Puceron du pois

08 Jul
08/Jul/2021

Recherche

Le robot laser Green Shield veut détrôner les pesticides chimiques

Dans les couloirs du BF2i, la blouse blanche est de mise. Derrière les portes vertes du bâtiment, des salles d’expérimentation hébergent des colonies de petits insectes verts, logés dans des boîtes cristal. Le puceron du pois, s’il est l’espèce mascotte du laboratoire, est le cauchemar des agriculteurs et des jardiniers. Il aime s’installer à l’abri du soleil, sous les feuilles pour prélever tranquillement la sève des plants, et malgré sa couleur verte harmonieuse, il est capable de réduire des récoltes à néant.
Depuis 2017, des chercheurs de l’INSA Lyon ont uni leurs forces pour combattre ces ravageurs grands de quelques millimètres, en mettant l’intelligence artificielle au service de l’agronomie. Focus sur une innovation qui pourrait bien s’avérer être le futur de l’insecticide durable.

Un projet ambitieux et aventureux
Le printemps 2020 a été marqué par des chiffres exceptionnels de présence de pucerons dans les champs de betteraves. Virulents, car transmetteurs de maladies, ces organismes sont habituellement éloignés des cultures au moyen de néonicotinoïdes, un type d’insecticide puissant largement controversé pour son danger sanitaire sur la biodiversité. En octobre dernier et en dépit de l’interdiction de 2018, les betteraviers avaient obtenu une dérogation pour faire face à l’infestation de pucerons, relançant la controverse. « Pour donner un ordre d’idée de l’efficacité des pesticides aériens, seuls 0,3 % vont réellement toucher leur cible. Les produits phytosanitaires atteignent les insectes pollinisateurs sans lesquels tout le système de reproduction des plantes s’effondre ; impactent les prochaines descendances de nuisibles qui se transforment pour résister aux produits ; sans parler du danger qui pèse sur la santé des consommateurs. La lutte chimique est utilisée depuis très longtemps, et ses ravages sont de plus en plus mis en lumière. Il est temps de trouver des alternatives durables et applicables à grande échelle », explique Pedro Da Silva, enseignant-chercheur et directeur-adjoint du laboratoire BF2i.
C’est ainsi qu’est né en 2017, faute de solution alternative crédible pour pallier les difficultés des agriculteurs, le projet Green Shield, entre les murs de trois laboratoires de l’INSA Lyon. « François Feugier est arrivé avec une invention brevetée, un laser robotisé. Il nous a demandés si nous pouvions travailler ensemble à une preuve de concept. Le robot était une invention ambitieuse, et cela nous plaisait. Depuis, le projet a pris beaucoup d’ampleur, avec la création d’une start-up Green Shield Technology, et la participation de quatre laboratoires : l’INL
1, Ampère2 et BF2i 3 et Femto-st », explique Arnaud Lelevé, responsable scientifique du projet ANR – Green Shield 2017-2021.

Cible en vue : visez, armez
Après 5 ans de travail, un premier prototype a vu le jour. « Nous avons réussi à mettre sur pied un petit robot à 4 roues capable de rouler au-dessus des plants. Il est équipé d’une caméra qui détecte les pucerons, d’un boitier laser à CO2 et d’un banc optique. En arpentant les rangées de champs, il est capable de détecter les pucerons et de les éliminer avec un faisceau laser », explique Arnaud Lelevé. 

Pour arriver à un niveau de détection efficace, les équipes ont longuement étudié leur organisme cible : le puceron des pois, un animal étonnant capable de se faire presque invisible sur des hectares de culture. « C’est un puceron vert, sur une plante verte ! Ces insectes sont particulièrement difficiles à détecter, car ils se placent sous les feuillages et se fondent avec les plantations. Ils sont même capables de faire « les morts », en se laissant tomber au sol, en restant plusieurs jours pour mieux remonter ensuite. Choisir cette espèce n’était pas anodin : nous sommes partis du principe de qui peut le plus, peut le moins. Si notre prototype est capable de détecter et d’éliminer des pucerons, il pourra être efficace sur un grand nombre d’espèces, plus facilement détectables », explique Pedro Da Silva.
Un autre sujet qui a longuement occupé les équipes a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Nature Scientific Reports. « Il fallait trouver le juste niveau d’irradiation laser pour tuer le puceron, sans endommager le végétal. C’était un travail presque chirurgical, car il ne fallait pas que la solution présente le moindre risque collatéral pour les cultures et le reste de la biodiversité », ajoute Arnaud Lelevé.

