immédiatement, et si la victime ne porte pas de papier d’identité, les autorités n’ont ni les moyens humains, ni financiers, d’enquêter pour retrouver la famille. Lors de la récupération du corps, la mise en œuvre de mesures rapides peut accroître nos chances d’identifier les corps, avant que l’état de décomposition ne soit trop avancé. Je suis persuadé que le numérique offre une solution appropriée et efficace pour le travail de traçabilité qu’effectuent les autorités locales chargées de la prise en charge des dépouilles, et c’est ce que nous avons développé avec les étudiants de l’INSA Lyon », ajoute Jose Pablo. 

De l’identité alphanumérique 

Aujourd’hui, la procédure administrative de reconnaissance est souvent longue et pas toujours efficace. Dans une course contre le temps, des informations essentielles peuvent se perdre, effaçant par exemple les correspondances entre les lieux de décès et les lieux d’inhumation. C’est face à ce constat que les sept étudiants de troisième année du département Télécommunications, services et usages de l'INSA Lyon, ont développé une solution numérique dans le cadre d’un cours d’informatique. « Le principe de notre application est simple : dès la récupération de la dépouille, le fossoyeur prend le corps en photo, en associant le fichier avec une géolocalisation. L’application génère un « tag », une identité alphanumérique qui suivra le défunt jusqu’à son sac mortuaire, puis sera inscrite dans un grand registre. Parallèlement, une seconde application permet d’avoir accès au registre des victimes enregistrées pour permettre aux familles de retrouver le lieu d’inhumation, pour vivre leur deuil dignement », explique Adèle Prouvost, membre de l’équipe étudiante. 

L’appel d’offre du CICR était parvenu aux étudiants quelques semaines avant le confinement français, les travaux avaient été initialement pensés pour les migrants décédés en Méditerranée. « Les problématiques de gestion des dépouilles ne datent malheureusement pas de la crise du Covid-19. Notre attente première derrière cette application était de permettre aux sauveteurs des ONG de disposer d’outils efficaces et faciles à utiliser. Lorsqu’une équipe de recherches et sauvetages secoure des victimes en pleine mer, les bateaux, conçus pour le sauvetage, ne sont pas équipés pour conserver les corps jusqu’à leur arrivée dans des infrastructures de conservation spécialisées. La prise de photo permet l’identification de la victime a posteriori. Lorsque le Covid-19 s’est répandu, nous avons adapté nos besoins. Aujourd’hui, l’application développée par les étudiants est un outil totalement adaptable à toutes les crises, sans être spécialement spécifique au Covid », explique Jose Pablo.

Maître de conférences du département TC et coordinateur des travaux étudiants, Pierre François a guidé et encadré ses élèves au plus près de leurs intentions, et avec la plus grande bienveillance. « Je l’ai vécu comme un projet tel que ceux que je réalise avec mes collaborateurs industriels, c’est-à-dire, avec le souci du résultat et simplicité. J’ai laissé les développeurs prendre leurs décisions, tout en veillant au bien-être de mes étudiants. On voulait rendre le produit final le meilleur possible, et dans un délai imparti très court. C’était parfois très dur de dire non à certaines demandes d’améliorations techniques de la part de notre commanditaire face à un sujet aux enjeux si importants et sensibles. Ça n’a pas été pour moi qu’un simple travail d’enseignant. Je savais que je prenais un risque en affectant un projet pareil à un groupe de 3e année, mais ils m’ont surpris tout au long du parcours, tant sur la qualité de leur travail que leur esprit de corps », constate Pierre François.

Une formation humaniste qui prend tout son sens
Disponible en trois langues, anglais, français et espagnol, l’application des étudiants insaliens est à présent en phase de test auprès des autorités grecques et péruviennes. De leurs côtés, les sept étudiants se remettent doucement de cet exercice périlleux, mais ô combien honorable. Alors confinés pendant le développement de l’outil, leurs journées ont naturellement été éprouvantes. Au sein de l’équipe, Alexandre Onfray, étudiant en 3e année, se souvient encore de l’ardeur avec laquelle ses camarades et lui se sont consacrés à l’aboutissement ce projet ambitieux. « Au cours de mes études, j’ai pris part à de nombreux projets de groupe, mais je n’avais jamais vu une telle énergie. La cohésion et l’implication de chacun des membres de l’équipe a été inédite. Je réalise que c’était une vraie chance d'avoir pu participer à ce projet », explique-t-il. 

