INSA LYON

08 Jul
08/Jul/2020

INSA LYON

Crise sanitaire : des étudiants INSA créent un outil pour faciliter la gestion des dépouilles

Sept étudiants de 3e année du département Télécommunications de l’INSA Lyon, Alexandre Onfray, Hamza Badaoui, Théo Le Magueresse, Gaëtan Roussel, Chenyang Zeng, Lise Jacquot et Adèle Prouvost, ont créé en réponse à un appel d’offre lancé par le Comité International de la Croix-Rouge, une application d’aide à la gestion des dépouilles mortelles. Pendant le confinement, ils ont mis leur énergie à créer un outil à vocation humanitaire, en découvrant une face du monde qu’ils n’auraient pas nécessairement soupçonnée, confinés chacun dans leurs appartements étudiants. Récit.

La situation sanitaire à l’international : des pays à genoux

Si la crise liée au Covid-19 a ébranlé le monde entier, elle a aussi été révélatrice des disparités sanitaires entre les pays : pénuries de protections individuelles, manque de lits dans les hôpitaux, et pour certains pays, incapacité pour les services locaux de prendre en charge la gestion du nombre grandissant de dépouilles mortelles. C’est l’un des aspects les plus complexes dans les cas de grandes catastrophes comme l’explique Jose Pablo Baraybar, coordinateur forensique transrégional du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), basé à Paris.
« C’est une réalité qui nous échappe en Europe, mais dans certains pays, les systèmes de santé se sont effondrés sous le nombre de victimes du Covid-19, engendrant des situations dramatiques. Ça a été par exemple le cas en Équateur, où les corps pouvaient rester dans les rues plusieurs jours car les services funéraires étaient débordés. »

Face à cette assommante réalité, le risque d’absence d’inhumation individuelle est grand. Si les traités internationaux sur les droits de l’homme contiennent des dispositions visant à assurer une prise en charge des corps dans le respect de la dignité des morts, force est de constater que la problématique d’enregistrement d’identité est une réalité de terrain toute autre. Lorsque les dépouilles sont ensevelies sous une identité codée qui n’est pas relié à la véritable identité de la personne décédée, cela complique une future identification, laissant les familles de victimes portées disparues dans une attente insupportable. « Parfois, les corps retrouvés ne peuvent pas être identifiés immédiatement, et si la victime ne porte pas de papier d’identité, les autorités n’ont ni les moyens humains, ni financiers, d’enquêter pour retrouver la famille. Lors de la récupération du corps, la mise en œuvre de mesures rapides peut accroître nos chances d’identifier les corps, avant que l’état de décomposition ne soit trop avancé. Je suis persuadé que le numérique offre une solution appropriée et efficace pour le travail de traçabilité qu’effectuent les autorités locales chargées de la prise en charge des dépouilles, et c’est ce que nous avons développé avec les étudiants de l’INSA Lyon », ajoute Jose Pablo. 

De l’identité alphanumérique 

Aujourd’hui, la procédure administrative de reconnaissance est souvent longue et pas toujours efficace. Dans une course contre le temps, des informations essentielles peuvent se perdre, effaçant par exemple les correspondances entre les lieux de décès et les lieux d’inhumation. C’est face à ce constat que les sept étudiants de troisième année du département Télécommunications, services et usages de l'INSA Lyon, ont développé une solution numérique dans le cadre d’un cours d’informatique. « Le principe de notre application est simple : dès la récupération de la dépouille, le fossoyeur prend le corps en photo, en associant le fichier avec une géolocalisation. L’application génère un « tag », une identité alphanumérique qui suivra le défunt jusqu’à son sac mortuaire, puis sera inscrite dans un grand registre. Parallèlement, une seconde application permet d’avoir accès au registre des victimes enregistrées pour permettre aux familles de retrouver le lieu d’inhumation, pour vivre leur deuil dignement », explique Adèle Prouvost, membre de l’équipe étudiante. 

L’appel d’offre du CICR était parvenu aux étudiants quelques semaines avant le confinement français, les travaux avaient été initialement pensés pour les migrants décédés en Méditerranée. « Les problématiques de gestion des dépouilles ne datent malheureusement pas de la crise du Covid-19. Notre attente première derrière cette application était de permettre aux sauveteurs des ONG de disposer d’outils efficaces et faciles à utiliser. Lorsqu’une équipe de recherches et sauvetages secoure des victimes en pleine mer, les bateaux, conçus pour le sauvetage, ne sont pas équipés pour conserver les corps jusqu’à leur arrivée dans des infrastructures de conservation spécialisées. La prise de photo permet l’identification de la victime a posteriori. Lorsque le Covid-19 s’est répandu, nous avons adapté nos besoins. Aujourd’hui, l’application développée par les étudiants est un outil totalement adaptable à toutes les crises, sans être spécialement spécifique au Covid », explique Jose Pablo.