Projet Green Shield V.2
Soutenus par l’agence nationale de la recherche depuis 2017, les chercheurs prévoient encore quelques années de travail. « Nous espérons pouvoir réaliser une autre version du prototype avec nos collègues des laboratoires LiRiS et Citi pour améliorer l’intelligence artificielle. Il s’agirait aussi de rendre la solution miniature, pour que le robot soit plus facile à installer et s’adapte à tous les types de champs. Pour le moment, nous n’avons pas encore mené d’études de rentabilité et nous manquons de données expérimentales pour lancer une quelconque industrialisation », ajoute Arnaud.

Le projet transdisciplinaire peut également compter sur l’un des membres fondateurs pour sa future introduction sur le marché du pesticide durable. Depuis, la start-up Greenshield Technology a pu mettre en application les résultats de recherche pour commercialiser une technologie de désherbage haute-précision qui fait les preuves du potentiel des faisceaux laser infrarouges pulsés. Créée en même temps que la labellisation ANR du projet scientifique, la start-up peut se féliciter d’une belle réussite sociale et financière. Arrivé seul dans les laboratoires de l’INSA Lyon, le fondateur et docteur François Feugier a embarqué près d’une quinzaine de salariés à ses côtés, inscrivant le projet ANR Green Shield dans l’une des mutations les plus importantes pour l’avenir de l’homme et son environnement : parvenir à une agriculture durable et respectueuse de sa biodiversité.

Le 16 septembre prochain, les équipes du projet Green Shield (ANR-17-CE34-0012) présenteront les résultats finaux des 42 mois de recherche à l’occasion d’une journée de synthèse. 
Accès gratuit en présentiel ou en distanciel sur réservation. 
Informations : https://anr-greenshield.insa-lyon.eu/fr/content/resultats#resultats_finaux

 

1Institut des Nanotechnologies de Lyon (CNRS/INSA Lyon/Lyon 1/CPE/ECL)
2Génie Électrique, Électromagnétisme, Automatique, Microbiologie Environnementale et Applications (INSA Lyon/ECL/Lyon1/CNRS)
3Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions (INSA Lyon/UdL/INRAE)

 

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26 Feb
26/Feb/2018

Recherche

Mort cellulaire programmée : le puceron du pois montre une nouvelle voie

Publié dans la revue PNAS, l’article rédigé au laboratoire BF2i (Unité Mixte de Recherche INRA/INSA Lyon) fait référence à la découverte d’un nouveau processus de mort cellulaire chez les insectes et plus précisément chez le puceron du pois. Cette découverte ouvre le champ des possibles chez les insectes mais aussi chez l’Homme. Entretien avec Federica Calevro, enseignante et chercheuse au laboratoire BF2i (Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions).

Pourquoi étudiez-vous les pucerons ?
Les pucerons ont beaucoup de succès sur notre planète ! Il y a environ 5000 espèces différentes de pucerons sur terre, c’est énorme ! Le problème, c’est qu’ils aiment beaucoup trop les plantes nécessaires à l’alimentation de l’Homme. Comme les conséquences économiques sont importantes, le laboratoire BF2i concentre une partie de sa recherche sur les nouveaux moyens de lutte contre ces insectes. Il faut savoir que le puceron a la possibilité de se reproduire de façon clonale, contrairement à la majorité des autres insectes ! Un seul puceron femelle peut pondre plus de 90 femelles qui lui sont strictement identiques ! On cherche donc à comprendre leur comportement et leur biologie, non pas pour les éradiquer, mais pour parvenir à en contrôler la population, et éviter l’explosion de leur population suite à leur reproduction clonale.

Qu’avez-vous donc découvert récemment ?
Un nouveau processus de mort cellulaire chez le puceron du pois. C’est une découverte qui ouvre la porte à de nombreuses réflexions. Mais il faut d’abord comprendre que le puceron vit en symbiose avec de nombreuses bactéries dont une, en particulier, lui est indispensable, la bactérie Buchnera. En effet, si le puceron se nourrit du sucre de la sève et des acides aminés non-essentiels de la plante, il complète son alimentation avec les acides aminés manquants dont il a besoin grâce à la bactérie Buchnera. Cette bactérie symbiotique se trouve dans des cellules spéciales du puceron, appelées bactériocytes, qui ne sont présentes que chez les insectes.