Une énergie créatrice naturellement présente chez des jeunes adultes, mais exacerbée par l’ampleur du sujet selon Adèle Prouvost : « Le confinement était propice à la réflexion et au travail, mais aussi à l’isolement. Nous étions chacun dans nos appartements, loin les uns des autres, dans un climat social anxiogène. Pendant que nous codions, les médias comptaient les nombres de morts. Nous, nous avions pour source d’information supplémentaire la réalité du terrain. Nous voulions être utiles, je crois que nous l’avons été. La communication quotidienne au sein de l’équipe a été primordiale pour se protéger psychologiquement. Notre enseignant, Pierre François, nous a beaucoup aidés sur ces aspects car ce travail nous a tous ramenés à une réalité qui semblait si lointaine, et qui est devenue si proche à travers ce projet. En un sens, nous avons ouvert les yeux sur la situation mondiale : à ce moment là, il y avait des gens dans le besoin, dehors. C’est comme ça que je conçois mon métier de future ingénieure, au plus près de l’humain », raconte-t-elle. 

Pour Jose Pablo Baraybar du CICR, le choix de confier ces travaux aux élèves-ingénieurs de l’INSA Lyon était aussi l’opportunité pour lui de prendre connaissance de la réalité d’un terrain qui n’est pas le sien. « C’était une bonne façon de me rendre compte si les étudiants étaient interpelés par des sujets qui me sont quotidiens, et je n’ai pas été déçu. Le contact avec la mort, et plus précisément les dépouilles, n’est pas quelque chose de commun. En Europe, nous ne faisons pas face à la mort en sortant de chez nous. Mais c’est le cas pour quelques millions de personnes, partout dans le monde. Ce genre de sujet peut, je pense, aider à avoir une vision différente de la vie. En collaborant avec ces étudiants, j’ai senti un niveau de créativité et de maturité très élevé. L’INSA développe une formation à vocation humaniste, et j’imagine le potentiel de tous ces cerveaux à développer pour l’humain, ça me rend très optimiste ! L’idée n’est pas si folle ni trop abstraite : ils sont le bon exemple pour construire un futur meilleur », conclut le coordinateur forensique du CICR.

 

Ce dispositif s'inscrit dans le cadre d'une collaboration entre le Comité International de la Croix-Rouge et la Fondation INSA. Durant la période de crise sanitaire, le Groupe INSA et sa Fondation se sont mobilisés pour financer des stages, des recherches et études d’experts INSA au profit d'organisations humanitaires. Ces alliances permettent de mobiliser l’expertise scientifique du Groupe INSA et de ses élèves-ingénieurs au service de causes et d’enjeux sociétaux portés par des ONG, tel que le CICR mais aussi Handicap International ou We Tech Care.
En savoir plus https://www.groupe-insa.fr/mobilisation-groupe-insa-stages-etudiants

 

 

 

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11 Jun
11/Jun/2020

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L’app StopCovid : guérir le mal par la tech ?

« Le déconfinement n’a pas changé grand-chose à mon quotidien. J’ai toujours peur de sortir, de côtoyer le virus et de le transmettre à mes proches », confie Martine, personnel administratif à l’INSA Lyon. Depuis l’annonce de la reprise progressive de la vie économique, bon nombre de citoyens comme Martine craignent de s’aventurer dans les lieux publics, songeant aux risques de contracter le Covid-19 sans le savoir. « J’ai entendu parler de cette application, StopCovid, qui nous permettrait de tracer nos contacts et prévenir si nous avons été à proximité d’une personne qui par la suite a été testé positive. Mais je ne comprends pas tous les tenants et les aboutissants de cet outil. En plus, on nous a fait peur avec le traitement de nos données échangées pendant nos réunions en visio avec des outils collaboratifs comme Zoom, durant le confinement. Alors une application qui manipule des données de contact, je suis méfiante », ajoute-t-elle, septique quant à l’utilisation future de cette application.

Casser les chaînes de transmissions du Covid-19, pas les libertés

Il y a peu, le gouvernement français détaillait les modalités de la deuxième phase du déconfinement. Réouverture des bars et restaurants, de certaines frontières et retour des lycéens dans leurs établissements… Autant de situations génératrices de contacts physiques avec nos semblables où il nous faut rester prudents, respectant gestes barrières et port du masque. Autre point soulevé par Édouard Philippe lors de l’annonce détaillant la deuxième phase du déconfinement du pays, le lancement d’une application de contact tracing capable de mémoriser les contacts physiques prolongés des utilisateurs.

