Sport

14 Abr
14/Abr/2025

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Les 19 heures 44 minutes et 23 secondes qui font basculer le parcours de Vincent Bouillard, ingénieur INSA Lyon

« Je trouve mon histoire assez ennuyeuse ! Je suis né et j'ai grandi dans les Alpes françaises, je me suis mis au sport dès mon plus jeune âge, je suis devenu ingénieur en chaussures. Et, contre toute attente, j'ai peut-être gagné le plus grand événement du monde de trail. Voilà ». C’est ainsi que se présente Vincent Bouillard sur son compte Instagram, alors vierge de toute publication avant sa victoire de l’Ultra Trail du Mont Blanc (UTMB) en 2024.

Par « ennuyeuse », entendez ici un parcours « classique », qui ne sort pas des sentiers battus. Pourtant, Vincent Bouillard, est le cinquième coureur de l’histoire à boucler l’UTMB en moins de vingt heures. Derrière cette apparente tempérance, se cache un parcours d’excellence. Diplômé du département Matériaux de l’INSA Lyon en 2016, il passe par les paillasses du laboratoire IMP avant de rejoindre Hoka, en tant qu’ingénieur innovation produit. Lumière sur cet ingénieur et athlète professionnel qui souhaite désormais user de sa notoriété pour promouvoir des causes qui lui tiennent à cœur, parmi lesquelles : la justice sociale.


De la beauté de l’ordinaire 

La relation qu’il tisse avec le sport depuis son jeune âge, Vincent Bouillard la considère comme « saine ». Déjà enfant près d’Annecy, le mouvement est une composante naturelle de sa vie. « Sans jamais que cela devienne une obsession ou une contrainte », précise-t-il. Du vélo au ski, en passant par le judo et l’athlétisme -sa préférée, l’activité sportive accompagne l’ingénieur dans différentes étapes de sa vie ; dans son cursus scolaire ou sa vie professionnelle. « J’ai été un amoureux du sport ; c’est peut-être un peu moins le cas maintenant ». Malgré cet attachement, il n’obtient pas de place au sein de la section sportive de haut-niveau lorsqu’il intègre l’INSA Lyon en 2011. « Pas le CV sportif, et les notes ne suivaient pas assez ». Il portera tout de même les couleurs de son école lors des compétitions avec l’AS Athlétisme, dont les entraînements rythment ses semaines. « Ces moments ont forgé des amitiés qui durent encore. Les connexions en groupe, les entraînements, tout ça était source de plaisir durant les études. Avec le recul, j’ai pris conscience que ces expériences étaient aussi des espaces d’apprentissages, peut-être même plus efficaces que la salle de classe. »

Du campus, il se souvient aussi de ses premiers jours. Il partage sa turne avec un camarade libanais, avec qui il ne communique qu’en anglais ; une langue qui prendra un sens tout particulier pour lui plus tard, dans sa vie professionnelle et personnelle. « Ce qui me pousse aux études d’ingénieur, c’est mon attrait pour la physique des matériaux. J’aime comprendre le fonctionnement des choses, je suis de nature curieuse ». Nourri par des professeurs passionnés dès le lycée, la dimension philosophique de la matière qui constitue le vivant l’interroge. « À l’époque, je n’avais pas vraiment d’idées de ce que je voulais faire de ces appétences pour la physique. D’ailleurs, je ne sais toujours pas ce que je veux faire quand je serai grand ; chaque journée est une chance de faire quelque chose de différent ». Il consacre ses derniers mois d’études d’ingénieurs à la recherche sur la formulation de polymères recyclés, au sein du laboratoire Ingénierie des Matériaux Polymères. Son stage de fin d’études, lui, se fera chez Hoka, au sein de l’équipe innovation, en 2016. Il n’a pas quitté l’entreprise depuis.

 

Ingénieur en chaussures     

Ce qui le pousse chez Hoka, minuscule entreprise à ses débuts, c’est une rencontre sur une compétition avec deux des pionniers de la marque dont Christophe Aubonnet, aussi ingénieur INSA. « J’ai dû insister à plusieurs reprises, pour qu’ils me prennent en stage. J’étais vraiment motivé et fasciné par le fait qu’on puisse réfléchir à la ligne et aux matériaux d’une chaussure. Moi qui en usais plusieurs paires par an, sans vraiment savoir comment elles étaient fabriquées. Hoka était considérée comme une marque anticonformiste, en fabriquant des chaussures moquées par leur design, mais néanmoins innovantes ». Piqué par cette approche, Vincent Bouillard trouve dans l’entreprise, un terrain propice à l’expérimentation. Depuis, Hoka n’est plus celle qui fabrique des baskets à l’allure clivante : si elle est devenue cool, c’est précisément parce qu’elle ne l’était pas, et sans nul doute en associant à son image, celle des athlètes qu’elle soutient. Parmi eux, l’ingénieur innovation produit franchissant la ligne du plus grand ultra-trail de la planète, ses chaussures aux pieds.

