Investigación
Découverte majeure : des bactéries tissent leur réseau pour se nourrir
Des scientifiques du laboratoire Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions, BF2i1, en collaboration avec des experts du Synchrotron SOLEIL et de l’Université Claude Bernard en France, ainsi que du Max Planck Institute et de l’EMBL en Allemagne, ont mis en évidence pour la première fois des structures membranaires en réseau construites par des bactéries symbiotiques vivant dans les cellules du charançon des céréales. Ces travaux, publiés dans la revue Cell2, ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre les interactions intimes entre micro-organismes et leurs hôtes. Rencontre avec l’équipe lyonnaise.
Des bactéries au cœur d’un partenariat vital
Le charançon des céréales est l’un des principaux ravageurs des céréales (blé, riz, maïs) en champ et en silo. Il se nourrit directement des céréales mais n’est pas tout seul : il possède des bactéries qui vivent en symbiose dans ses cellules. Nommées Sodalis pierantonius, ces bactéries vivent en nombre à l’intérieur de cellules spécialisées de l’insecte. Elles lui fournissent des nutriments essentiels que le charançon ne trouve pas dans les céréales. « Il s’agit d’un échange de bons procédés : les bactéries utilisent le sucre produit lors de la digestion des céréales et fournissent en échange des nutriments essentiels à cet insecte ravageur, comme des vitamines ou certains acides aminés », explique Abdelaziz Heddi, professeur INSA Lyon, qui travaille actuellement sur cette recherche. Si l’importance de ces échanges est bien connue des scientifiques, la façon dont ils se produisent restait inconnue.
Une découverte inattendue dans les entrailles du microscope
Pour comprendre comment s’effectuent ces échanges, les scientifiques ont eu recours à la microscopie électronique et à des techniques de préparation d’échantillons préservant les membranes. C’est alors qu’ils ont observé, pour la première fois, des motifs tubulaires originaux construits par les bactéries elles-mêmes.
« Cette symbiose était imagée en microscopie électronique depuis des années, en utilisant un mode de fixation classique (chimique), et on voyait un halo blanc autour des bactéries - comme s’il manquait quelque chose », explique Séverine Balmand, Ingénieure d’études INRAE. « C’est en utilisant pour un autre projet un nouveau mode de préparation (la cryofixation haute pression) qu’on a visualisé pour la première fois et avec grand étonnement ces structures et leur architecture originale. C’est donc un peu par hasard qu’on a trouvé la pièce manquante du puzzle ! »
Les « Tubenets » : des réseaux d’échange bactériens inédits
Les analyses révèlent que les structures forment un réseau complexe de tubes, de 0,02 µm (micromètre) de diamètre et de plusieurs µm de long, qui relie les bactéries entre elles avec de nombreuses interconnections. Comme la structure des microvillosités3 de l’intestin chez les humains permet d’augmenter la surface d’échange pour mieux absorber les nutriments au cours de la digestion, ces structures tubulaires permettent aux bactéries d’augmenter leur surface d’échange avec la cellule-hôte pour mieux assimiler le sucre. En échange, les bactéries produisent des nutriments essentiels pour la cellule.
« Comme ces structures n’avaient encore jamais été décrites, nous avons décidé de les baptiser « Tubenets », contraction de tube et network (réseau en anglais), en référence à leur forme et à leurs nombreuses connexions » ajoute Séverine Balmand.

Image en microscopie électronique en transmission montrant les bactéries symbiotiques intracellulaires du charançon des céréales Sitophilus oryzae. Les bactéries forment un réseau tridimensionnel de structures tubulaires, appelées tubenets. Ceux-ci augmentent les échanges nutritionnels hôte-bactérie et permettent le transfert efficace des sucres issus de l’alimentation de l’hôte vers la bactérie symbiotique.
Ici colorisés en violet, on voit un exemple d'une bactérie et de ses tubenets dans le cytoplasme de la cellule hôte.