Patients symptomatiques ou transmission silencieuse, le modèle de propagation du coronavirus SARS-CoV-2 n’est pas encore totalement compris par les épidémiologistes. Cependant une certitude subsiste : la probabilité d’infecter d’autres personnes est plus élevée aux premiers stades de la maladie. Pour prévenir rapidement les personnes d’un risque d’infection et couvrir les situations de transmissions particulières comme les trajets en transports en commun, l’application StopCovid propose d’informer son utilisateur d’une exposition à risque au Covid-19, grâce aux signaux Bluetooth émis par son téléphone portable. « En fait, le principe de l’application est le même qu’une enquête sanitaire manuelle. Le contact tracing est connu des médecins et permet de retrouver les chaînes de propagation d’une épidémie. Ici, l’outil numérique complète les enquêtes sanitaires existantes en conservant une trace des contacts prolongés que l’utilisateur pourraient oublier ou ne pas connaître, cas typiquement rencontré dans les transports en commun. En cas d’infection avérée, les individus qui ont été en contact avec la personne infectée seront notifiées d’une exposition à risque, et pourront ainsi réagir pour ne pas devenir un facteur de propagation », explique Antoine Boutet, enseignant-chercheur du département Informatique de l’INSA Lyon et membre de l’équipe PRIVATICS1 qui a participé à la conception de cette application.

StopCovid n’était pas encore disponible sur les plateformes d’applications qu’elle faisait déjà parler d’elle. Souvent mal comprise, elle pourrait pourtant s’avérer utile à un déconfinement efficace évitant de nouvelles contaminations et l’éventualité d’une nouvelle phase de confinement. « De nombreuses applications de type contact tracing ont rapidement émergé au début de l’épidémie, mais malheureusement, toutes ne sont pas respectueuses de la vie privée de leurs utilisateurs. L’équipe PRIVATICS a rapidement voulu se rendre utile dans le combat contre le Covid-19 : nous avons ainsi développé le protocole ROBERTqui décrit comment l’application devrait fonctionner afin de prévenir des fuites d’informations personnelles », annonce Antoine Boutet.

Bluetooth VS géolocalisation

Des concepts de traçage numériques étudiés partout dans le monde, mais des modalités de suivi qui diffèrent selon les pays, oscillant entre urgence sanitaire et liberté individuelle. Parmi ces outils, deux tendances se dessinent : la géolocalisation, technologie de « tracking » s’appuyant sur un système GPS qui permet de déterminer la localisation d’une personne avec une certaine précision. Et le Bluetooth, technologie de « tracing » majoritairement utilisée dans le cas du traçage numérique, correspondant au besoin actuel de capter une proximité physique entre individus. « Pour expliquer le fonctionnement de l’application, prenons l’exemple d’Alice, qui décide d’installer StopCovid et d’activer la fonction Bluetooth de son smartphone. Lors de l’installation, aucune authentification n’est nécessaire. L’application générera des pseudonymes aléatoires, utilisés les uns après les autres pendant une période limitée. Lors d’un trajet dans les transports en commun par exemple, le téléphone d’Alice détectera via le Bluetooth, les pseudonymes associés aux appareils mobiles voisins à moins d’un mètre du sien, croisés pendant au moins quinze minutes. Si plus tard Alice ressentait les symptômes du Covid-19 et était testée positive, elle donnerait l’autorisation de partager anonymement les pseudonymes détectés pendant sa phase de contagion avec l’autorité sanitaire, qui informerait à son tour les appareils ayant croisé la route d’Alice. Les utilisateurs notifiés recevraient également des consignes à suivre, afin de bien réagir face à la situation », poursuit l’enseignant-chercheur spécialiste des questions de conception et développement d’outils d’amélioration de confidentialité numérique au sein du laboratoire Citi.

Du « tracing » au « tracking », n’y-a-t-il qu’une lettre ?

Conçue pour améliorer le dépistage des dangers de contaminations dans les lieux publics, l’application permettrait de gagner 24 à 48 heures sur le travail des brigades sanitaires comme l’affirme Cédric O, secrétaire d’État au numérique. Mais à quel prix ? Parmi les craintes évoquées par Martine à l’utilisation d’une telle application mobile, celle de la protection de ses données personnelles récoltées lors de l’utilisation du Bluetooth. « Comment puis-je être assurée que mes données, d’ordre médical et donc sensibles, soient protégées ? Qui aura la main dessus et jusqu’à quand ? », se questionne-t-elle.
 