Notre doctorant Pierre Simonet, voulant comprendre comment le puceron contrôle la dynamique de population de ses bactéries symbiotiques, s’est aperçu qu’au stade de jeune adulte, le puceron présentait de nombreux bactériocytes, de grande taille et remplis de bactéries symbiotiques, précisément lors des pics de reproduction. Ce n’est que lorsque le puceron entre dans sa phase « vieillissante » que le nombre de bactériocytes diminue et leur taille aussi. On a alors découvert chez ces pucerons âgés que le cœur de chacune de ces cellules était dépourvu de symbiotes contrairement aux jeunes pucerons.
Des coupes de quelques nanomètres d’épaisseur nous ont précisé que ce cœur de cellule n’était pas vide, mais au contraire rempli de vacuoles (des sous-compartiments membraneux de la cellule). Cela nous a tout de suite interpellés ! Parce que l’accumulation de vacuoles est observée régulièrement dans les processus de mort cellulaire !
Pierre décide alors de partir en Belgique, chez l’un de nos collaborateurs, pour développer une méthode nouvelle pour les  bactériocytes, le whole-mount, qui consiste à isoler un puceron et disséquer ses cellules pour les marquer.
C’est ce marquage, fait sur différentes protéines de bactériocytes en cours de vieillissement, qui a démontré que nous étions face à un cas nouveau de mort cellulaire.

Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau processus de mort cellulaire ?
La grande taille des vacuoles, leur origine (ils sont produits par le réticulum endoplasmique de la cellule), la réorganisation du système des microtubules de la cellule, qu’on peut assimiler à sa colonne vertébrale, la digestion, par les lysosomes, des millions de symbiotes présents dans les bactériocytes.   

Quelles réflexions peuvent s’engager après cette découverte ?
L’évolution a doté le puceron du pois d’un nouveau moyen de se débarrasser de ses cellules symbiotiques.
Est-ce que d’autres insectes qui possèdent des bactéries symbiotiques et des bactériocytes peuvent faire la même chose ? Peut-on contrôler ce processus cellulaire pour lutter contre le puceron du pois d’une façon plus respectueuse de l’environnement que l’utilisation de pesticides chimiques ?
Cette découverte n’aurait peut-être jamais pu aboutir il y a 10 ans parce qu’on considérait que les mécanismes principaux de mort cellulaire étaient la mort cellulaire programmée (apoptose) ou l’auto-cannibalisme cellulaire (autophagie). Depuis, les études en la matière se sont multipliées et, rien que chez les mammifères, on dénombre une vingtaine de morts cellulaires différentes. Et à chaque fois, le processus est relié à un mécanisme physiologique ou pathologique.
Découvrir de nouveau processus de mort cellulaire chez l’insecte ouvre le champ des possibles et a un écho chez l’humain. D’ailleurs, grâce à son travail de thèse, Pierre a décidé de poursuivre ses études en médecine, pour travailler sur la biologie cellulaire autour de l’Homme et de la santé. Le puceron du pois lui a ouvert la voie !

Bacteriocyte cell death in the aphid/Buchnera symbiotic system. PNAS 2018; published ahead of print February 5, 2018 ; pii: 201720237.
1Pierre Simonet, Karen Gaget, Séverine Balmand, Mélanie Ribeiro Lopes, Nicolas Parisot, Gabrielle Duport, Gérard Febvay, Abdelaziz Heddi, Hubert Charles and Federica Calevro
2Kurt Buhlerb, Veerle Vulstekeb and Patrick Callaerts

1 Univ Lyon, INSA-Lyon, INRA, BF2I, UMR0203, F-69621, Villeurbanne, France.
2 KU Leuven, University of Leuven, Department of Human Genetics, Laboratory of Behavioral and Developmental Genetics, B-3000, Leuven, Belgium.

Contact : Federica Calevro - Tél : 04 72 43 79 88 - federica.calevro@insa-lyon.fr

 

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