Si les structures permettant d’augmenter les surfaces d’échange pour mieux absorber les nutriments sont connues des scientifiques chez les organismes pluricellulaires (intestin, racines des plantes), c’est la première fois que ce type de structure est mis en évidence chez les bactéries. Et Abdelaziz Heddi de souligner : « Finalement, les bactéries utilisent ici une stratégie déjà décrite chez beaucoup d’organismes : celle d’une structure circonvoluée qui permet d’augmenter la surface d’échange. C’est par exemple le même type de stratégie que les microvillosités de notre intestin, qui nous permettent de bien absorber les nutriments, ou que les fines ramifications des racines des plantes. Ce qui est nouveau ici, c’est qu’on décrit ce type de structures à l’échelle des bactéries, microorganismes qui sont apparus sur terre un milliard d'années avant les cellules qui nous constituent ! »
Des technologies de pointe au service de la découverte
Pour caractériser ces structures, les chercheurs ont combiné plusieurs approches d’imagerie de haute résolution, notamment la microscopie 3D et l’analyse par rayonnement synchrotron.
« La compréhension de ces structures a été rendue possible grâce à un ensemble de techniques d’imagerie avancées et de multiples collaborations avec des experts français et européens (Synchrotron Soleil, EMBL, Max Planck Institute…). C’est donc un exemple parfait de ce que la collaboration interdisciplinaire et internationale permet d’accomplir » explique Anna Zaidman-Rémy, professeure INSA Lyon qui a coordonné ces recherches.
Une découverte qui ouvre de nouvelles pistes
Cette mise en évidence de structures d’échange chez des bactéries intracellulaires pourrait transformer la compréhension des symbioses microbiennes, et même au-delà, s’appliquer à des bactéries intracellulaires pathogènes. « Comme pour notre modèle d’étude, il est fort possible que si l’on utilise maintenant ce type d’approches sur d’autres bactéries, qu’elles soient bénéfiques ou pathogènes, on retrouve des structures similaires. Les solutions efficaces sont souvent largement réutilisées dans la nature ! » ajoute Anna Zaidman-Rémy.
Cette découverte offre aussi des pistes pour mieux contrôler les insectes ravageurs, voire inspirer des applications biotechnologiques. « Les méthodes utilisées actuellement pour limiter les pertes dues aux charançons dans les stocks de céréales sont les insecticides chimiques qui peuvent nuire à la santé des consommateurs, induire une résistance chez les ravageurs et avoir un impact négatif sur l’environnement. Mieux comprendre comment se font les échanges avec sa bactérie symbiotique ouvre des pistes pour perturber et/ou rompre la relation entre ces bactéries et l’insecte, et donc potentiellement de nouveaux moyens de contrôle de ce ravageur » conclut Anna Zaidman-Rémy. Une grande découverte à suivre !
[1] Unité Mixte de Recherche entre l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon (INSA Lyon) et le Département Santé des Plantes et Environnement (SPE) de l’Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE).
[2] Bacterial tubular networks channel carbohydrates in insect endosymbiosis.
Balmand S, Rivard C, Peignier S, Santarella-Mellwig R, Ghanem-Debbache M, Maire J, Engl T, Galvão Ferrarini M, Dell'Aglio E, Soriano-Saiz B, Dalverny C, La Padula V, Turunen P, Rahioui I, Vallier A, Vincent-Monégat C, Vierne B, Parisot N, Condemine G, Da Silva P, Jaurand X, Schwab Y, Kaltenpoth M, Heddi A, Zaidman-Rémy A.
Cell. 2025 Oct 28:S0092-8674(25)01130-4. doi: 10.1016/j.cell.2025.10.001.
Online ahead of print. PMID: 41161318
[3] Repli minuscule, en forme de doigt, hérissant les cellules de certains tissus comme ceux de la vésicule biliaire ou de l'intestin grêle. Elles permettent l’absorption de substances externes comme les nutriments.