Investigación

17 Feb
17/Feb/2020

Investigación

Maude Portigliatti : « L’ingénieur est au cœur des mutations sociétales »

Au lycée, elle s’imaginait chercheure. Aujourd’hui, c’est l’avenir de la mobilité et du pneumatique qu’elle doit imaginer. Après cinq années passées à l’INSA Lyon et un diplôme d’ingénieure en Sciences et Génie des Matériaux en poche, elle rejoignait le laboratoire de Pierre Gilles de Gennes au Collège de France pour entamer un doctorat. Le surlendemain de sa soutenance de thèse, elle intégrait les équipes de recherche et développement d’une grande entreprise. Rencontre avec Maude Portigliatti, aujourd’hui Directrice de la recherche avancée du Groupe Michelin.

S’il y a un souvenir qui surgit à Maude lorsqu’on lui demande de revenir sur ses années à l’INSA Lyon, c’est le mot expérimentation. « Mon premier projet de travaux pratiques était la conception d’un lanceur de pigeons d’argile. Pourquoi cet outil, je n’en ai plus la moindre idée, mais c’est un objet qui m’a marquée ! Il s’agissait seulement de nous faire pratiquer le croquis technique, jouer de la fraiseuse ou du tournevis, mais c’était une des premières fois où il m’était possible de donner naissance à ce que j’avais en tête. C’est aussi pour cette raison que j’ai choisi le monde de la recherche. L’expérimentation fait grandir et d’ailleurs, je crois que c’est ce qu’on a toujours fait sur le campus. Ça grouillait, il y avait toujours beaucoup de rythme et de projets étudiants. Vingt-cinq ans plus tard, ça ne m’a pas l’air si différent ! »

Pas si différent, à quelque chose près. « Je sens énormément de conviction personnelle dans les paroles des étudiants que j’ai rencontrés ces dernières années, souvent très concernés par la dimension environnementale de leur futur métier. C’est très porteur car la plupart des mutations sociétales ont été accompagnées par des mutations techniques. L’ingénieur étant au cœur de ces environnements, il a entre ses mains les clés pour amorcer un réel changement », observe Maude. 

Depuis 2019, Maude Portigliatti est en charge de la recherche avancée du Groupe Michelin. Elle mène ses équipes, tous domaines confondus, à développer les pneus et les matériaux de demain, voire des innovations bien au-delà du pneu. « Qu’ils soient sans air ou connectés, les pneus sur lesquels nous travaillons demandent de la recherche sur les matériaux et les matières premières mais également sur les procédés de fabrication. Nous sommes aujourd’hui très focalisés sur le biosourcing et le recyclage des produits et nous ne faisons aucune conception sans analyser les conséquences de nos choix sur l'environnement. Depuis une vingtaine d’années, nos laboratoires travaillent à l’élaboration d’une pile à combustible qui permettrait une avancée considérable en matière de mobilité automobile, notamment sur l’absence de rejets de polluants. Pour que nos produits aient une chance de survie dans les dix ou quinze prochaines années, il faut qu’ils répondent au virage environnemental, indiscutable aujourd’hui. » 

Si la science et la technique la fascinent depuis son adolescence, c’est pour les possibilités qu’elles permettent d’explorer. Pour Maude Portigliatti, être ingénieure et chercheure, c’est à la fois avoir la capacité d’imaginer des choses nouvelles et surtout, pouvoir les mettre en œuvre. Et pour s’aventurer dans le champ de tous les possibles, la recette ne nécessiterait que deux ingrédients : curiosité et ténacité. « Penser et faire des produits capables de s’intégrer techniquement et sociétalement dans un futur qui nous est partiellement inconnu n’est pas toujours chose facile car il faut parfois itérer 30 ou 40 fois avant de voir l’idée concrétisée. J’ai acquis la conviction que pour innover, c’est-à-dire offrir à nos clients un bénéfice qui n’existait pas avant, ce qu’il fallait finalement, c’était une idée "pas trop stupide" et beaucoup de ténacité. Se tromper, rebondir et recommencer ne doit pas être un frein à l’action. En recherche, cette fois-ci n’est peut-être pas la bonne, mais la prochaine peut changer le cours des choses. » 

Et pour pouvoir agir, il faut œuvrer dans le sens de ce que l’on croit.
« Faire de la recherche, c’est faire des paris. Je suis quelqu’un qui aime prendre des risques, mais parfois il peut s’avérer que l’on se trompe de route. Et pour retrouver son chemin, il faut d’abord apprendre à se faire confiance. C’est l'un de mes rares côtés fleur bleue, mais j’ai toujours un petit mot utilisé souvent par François Michelin, le petit-fils du fondateur de l’entreprise, qui disait ‘Devenez ce que vous êtes’. Ce que je mets derrière cette citation, c’est qu’il est nécessaire de développer sa personnalité et ses convictions, d’abord. Devenir ingénieur ou chercheur viendra ensuite. Quand on fait ce que l’on aime, on peut soulever des montagnes », conclut Maude Portigliatti.