La CNIL, Commission Nationale Informatique & Libertés, a constaté dans son dernier avis du 25 mai que « l’application StopCovid ne conduira pas à créer une liste des personnes contaminées mais simplement une liste de contacts entre pseudonymes, respectant ainsi le concept de protection des données dès la conception. »
Pour l’enseignant-chercheur du département Informatique, il est naturel d’avoir une appréhension à l’égard d’un outil numérique de cette ampleur. « Dès le départ, il était bien évident que l’application ne devait pas représenter un danger pour nos libertés, surtout pour une application de cette nature. L’architecture du système est pensée de telle manière que personne, pas même l’État, n’ait accès à la liste des pseudonymes des personnes contaminées, ni au graphe des interactions entre utilisateurs. Les données utilisées par l’application sont effacées quatorze jours après leur création et ne comportent ni le nom, ni l’adresse, ni le numéro de téléphone de l’utilisateur », rassure Antoine Boutet.

Début juin 2020 et à travers tout le pays, l’application StopCovid est donc déployée, basée sur cinq principes fondamentaux garantis par le Gouvernement : le volontariat, le respect de la vie privée, l’anonymat, la transparence et l’éphémérité de vie de l’outil. « Heureusement qu’il existe des gardes fous comme la CNIL ou le Comité Consultatif National d’Éthique qui encadrent ce qui est possible de faire », déclare le scientifique. « L’application a été développée en lien avec des épidémiologistes pour s’assurer de fournir un outil viable et efficace, son développement a été encadré par l’ANSSI3 et son code source est accessible pour plus de transparence quant à son comportement. Une fois l'analyse des risques de l'application établie, la balance entre les enjeux médicaux et sociaux mais aussi légaux et moraux pour décider d'une mise en place ou non de l’application, n'était plus de l'ordre scientifique mais de la responsabilité des politiques », poursuit-il.


Un fichier santé « plus protégé que l’assurance maladie »

Comment parler de données personnelles de millions de citoyens sans que les GAFAM ne pointent le bout de leur nez ? Si Apple et Google avaient proposé aux gouvernements une solution clé en main, le pays des Gaulois a rapidement décliné. En cause ? La souveraineté numérique et la nature d’une mission de service publique relevant de l’État et non d’acteurs privés internationaux. « En entretenant une vision d'états big brother, ces entreprises se placent en tant que bienfaiteurs et essaient de faire oublier au passage leurs pratiques opaques quant à la manipulation des données personnelles et leur vision très singulière de la vie privée », se désole Antoine. « L’équipe PRIVATICS a proposé une solution calculant le risque d’exposition de manière centralisée, c’est à dire effectué sur un serveur qui détient les informations liées à l’application. Cette centralisation permet également aux épidémiologistes de mieux calibrer le fonctionnement de l’application en fonction de son utilisation. À l’inverse, Apple et Google ont adopté un calcul de risque d’exposition décentralisé, c’est-à-dire effectué sur le téléphone des utilisateurs. Bien qu’attractif, cette solution nécessite d’envoyer les pseudonymes des personnes infectées à tous les téléphones, laissant une opportunité aux utilisateurs mal intentionnés d’exploiter ces informations » ajoute-t-il.

De son côté, le gouvernement s’est voulu rassurant quant à la question de la centralisation des données : « Ce fichier de santé sera le plus sécurisé de la République française. Davantage que les bases de données des hôpitaux et de l’Assurance maladie. Avec à l’intérieur, des données d’un intérêt limité. À savoir une liste de personnes ayant été en contact avec un malade », a déclaré Cédric O.

Une appli contre une maladie : efficace ou pas ?

Si les débats à propos de la protection de données personnelles ont fait couler beaucoup d’encre, les doutes sur la fiabilité technique de la méthode utilisée n’ont pas été épargnés : précision de la technologie Bluetooth, physiologie des personnes, position du téléphone portable, état de la batterie du téléphone, modèle de transmission du virus… Autant de paramètres qui nuiraient à la fiabilité des résultats fournis par StopCovid. Arguments que l’équipe PRIVATICS entend : « La technologie Bluetooth n'a pas été conçue pour mesurer des distances. Son calcul peut parfois être faussé en fonction de l’environnement. De plus, le Bluetooth peut détecter une proximité entre deux personnes se trouvant de part et d’autre d’une vitre ou d’un mur en Placoplatre par exemple. Après de nombreux tests in situ, l'équipe MARACAS du Laboratoire Citi qui s'est occupée du calcul de distance est arrivée à des résultats très satisfaisants lorsqu’on connaît la technologie Bluetooth », témoigne l’enseignant-chercheur de l’INSA Lyon. Une histoire de choix, donc.

