Internacional

13 Oct
13/Oct/2021

Internacional

« Je suis parti à vélo pour limiter l’empreinte carbone de mon échange Erasmus » 

Jules Ducas a passé son enfance dans le Massif Central, près du Puy-en-Velay. Cette proximité de longue date avec la nature lui aura inspiré, à l’âge adulte, une attention toute particulière à la question environnementale. 
Alors que se présente à lui l’opportunité d’une mobilité à l’international dans le cadre de ses études de génie mécanique procédés polymères avancés, l’étudiant prend une décision audacieuse : il rejoindra son université d’accueil portugaise à vélo. 
Avec 2200 kilomètres à parcourir en moins de 20 jours pour être à l’heure à la rentrée lisboète, il prouve qu’il est possible de voyager autrement. 
À travers son projet, baptisé « altitrip – mon Erasmus à vélo », Jules questionne un enjeu important pour les établissements d’enseignement supérieur : celle de l’empreinte carbone des mobilités engendrées par les cursus des étudiants. Pour Jules, l’exploration prend son sens, non plus dans la destination, mais dans la façon de la rejoindre. Rencontre.


Vous êtes désormais arrivé à l’Instituto Superior Tecnico après avoir parcouru plus de 2000 km à vélo. Comment allez-vous ?
Très bien ! Je suis arrivé à Lisbonne sain, sauf et heureux. J’ai repris des forces et j’ai même repris la douce habitude de dormir dans un lit. À l’arrivée, j’étais finalement juste déçu ne pas avoir croisé de panneau marqué « Lisbonne » comme je l’aurais imaginé, mais j’étais fier, car deux jours avant, l’aventure avait failli s’arrêter pour cause de casse matérielle. L’arrivée à vélo a une saveur particulière que vous ne ressentirez jamais en posant le pied sur le tarmac d’un aéroport après deux heures d’avion. D’ailleurs, l’arrivée met un petit coup au moral, comme lorsque l’on rend le dernier partiel de l’année : c’est cool, mais c’est la fin de quelque chose. Enfin, pour ma part, ça n’était que la fin de ce trajet-ci, car j’envisage déjà de nouvelles destinations à rejoindre à vélo !

Un vol Lyon-Lisbonne dure 2 heures. Votre voyage a duré 18 jours. Comment se lance-t-on dans ce pari fou de rejoindre sa destination de mobilité Erasmus à vélo ? 
L’objectif de ce projet était justement de prouver que le pari n’était pas si fou. J’ai, sur ce trajet, rencontré des gens qui faisaient des choses bien plus dingues ! Avec du temps devant soi, tout le monde peut voyager à vélo et puis si la fatigue se faire sentir, on peut prendre un train et continuer le voyage. Rien n’est grave ! 
Ce trip était ma deuxième exploration à vélo, car j’avais expérimenté le voyage à vélo entre la France et Budapest entre ma deuxième et troisième année d’études d’ingénieur. Au fond de moi, j’avais toujours eu cette idée de poursuivre le voyage à vélo, donc j’ai choisi une destination européenne. C’est tombé sur Lisbonne. Pour tout avouer, avant que la crise sanitaire n’enterre le projet initial, je visais une université uruguayenne, car je cherchais du dépaysement. À vélo, j’ai changé de regard sur le dépaysement : même à côté de chez soi, on peut se croire à l’autre bout du monde. 

Comment se prépare-t-on à un tel voyage ? Aviez-vous des appréhensions particulières malgré votre expérience ? 
Je n’avais pas vraiment de peurs, car j’avais en tête que j’allais être seul. Finalement, mon grand-frère s’est joint à l’aventure et a même pris dix jours de congés supplémentaires pour me suivre jusqu’à Lisbonne. J’étais très motivé à partir, malgré les longs mois de préparation de matériel, de budget et de démarches administratives. Ici, notre but était d’aller d'un point A à un point B, mais la seule chose à laquelle on ne peut pas se préparer, c’est l’imprévu. C’est finalement le plus enrichissant dans ce type de voyage : ressentir et appréhender les fondamentaux de la vie comme trouver de l’eau potable ou un endroit pour dormir. 

Derrière votre projet « altitrip – mon erasmus à vélo » se cache une volonté de promouvoir une mobilité plus douce et durable. Quel rapport entretenez-vous avec l’urgence climatique en tant que jeune et futur ingénieur ? 
Je m’aperçois qu'en arrivant à l’INSA, j’avais très peu de connaissance sur les enjeux climatiques. Je savais seulement que ça n’allait pas très bien. Puis, j’ai eu des prises de conscience fortes en m’intéressant au sujet jusqu’à m’en passionner. J’ai étudié sur le campus d’Oyonnax, plus petit que celui de Lyon et sur lequel j’ai pu m’engager scientifiquement, techniquement et politiquement. C’est difficile pour notre génération qui a grandi dans un système émetteur et qui se trouve à un moment crucial pour l’avenir de la planète. L’ordre de grandeur des changements est tellement immense que ça donne le vertige, mais j’ai envie de servir. 

De quelle manière envisagez-vous de continuer à lutter contre le réchauffement climatique ?
Je sais que ça n’est pas en faisant des voyages à vélo que l’on va changer le monde. La preuve : je n’ai économisé « que » 330 kg de Co
2, ce qui représente très peu par rapport à la consommation annuelle d’un français. Ce que je voudrais : que ce projet inspire, peut-être aux autres étudiants en passe d’effectuer leur mobilité, de repenser vraiment ce qu’est le dépaysement. En 2300 km, j’ai vu des choses aussi belles qu’à l’autre bout de la planète. Mais les choses qui vous traversent quand vous faites un tel voyage sont inestimables comme prendre conscience du poids des choses. Je suis persuadé que si chaque individu a l’occasion de ces prises de conscience, elles pourront ensuite collectivement faire avancer la lutte contre le réchauffement climatique. Pour ma part, je vais passer les six prochains mois à étudier à l’Instituto Technico pour rentrer (peut-être à vélo), obtenir mon diplôme et pouvoir agir dans le cadre de mon métier. C’est difficile pour un jeune étudiant ingénieur de trouver un job vertueux en accord avec ses valeurs. Mais bon, la difficulté n’est qu’une question de point de vue, comme l’a prouvé ce voyage.