 


L’Ultra Trail du Mont Blanc est l’un des évènements les plus importants du monde du trail.
(Crédits : Unsplash) 

 

La victoire qui le sort de l’ordinaire

Le 5e coureur de l’histoire à boucler l’Ultra-Trail du Mont-Blanc en moins de vingt heures. « Qui est Vincent Bouillard, le vainqueur inattendu de l’UTMB ? », « Le séisme Vincent Bouillard », « Ce Français que personne n’attendait ». À l’annonce de sa victoire, la presse spécialisée s’emballe : comment cet ingénieur a-t-il réussi ce tour de force ? Est-il accompagné ? Quel a été son plan d’entraînement ? Pour réponse, Vincent évoque son expérience sportive de longue date et son autodidaxie. Alors qu’il était encore étudiant, déjà l’air du nord de la Suède lors de son expérience Erasmus l’avait poussé à concevoir ses propres entraînements. Loin de l’AS Athlétisme, c’est livré à lui-même qu’il augmente ses volumes d’entraînements et applique sa rigueur d’ingénieur à son quotidien sportif ; un vrai protocole R&D dans lequel il compose avec les charges de la vie. Plus tard, c’est un collègue fanfaron qui le jettera dans le Grand Bain des courses d’endurance. Jusqu’à remporter le Kodiak Ultra-Marathon, un 100 miles aux États-Unis, où il est expatrié depuis quelques années. Cette victoire lui ouvre les portes de l’UTMB, à plus de 9 000 kilomètres de son lieu de villégiature, au plus près de ses terres d’origine.

Et la date de la compétition colle avec son retour en France, après quatre années dans les bureaux d’Hoka en Californie, puis en Oregon. Un tournant décisif dans sa vie pour l’ingénieur discret, qui ne sera jamais plus inconnu de tous, 19 heures 54 minutes et 23 secondes après le coup de sifflet du départ de la course. Ne pas tomber, bien s'hydrater, se caler dans des allures. Et se répéter les mots lancés par son coach de judo, quelques années auparavant. « La douleur, c’est une information : analyse-la et traite-la ». En passant la ligne d’arrivée, l’inconnu devient une nouvelle star de l’ultra-trail, inscrit au palmarès hommes de vainqueur de l’Ultra Trail du Mont-Blanc, aux côtés de Kilian Jornet ou de Xavier Thévenard. « À partir de ce moment-là, après les tests anti-dopage, c’est un marathon médiatique qui s’enchaîne », se remémore-t-il. Une visibilité à laquelle il ne s’était pas vraiment préparé, et qui lui a posé beaucoup de questions. 

 

Coup de projecteur sur un grand discret

Discret de nature, il se retrouve face à un paradoxe : comment utiliser sa voix, désormais amplifiée par sa notoriété, sans se transformer en donneur de leçons ? Avec l'UTMB, les projecteurs se braquent sur lui : il ne peut ignorer l'impact de l'image qu'il renvoie. Il se sent responsable, au-delà de ses performances sportives, de l'influence qu'il peut exercer à travers l’appareil médiatique. « Je suis un athlète masculin, blanc, qui a grandi à Annecy. C’est en ce sens que je dis que mon histoire est banale. Au printemps 2020, j’étais aux États-Unis, et j’ai vécu le mouvement du Black Lives Matter, déclenché par le meurtre de G. Floyd, aux côtés de ma femme, noire américaine. Cet épisode m’a ouvert les yeux sur les disparités et les injustices sociales. J’ai pris conscience qu’on grandissait bien différemment à Annecy, que dans le reste du monde. »

De cette position privilégiée et de sa victoire de ses performances sportives, Vincent Bouillard veut les utiliser pour défendre des causes en lesquelles il croit. Un désir exprimé et suivi par son employeur, désormais son sponsor. « De plus en plus de marques commencent à s'engager auprès de communautés sous-représentées, et il faut que le trail s’oblige à cela. En France, c’est un sport qui a pris une propension médiatique folle, contrairement aux États-Unis où il n’est pas très connu. C’est aussi un sport jeune et nouveau, qui peut devenir un vecteur de changement, tant sur le plan social qu’environnemental. Il faut se saisir de cette opportunité pour le définir en adéquation avec les enjeux qui nous guettent, loin du greenwashing qu’on connaît aux milieux du sport. »

 


Vincent Bouillard, diplômé du département Matériaux de l’INSA Lyon et vainqueur de l’UTMB en 2024 sera le parrain du prochain Raid INSA Lyon. (Crédits : Raid INSA Lyon)

 

Porte-parole de valeurs pour son sport, et au-delà

Aujourd’hui, Vincent Bouillard porte une double casquette. Athlète professionnel, il consacre la majorité de son emploi du temps d’ingénieur à mi-temps, à la Responsabilité Sociétale de son entreprise dont les objectifs sont « déments, mais très ambitieux ». Il se souvient de ses premiers pas dans une industrie mondialisée, dont les perspectives de carrière impliquaient de sacrifier son empreinte carbone individuelle, lui qui, nourri par une exposition constante à la nature, avait développé une conscience écologique assez jeune. « D’autant que les compétitions impliquent de bouger aux quatre coins du monde. Je n’ai pas la réponse à toutes les questions que je me pose, mais je suis certain que le combat écologique ne peut se dissocier de la lutte pour les droits humains. En tant qu’ingénieur, j’ai un rôle à jouer. En tant qu’athlète, d’autant plus. »

 

Parrain 2025 du Raid INSA Lyon - Orange

S’il n’a jamais eu l’occasion de participer à l’un des plus grands évènements de son ancienne école, c’est avec grand plaisir que Vincent Bouillard a accepté de parrainer l’édition 2025 du Raid INSA Lyon. Pour quelles raisons ? Pour le souvenir de ses riches années, de l’effervescence des années d’études et pour encourager chacune et chacun à se dépasser. « Le but du sport, ça n’est pas d’être le champion du monde. Le but, c’est de s’épanouir, d’apprendre et de s’inspirer des autres. C’est un terreau fertile pour cultiver des valeurs humaines essentielles. Voici ce que je voudrais transmettre aux participants du prochain Raid. »