Baguette magique numérique ?

Est-ce réellement le -mauvais- traitement de nos données personnelles que nous craignons ? Ou bien la puissance de l’outil numérique capable de révéler nos données les plus intimes ? Plusieurs fois sommée d’outil préambulaire à une société de surveillance des masses à la Georges Orwell, l’application StopCovid soulève peut-être une question de fond. Sommes-nous en train de prendre conscience collectivement que ce petit objet numérique, que 80% des Français portent quotidiennement dans leur poche, est devenu malgré nous, une extension de nous-même ? Alors que les dérives des entreprises privées en possession de nos données personnelles ne sont plus des surprises, l’application StopCovid continue de diviser par son action intrusive dans la vie de ses utilisateurs. Pour les chercheurs de l’Inria, le questionnement a bien eu lieu : à quel point StopCovid est plus intrusive qu’une enquête sanitaire de contact manuelle qui consiste à indexer -numériquement- et dans les moindres détails, les quatorze derniers jours vécus par un patient atteint du Covid-19 ?

Pour David Wittmann, enseignant aux Humanités de l’INSA Lyon, la mise en place rapide d’une telle application doit nous interroger sur la réalité dans laquelle nous vivons. Si la sensibilité des données, leur sécurité ainsi que la loyauté et l’explicabilité des algorithmes sont dorénavant des questions centrales et classiquement soulevées lors de l’apparition d’un nouvel outil numérique, celui-ci est rarement interrogé dans son environnement global. « La crise sanitaire que nous traversons a révélé des failles sociétales très importantes comme une inégalité sociale des mortalités dues au Covid-19, des manques productifs criants, l’invisibilité et le mépris social pour des personnes essentielles à la société etc. Nous sommes sur un navire qui tangue, et on tend à croire un peu magiquement que, face aux pénuries de médicaments et autres produits sanitaires, le numérique est par lui seul capable de nous sauver. Cette application est au plus une aide, mais ce qui compte réellement ce sont les équipes déployées sur le terrain, les moyens qui sont attribués aux soignants », explique David Wittmann. Mirage ou cache-sexe d’un désœuvrement social, matériel et économique dans une période troublée, pour l’enseignant des Humanités, l’être humain, s’il doit s’appuyer sur le numérique, doit également se frotter aux réalités matérielles et sociales complexes pour ne pas succomber au solutionnisme technique. « D’une certaine façon, le numérique nous permet d’éviter la confrontation avec le réel, les inégalités à disposer d'un smartphone nécessaire pour faire fonctionner l'application en est un exemple. Je ne suis pas pour arrêter d’utiliser l’outil numérique, mais je me méfie de la croyance qui consiste à apposer une solution technologique à tout problème, nous éloignant de la responsabilité de prendre en charge le réel dans ses aspérités et ses injustices. Il ne faudrait pas que les débats, certes légitimes, autour d’une telle application se substituent au débat sur les nécessaires transformations politiques et sociales du monde dans lequel nous vivons », poursuit l’enseignant.

Qu’elles nous rassurent, nous divertissent ou nous aident à stopper la propagation du Covid-19, serait-il de bon ton de rappeler ici que les applications mobiles n’ont rien de magique. Aussi arriverons-nous à saisir le pouvoir de notre smartphone sur nos vies intimes comme nous avons compris la puissance du masque pour se protéger soi, et les autres ? Le chercheur du laboratoire Citi le rappelle : « L’utilisation ou non de l’application est à l’initiative de chacun. Le choix revient à l’utilisateur, qui, comme il devrait le faire pour toutes les applications qu’il utilise quotidiennement, soit conscient de l’utilisation de ses données et responsable de ses choix numériques. La plupart des utilisateurs ne sont pas bien informés des enjeux globaux du numérique, par manque de connaissance du contexte peut-être et notre mission de chercheur est aussi de sensibiliser à ces réalités », conclut Antoine Boutet.

Laboratoire Citi (INSA Lyon/Inria/UdL)
ROBust and privacy-presERving proximity Tracing
Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Informations

 

 

 

 

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