Maître de conférences du département TC et coordinateur des travaux étudiants, Pierre François a guidé et encadré ses élèves au plus près de leurs intentions, et avec la plus grande bienveillance. « Je l’ai vécu comme un projet tel que ceux que je réalise avec mes collaborateurs industriels, c’est-à-dire, avec le souci du résultat et simplicité. J’ai laissé les développeurs prendre leurs décisions, tout en veillant au bien-être de mes étudiants. On voulait rendre le produit final le meilleur possible, et dans un délai imparti très court. C’était parfois très dur de dire non à certaines demandes d’améliorations techniques de la part de notre commanditaire face à un sujet aux enjeux si importants et sensibles. Ça n’a pas été pour moi qu’un simple travail d’enseignant. Je savais que je prenais un risque en affectant un projet pareil à un groupe de 3e année, mais ils m’ont surpris tout au long du parcours, tant sur la qualité de leur travail que leur esprit de corps », constate Pierre François.

Une formation humaniste qui prend tout son sens
Disponible en trois langues, anglais, français et espagnol, l’application des étudiants insaliens est à présent en phase de test auprès des autorités grecques et péruviennes. De leurs côtés, les sept étudiants se remettent doucement de cet exercice périlleux, mais ô combien honorable. Alors confinés pendant le développement de l’outil, leurs journées ont naturellement été éprouvantes. Au sein de l’équipe, Alexandre Onfray, étudiant en 3e année, se souvient encore de l’ardeur avec laquelle ses camarades et lui se sont consacrés à l’aboutissement ce projet ambitieux. « Au cours de mes études, j’ai pris part à de nombreux projets de groupe, mais je n’avais jamais vu une telle énergie. La cohésion et l’implication de chacun des membres de l’équipe a été inédite. Je réalise que c’était une vraie chance d'avoir pu participer à ce projet », explique-t-il. 

Une énergie créatrice naturellement présente chez des jeunes adultes, mais exacerbée par l’ampleur du sujet selon Adèle Prouvost : « Le confinement était propice à la réflexion et au travail, mais aussi à l’isolement. Nous étions chacun dans nos appartements, loin les uns des autres, dans un climat social anxiogène. Pendant que nous codions, les médias comptaient les nombres de morts. Nous, nous avions pour source d’information supplémentaire la réalité du terrain. Nous voulions être utiles, je crois que nous l’avons été. La communication quotidienne au sein de l’équipe a été primordiale pour se protéger psychologiquement. Notre enseignant, Pierre François, nous a beaucoup aidés sur ces aspects car ce travail nous a tous ramenés à une réalité qui semblait si lointaine, et qui est devenue si proche à travers ce projet. En un sens, nous avons ouvert les yeux sur la situation mondiale : à ce moment là, il y avait des gens dans le besoin, dehors. C’est comme ça que je conçois mon métier de future ingénieure, au plus près de l’humain », raconte-t-elle. 

Pour Jose Pablo Baraybar du CICR, le choix de confier ces travaux aux élèves-ingénieurs de l’INSA Lyon était aussi l’opportunité pour lui de prendre connaissance de la réalité d’un terrain qui n’est pas le sien. « C’était une bonne façon de me rendre compte si les étudiants étaient interpelés par des sujets qui me sont quotidiens, et je n’ai pas été déçu. Le contact avec la mort, et plus précisément les dépouilles, n’est pas quelque chose de commun. En Europe, nous ne faisons pas face à la mort en sortant de chez nous. Mais c’est le cas pour quelques millions de personnes, partout dans le monde. Ce genre de sujet peut, je pense, aider à avoir une vision différente de la vie. En collaborant avec ces étudiants, j’ai senti un niveau de créativité et de maturité très élevé. L’INSA développe une formation à vocation humaniste, et j’imagine le potentiel de tous ces cerveaux à développer pour l’humain, ça me rend très optimiste ! L’idée n’est pas si folle ni trop abstraite : ils sont le bon exemple pour construire un futur meilleur », conclut le coordinateur forensique du CICR.

 

Ce dispositif s'inscrit dans le cadre d'une collaboration entre le Comité International de la Croix-Rouge et la Fondation INSA. Durant la période de crise sanitaire, le Groupe INSA et sa Fondation se sont mobilisés pour financer des stages, des recherches et études d’experts INSA au profit d'organisations humanitaires. Ces alliances permettent de mobiliser l’expertise scientifique du Groupe INSA et de ses élèves-ingénieurs au service de causes et d’enjeux sociétaux portés par des ONG, tel que le CICR mais aussi Handicap International ou We Tech Care.
En savoir plus https://www.groupe-insa.fr/mobilisation-groupe-insa-stages-etudiants